Les princes de l’amour au musée Guimet

Afin de présenter ses vœux, le Commandant Suave, autrement appelé Kaoru dans sa version originale, se rendait à la résidence de Tama-kazura. Profitant qu’il était installé devant la porte, des dames de compagnie cherchaient à lui faire perdre son sérieux. C’était le printemps et sur la branche d’un prunier, une fauvette se illustrait la scène de son chant. Ce personnage suave avait un rival, le Prince parfumé, soit Niyou Miya en japonais. Rivaux car tous deux cherchaient l’amour. Ils étaient les protagonistes d’un roman écrit par une femme voici plus de mille ans et dont le Musée Guimet a fait le thème central de son exposition actuelle. Le « Dit du Genji » nous est vendu comme le premier roman psychologique de l’Histoire, c’est possible, mais l’argument n’était pas nécessaire car la magie de ce qui est montré, opère sans peine. On ne peut que recommander aux visiteurs de faire l’acquisition du beau catalogue tant il éclaire cette époque et cette culture, un peu lointaines tout de même, détaillant les raffinements de la cour impériale à l’époque de Heian (794-1185) via l’épopée amoureuse du prince Hikaru Genji. La plupart des interventions écrites y sont confondantes d’érudition, du moins est-ce l’impression qu’il laisse et laissera probablement aux profanes.

D’autant que  faute d’image, l’on peine à imaginer l’auteur Murasaki Shikibu, qui caractérisait l’émergence d’une littérature féminine au Japon. On nous explique que les femmes s’étaient emparées des poèmes de style waka, c’est-à-dire avec une écriture simplifiée, empruntée aux idéogrammes chinois. Alors que les garçons, du moins chez les élites, versifiaient dans une variante de style kanshi.

Tout ici est un peu déroutant pour un cartésien d’envergure moyenne. La matière du récit princier nous est présentée sur des rouleaux relativement récents, narrant sur plusieurs mètres, ce roman d’amour bien à part. Ils ont été tissés par Itarô Yamaguchi (1901-2007) et devaient être exposés préalablement à Lyon, ville de la soie et du tissage, mais en raison d’une épidémie dont on ne parle plus guère, l’événement avait été comme effacé. Le mal est donc réparé aujourd’hui et le musée Guimet a eu la bonne idée (image d’ouverture) de faire des illustrations, des agrandissements lumineux. Ils permettent à notre regard de jouir de toutes leurs nuances  d’expression, car les vrais rouleaux posés à plat derrière une vitre à reflets, ne livrent qu’imparfaitement toutes leurs richesses. En outre, cette dernière partie du trajet est jalonnée de petites cloches transparentes que le visiteur pourra soulever pour y humer des encens, plus ou moins délicats pour nos narines éduquées aux gaz d’échappement. La pratique du kôdô «la voie des parfums» dans la culture japonaise, consiste à faire brûler un bois aromatique « en suivant une étiquette codifiée ». Les fragrances qui ont été disposées ici proviennent du fabricant japonais Nippon Kodo, toujours en fonction depuis 1575.

À propos de déplacement urbain, le parcours nous fait passer devant un désirable palanquin (chaise de transport portée) du 18e siècle, recouvert de laque noire. Hormis les armoiries du clan Tokugawa (trois pétales tournés vers l’extérieur), son décor intérieur s’inspire opportunément des scènes tirées du « Dit du Genjji ». Ce palanquin, apparemment prêté par le Musée de la Voiture de Compiègne, était réservé « à la plus haute strate sociale de l’époque d’Edo ». À le voir ainsi, on en populariserait bien le concept sur les trottoirs parisiens où la survie du piéton est bien souvent engagée par les vélos de l’époque Hidalgo (21e siècle).

Juste après (et juste avant les rouleaux de Itarô Yamaguchi), la scénographie nous fait passer par le genre manga, démontrant en cela, l’influence que continue d’avoir, mille ans plus tard, Murasaki Shikibu et son héros rêveur, notamment à travers l’adaptation toute récente de Sean Michael Wilson avec des illustrations signées Inko Ai Takita. Les planches de cette bande dessinée ont été agrandies de façon à occuper non seulement les murs mais également le sol et le plafond. Une illustration qui fait un peu promo sur les bords mais qu’il vaut mieux regarder en tant qu’écho d’une intrigue bien lointaine.

Le cinéma s’est également intéressé à ce scénario prêt à l’emploi, avec une première sortie sur les écrans en 1951. Et jusqu’au 21e siècle, puisqu’en 2009 précisément, il ressuscita à travers une série de onze épisodes, « Genji Monogatari Sennenki ». Tous supports confondus « Le Dit du Genji » a été traduit en trente-trois langues, y compris en français. Il a même inspiré Marguerite Yourcenar à travers sa nouvelle « Le Dernier Amour du prince Genghi » parue en 1938 dans son recueil « Nouvelles orientales ». Ce en quoi on peut dire que l’œuvre de Murasaki Shikibu, n’en finit plus de laisser des traces un peu partout. De tels élans sont rares.

PHB

« À la cour du prince Genji, 1000 ans d’imaginaire japonais », jusqu’au 25 mars 2024 au Musée Guimet

Photos: ©PHB
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