Les calligraphies des rois de l’Empire du milieu, une source d’inspiration intarissable

«Les inscriptions des rois et leurs interprétations contemporaines», voici une exposition toute en calligraphie, très originale, du musée de l’Université de Hong Kong, l’University Museum and Art Gallery. La juxtaposition d’œuvres d’art historiques et contemporaines chamboule les habitudes. Ce procédé d’exhibition percutant élargit le champ des interprétations possibles des écrits exposés. Au départ, afin de s’y retrouver dans ce voyage à plusieurs dimensions dans l’espace et dans le temps, le pèlerin suit, tel le petit poucet, des reproductions manuscrites de stèles gravées à l’encre (technique d’inscription appelée beike), semées jadis, par mont et par vaux, par les rois de l’Empire du milieu. Pour mémoire, ce marquage de territoire servait à commémorer les exploits de ces derniers et à ne jamais les oublier. L’hôte du bâtiment historique Fung Ping Shan, datant de 1932 et abritant aujourd’hui le musée, commence donc son périple en compagnie de Qin Shi Huang (de 259 à 210 avant notre ère), le fondateur de la dynastie des Qin, à l’origine de la première monarchie centralisée de l’histoire de Chine. Doit-on également rappeler sa renommée mondiale pour son héritage funéraire de l’armée de terracotta, au pied du Mont Li (à Xi’An)?

Quoi qu’il en soit, ici à Hong Kong, le visiteur du 90 Bonham Road a l’honneur de lire des parchemins antiques inspirés des beike originales, rappelant les hauts faits du grand homme. En particulier, une calligraphie issue d’un frottage sur vermillon, éditée pendant la dynastie Yuan (de 1271 à 1368), émerveille. Elle s’inspire de la plus ancienne inscription sur le Mont Yi (dans l’actuelle province du Shandong), gravée au sceau par Li Si, le Premier ministre de l’empereur Qin.

Après avoir escaladé plusieurs montagnes sur les traces de Qin Shi Huang, le chasseur de rochers retourne au Port au parfum. Maintenant, il se retrouve nez à nez avec un panneau frotté à l’encre, dont il voit jaillirent les caractères «Sung Wong Toi», tout de blanc. Voici une invitation à se rappeler de Zhao Shi (1269 à 1278) et de Zhao Bing (1272 à 1279), les deux derniers rois de la dynastie des Song du Sud. Fuyant les envahisseurs mongols, ceux-ci, justement, se réfugièrent à Hong Kong, sur le feu «Sacred hill» ou «Hill of the King of Sung», ancienne colline de Ma Tau Chung au-dessus de la baie de Kowloon. Les deux frères y vécurent de 1277 à 1279. En leur souvenir, les villageois locaux y gravèrent le monument «Sung Wong Toi» (signifiant la «terrasse des rois Song») sur un roc de 45 mètres. Déplacé en 1959 en raison de l’agrandissement de l’aéroport de Tai Tak, celui-ci ne se contemple plus qu’au jardin Sung Wong Toi et sa taille a été réduite d’un tiers.

En rejoignant la densité de la ville moderne, deux cadres en bois attirent l’attention. Des calligraphies irrégulières, au crayon bleu, en surgissent. Ce sont celles d’un autre roi, de nom de naissance Tsang Tsou Choi (qui a vécu de 1921 à 2007). Originaire de la province de Canton, l’homme hors du commun s’était autoproclamé «Roi de Kowloon». Il était convaincu de sa descendance impériale à la suite de l’examen méticuleux de ses possessions ancestrales. Les estimant indûment appropriées par le gouvernement britannique, il lui tenait à cœur de revendiquer leur propriété. Cela était devenu viscéral. Conséquence, il n’avait de cesse de peindre les murs de la zone urbaine des «Neuf dragons», autrement dit de son territoire, de calligraffitis relatant la lignée des rois chinois de sa famille.

D’aucuns retiendront que les ouvrages de Tsang Tsou Choi ont inspiré de nombreux artistes et conservateurs, tel Oscar Ho Hing Kay. Ceux qui vivent à Hong Kong depuis longtemps, quant à eux, interpréteront éventuellement la frénésie d’inscriptions du  Roi de Kowloon» comme la volonté désespérée de laisser une trace dans cette place vibrante, vouée en contrepartie au changement perpétuel, faisant fi d’effacer les racines de ses habitants.

Dans ce contexte, le cri d’amour contemporain de la Hongkongaise, Leung Kwan Kiu, qui retentit sur trois toiles, côte à côte, émeut. La première, avec «ngoh oi neih» («Je t’aime») calligraphiée en cantonnais, à l’huile noire et blanche, suggère son amour pour Hong Kong lorsque la région appartenait à la Chine ancienne. Le deuxième tableau «I Love You», cette fois tracé en anglais, se réfère à l’époque britannique du Port au parfum. Répétant «ngoh oi neih», le troisième tableau symbolise son attachement pour sa ville natale et son héritage chinois. Malgré tous les chamboulements survenus, c’est la continuité des sentiments qui est ainsi représentée. Mélangeant caractères orientaux et occidentaux, le coup de maître de Leung Kwan Kiu est de transformer l’art de la calligraphie en messager de l’amour sans frontière.

Edwige Murguet, depuis Hong Kong

Photos (1) Calligraphie au sceau sur vermillon – Inspiration de la stele du Mont Yi – dynastie Yuan. (2) Calligraphie de Leung Kwan Kiu datant de 2023 – Son amour pour Hong Kong ©Edwige Murguet
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