Terminus Apollinaire

Il y a, à la sortie de la gare de Reims, une ligne de bus qui ne manque pas de troubler le voyageur averti des choses de la poésie. Comme indiqué sur le fronton du bus de la ligne 7, le terminus est Apollinaire. On peut dire terminus ou arrivée lorsque l’on part de la gare mais à l’inverse, depuis ce quartier construit après-guerre qui jouxte l’avenue de Champagne, le mot sonne davantage comme un départ. Reims (Marne) a ceci de supérieur à Paris (Seine) que la ville cumule une ligne de bus, une rue et un parc qui portent le nom d’Apollinaire. De surcroît, il vient d’être lancé un projet de réfection de ce parc, ce qui donne à cette dernière chronique 2024 le parfum de l’actualité brûlante. Le lieu concerné  compte actuellement un grand espace engazonné pour jouer au foot et un boulodrome. Il est bien de persister à baptiser des lieux ou des trajets, à notre époque où l’on a tendance à débaptiser ce qui ne convient plus aux nouvelles morales. Il est bon aussi de parler de Guillaume Apollinaire en cette fin d’année avec une autre actualité, un peu anecdotique certes, mais édifiante. Il se trouve qu’au début du mois de janvier, à Vannes (Morbihan), aura lieu la mise à l’encan d’une lettre autographe signée de Franz Toussaint (1879-1955) écrivain et orientaliste français.

Et voilà ce qu’il écrivit le 3 février 1914 à propos du cubisme et du rôle joué par Apollinaire dans ce domaine: « Je tâcherai d’emmener Deluc chez ce Dabert et de décider Apollinaire à nous suivre. (…) Apollinaire est un gaillard extraordinaire; Avec Péladan, c’est notre plus fort critique d’art. Il est capable de dire où est accroché, dans n’importe quel musée du monde entier, n’importe quel tableau. C’est un merveilleux esthéticien (…) qui se moque de tout le monde et surtout de lui. N’a-t-il pas contribué à Pablo Picasso, Metzinger et tous les cubistes les plus notoires, tout en les méprisant profondément ? « 

Deux remarques sont quand même nécessaires sur cet extrait transcrit par la maison de vente. Ici Apollinaire est qualifié de critique d’art, rôle que lui déniait le marchand Daniel-Henry Kahnweiler (1884-1979), lequel n’avait pas raison sur tout et concédait d’ailleurs ne pas comprendre l’art abstrait. D’autre part, si Franz Toussaint croit pouvoir dire que Apollinaire méprisait ses amis cubistes, il ne devait pas disposer de la bonne information ou il avait peut-être pris au premier degré des propos nécessitant une certaine distance. Quant à la faculté du poète de situer n’importe quelle œuvre n’importe où, la flatterie apparaît là aussi exagérée. « Cette culture dont on m’accable » avait-il dit un jour, feignant sans doute un peu la modestie.

Sur ces deux anecdotes liées l’une à l’autre par un même fil où transitent de diaphanes succubes seulement visibles la nuit, veuillez agréer chers lecteurs des Soirées de Paris, l’expression de nos bons vœux à l’occasion des fêtes de fin d’année.

PHB

Reprise le 4 janvier si tout va bien
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