Le délicat palais de sœur Juliette

La description technique est moins impressionnante que l’image mais quand même remarquable. Le Salammbô de Carthage est un « chou en forme de demi-lune garni d’une crème diplomate parfumée d’un soupçon de miel d’oranger ainsi que de fleur d’oranger » et échafaudé avec « du cœur en pâte de figues sèches ou gelée de figues selon la saison ». Il ne serait pas terminé sans un « fondant blanc pailleté d’argent ou d’or sur le dessus rappelant la couleur de la lune ». Juliette Nothomb, la sœur aînée de l’autre, en a fait tout un chapitre dans son livre consacrée à Méert, la pâtisserie lilloise que le monde entier nous envie. Et en exergue de la gourmandise en question, Marguerite Yourcenar, femme qui envoyait aux orties tout scrupule diététique dès lors qu’il s’agissait d’aller tapisser son palais d’une gaufre au beurre vanillé à la malgache. Elle aurait pu d’emblée parler de Flaubert puisque Salammbô  est le titre d’une de ses publications (elle le précise d’ailleurs plus loin) mais les liens de Gustave Flaubert le Normand avec le salon de thé lillois sont encore à trouver. Comme le dit l’auteur de cet ouvrage qui donne faim, avec Marguerite Yourcenar, « comme caution à l’exquisité, on fait difficilement mieux ». Sauf que précise-t-elle, la tendance est désormais à « nommer une recette en fonction de ses ingrédients » et non plus par rapport au nom d’une célébrité qui y serait associée.

Alors demande-t-elle, « oublions d’être réac » un instant. Allons, a-t-elle l’air de dire, nous baigner nus dans un demi-chou avec de la crème jusqu’aux oreilles. Étant donné que le Salammbô a été refait chez Méert aux normes d’aujourd’hui. Car on ne le voyait plus guère aux étals des pâtisseries, en raison, croit savoir l’auteur, « de la présence de gnôle ». Bref à Lille, moyennant quelques artifices, le Salammbô est redevenu élégant et local, en plus d’être léger car les nutritionnistes veillent, comme autant d’unités de police incorruptible. D’ailleurs il est écrit en substance dans un autre chapitre, que les gâteaux d’aujourd’hui deviennent tellement légers qu’il faudra bientôt les amarrer pour ne pas qu’ils s’envolent (au vent). Et pour achever le sujet chou, Juliette Nothomb finit par nous préciser qu’eu égard à tous les attendus précités, le Salammbô, « dressé en forme de croissant de lune en hommage à Tanit (déesse punique de Carthage ndlr) », ne contient plus d’alcool mais un parfum mélangé d’orange et de figue. Nous sommes entrés, depuis un bail maintenant, dans la période des succédanés et des faux semblants au bénéfice d’une morale en expansion panique.

À propos de gaufre, on apprend dans cet ouvrage, à titre anecdotique, qu’en 2012, une effigie géante d’Amélie Nothomb, en carton pâte et baptisée « Majuscule », avait été dressée à la Villa Marguerite Yourcenar. Et qu’à cette occasion, Méert avait livré une gaufre d’un mètre cinquante de long. Un mètre cinquante! De quoi surfer à l’aise sur un lac de saveurs sucrées dans une ambiance aux nuances roses de barbe à papa. Mais à combien étaient-ils pour la manger, c’est une vraie question. Et si le signal de satiété intervient assez vite quand on passe le cap des deux gaufres de taille standard. En effet qu’advient-il de notre spiritualité, quel état d’ascèse atteint-on, lorsque l’unité de compte est la dizaine? C’est une autre question intéressante à laquelle la pharmacopée peut répondre avec des formules à base de bicarbonate de soude et de précipité de citrate de bétaïne. Sachant au passage qu’avant d’être un salon de thé et une pâtisserie, la boutique Méert fut d’abord celle d’un apothicaire, « celle du sieur Guydin, expert en potions, décoctions, pâtes et sirops ».

Ce joli livre sorti à l’automne, élégamment illustré par Pierre le Tan, associe avec pertinence l’humour et la littérature aux gâteaux. C’est tellement vite fait maintenant de gagner Lille que l’ouvrage contribuera à remplir les trains. Avec moult alibis comme celui d’aller tâter des « madeleines ultraproustiennes » façon Méert avec des ingrédients pas compliqués comme le beurre, le sucre, la farine et des feuilles de tilleul. « Croustillants et dehors et moelleux dedans », la cuisson des biscuits semble ici aussi importante que le dosage et l’assemblage. Et s’il faut jouer le jeu à fond nous précise l’auteur dont nous consentons sans problème à subir l’emprise psychologique, on accompagnera la madeleine d’une tisane de tilleul, avec des fleurs, des feuilles et surtout pas en sachet. Pour les allergiques aux trains, les fragiles de la promiscuité ferroviaire, sachez qu’une succursale existe à Paris, mais la fête sera moins riche.

PHB

« Chez Méert, songes et délices d’une pâtisserie » Juliette Nothomb, illustrations de Pierre le Tan, éditions Invenit, 28 euros

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Une réponse à Le délicat palais de sœur Juliette

  1. Marie J dit :

    Une chronique à 2000 calories de nostalgie et de douceur… les gaufres de Meert ont cette force qui ne nous donnent aucune envie de tenter de faire les mêmes à la maison. Graal inégalable.

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