Il n’est pas indifférent que l’idée originale de la série norvégienne «Occupied» présentée sur Arte tv (troisième saison depuis le 14 janvier) revienne à Jo Nesbo, un des maîtres du «polar nordique». Il est le créateur de Harry Hole, inspecteur de la police criminelle d’Oslo, mondialement célèbre depuis plus de vingt ans pour ses crises d’alcoolisme, son flair, et son pessimisme. Il n’est pas indifférent non plus que Jo Nesbo ait imaginé que dans un avenir proche, alors que les États-Unis ont quitté l’OTAN, les Norvégiens annoncent mettre un terme à leur production pétrolière et gazière. Mais l’Europe traversant une grave crise énergétique, la communauté européenne se tourne vers la Russie pour lui demander son appui. Voilà donc l’Europe dans le rôle du méchant, à côté de la Russie…
Saison 1, premier épisode, écrit par Jo Nesbo: après quelques images de catastrophes naturelles, sur l’écran d’une télévision nous voyons un homme en costume poser cette question: «Qu’arriverait-il si nous cessions d’utiliser des énergies fossiles dès aujourd’hui?». Commentaires alentour: il s’agit, lors d’un récent sommet de l’ONU, d’une déclaration de Jesper Berg, premier ministre (PM) norvégien du parti écologiste «Énergie nouvelle», récemment élu sous la ferveur populaire. Depuis, l’Europe est en émoi.
Jesper Berg s’engouffre alors dans un hélicoptère, vers une gigantesque centrale de thorium (métal d’avenir) perdue dans les montagnes norvégiennes. Lors de la conférence de presse, il enfonce le clou : «Après avoir exploité durant des décennies le pétrole offshore qui a fait la richesse de la Norvège, nous désirons abandonner l’exploitation des énergies fossiles pour lutter contre le changement climatique.» A l’issue de cette annonce, sur le tarmac, le téméraire est enlevé et poussé dans l’hélicoptère par un commando masqué et armé.
Plus tard, le PM est retrouvé errant dans la nature par son garde du corps. Puis, alors qu’il préside «une réunion de crise» de son cabinet, nous avons droit à un flashback: dans l’hélicoptère, le commando lui met sous le nez un ordinateur, où s’inscrit par visioconférence le visage d’un commissaire européen (le commissaire français interprété par Hippolyte Girardot) lui annonçant qu’à la demande de Bruxelles, la Russie va prendre le contrôle des gisements norvégiens de pétrole et de gaz. S’il refuse, les Russes occuperont le pays par la force. Jesper annonce à son cabinet qu’il se soumet pour éviter toute effusion de sang. En quelques heures, Oslo et ses provinces sont mises sous tutelle. «Sans chars ni bruits de bottes», la Russie étend son emprise. Pour six mois en principe. Et pacifiquement en principe.
Admirons l’acuité de ce scénario, comme de celui des épisodes suivants, inspirés selon les scénaristes par l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014. Mais comment ne pas penser aujourd’hui à l’Ukraine ? Nous sommes bien dans un «thriller politique» centré autour du «héros», ce premier ministre dont le visage ne cesse d’occuper l’écran: Jesper Berg (Henryk Mestad venu du théâtre), la cinquantaine, cheveux poivre et sel courts, profil aigu, regard bleu incisif, lèvres fines. Il est d’autant plus crédible qu’il n’est pas connu en France, comme la plupart des autres protagonistes. Tous se définissent par rapport à l’alternative «résister ou collaborer», et nous en faisons le tour dès ce premier épisode. Il y a bien des options possibles dans un pays «occupé», où le PM tente constamment de calmer le jeu avec la redoutable et glaçante ambassadrice russe Irina Sidorova (fameuse composition de la Lituanienne Ingeborga Dapkūnaitė), jouant de la menace permanente de la guerre. Des militants de «Norvège libre» comme des «collaborateurs» s’enrichissant grâce aux oligarques, rien ne manque pour nous rappeler ce que représente, en tout temps, l’occupation d’un territoire.
L’atmosphère locale est rendue grâce aux plans répétitifs sur les rives d’Oslo ou le siège du gouvernement (trois longs rectangles de lumière posés de biais en équilibre les uns sur les autres, en fait le siège de la société Equinor dans la banlieue d’Oslo). Il faut être très attentif au sens des scènes rapides qui s’enchaînent, impliquant des renversements de situation incessants. La saison 2 s’achève sur le retour en Norvège de Jesper Berg, qui s’était exilé en Pologne, puis à Stockholm et Paris. Un événement particulièrement violent se déroule lors du dernier épisode: sur le bateau qui le ramène à Oslo, le PM en exil donne secrètement l’ordre au commandement militaire russe d’abattre un avion norvégien via une double manipulation Internet. Nous voyons donc jusqu’où notre «héros» est capable d’aller pour recouvrer le pouvoir… et nous voilà prêts pour la troisième saison de ses exploits.
Lise Bloch-Morhange
«Occupied», série norvégienne, Arte tv
Saison 1, 10 épisodes
Saison 2, 8 épisodes
Saison 3, 6 épisodes
C’est glaçant mais passionnant !
Contrairement à The Restaurant, que je délaissais toujours à regret après avoir enfilé deux ou trois épisodes avant d’aller dormir, je ne supporte ici qu’un épisode à la fois !
Ce qui est effrayant, c’est que cette œuvre de fiction a été tournée en 2015-2017, soit il y a plus de 5 ans, à une époque où nous avions les yeux de Chimène pour le Kremlin, son maître et ses oligarques. Nous avions avalé (et avalisé) l’annexion de la Crimée en 2014 après celle de l’Ossétie du Sud (Géorgie) et la mise au pas de la Tchétchénie. On dévoilait avec faste à Liège une statue du Czar Pierre le Grand. Il n’était pas encore question d’une quelconque « opération militaire spéciale » contre l’Ukraine …
Voir l’Empire russe développer lentement un réseau tentaculaire pour étouffer la démocratie dans un état voisin à quelque chose d’effrayant … un vrai cancer ! Que nous vivons actuellement en vrai !
Petite précision géo-politique pour mieux comprendre la situation de la Norvège dans cette histoire. Celle-ci n’a jamais fait partie de l’Union européenne. J’ai passé quelques jours à Oslo en septembre 1972, en pleine campagne du référendum sur l’adhésion des pays scandinaves à la Communauté européenne. Contrairement à la Suède et au Danemark, la Norvège a dit non. Circuler en ville en voiture immatriculée en Belgique, c’était chaud. Que l’Union européenne – et tout particulièrement la Suède – donne son assentiment à la mainmise de l’empire russe sur la production pétrolière norvégienne et l’approvisionnement de l’UE, n’a donc rien d’invraisemblable. Par ailleurs, la Norvège fait partie de l’OTAN mais la prise de pouvoir de la Russie se fait à bas bruit sans intervention militaire pouvant justifier une riposte armée de l’Alliance atlantique. C’est de la Realpolitik dans toute son horreur.
Merci pour votre contribution tout à fait pertinente. Puisque vous évoquez la série suédoise « The Restaurant », il faut dire que contrairement à tant d’autres séries de ce type, « Occupied » est d’autant plus intéressante qu’elle progresse grâce aux incessants retournements politiques, et non pas en fonction de ce qui arrive aux personnages sur le plan personnel. En ce sens c’est un vrai « thriller politique », et le crédit en revient au maitre norvégien du polar Jo Nesbo.
« Je suis attentivement et souvent les suggestions de Lise en matière de séries, car nous avons souvent des goûts communs mais là je ne la connaissais pas . je m’y précipite.
Je profite de l’occasion pour signaler la sortie de son dernier livre, « PARCE QUE C’ETAIT LUI », éditions Librinova, ouvrage si bien écrit, consacré à la mémoire de son père et de sa famille. »très intéressant même pour un lecteur extérieur à cette histoire.
Merci, Lise, d’attirer notre attention sur cette série.
Jo Nesbo est un maître du polar que j’aime beaucoup et ce qu’il développe dans Occupied m’intéresse particulièrement. L’impuissance des politiques en face des multinationales qui ne reculent devant rien pour dominer le monde est, pour moi, un des problèmes majeurs de notre époque dont découlent les autres.
Quant à « PARCE QUE C’ETAIT LUI », moi aussi, je l’ai trouvé très intéressant.
Série géopolitique passionnante et palpitante, bons acteurs, rythme haletant.
J’avais dévoré les deux saisons de ce polar visionnaire, merci Lise Bloch-Morhange d’avoir attiré mon attention sur la 3è saison.