Daaaaaali! film dada

Dali se plaint de ne pouvoir parler au téléphone car dehors, il voit qu’il pleut des grands chiens morts. C’est tout l’avantage de planter une caméra de l’autre côté du miroir, car tout y est permis. L’art de Quentin Dupieux est de ne pas utiliser cette licence pour faire n’importe quoi. Les rêves les plus bizarres ont une logique et son « Daaaaaali » (6 fois « a ») qui vient de sortir, a été doté d’une charpente et même de plusieurs charpentes. Là où il fait fort, c’est que l’on ne s’y perd pas. Dans la salle tout le monde se réjouit des premières images avec un Édouard Baer arborant les fameuses moustaches raidies à la brillantine. Il arpente un couloir sans fin (comme dans un rêve) et l’on se dit que possiblement on va bien rigoler. Mais pas vraiment, la suite nous donne tort. Quentin Dupieux pratique ici la métaphysique, l’absurde et le bizarre à haute dose. Son film aurait d’ailleurs bien mérité le label Dada (mouvement quelque peu entropique apparu et disparu début 20e), mais à ce niveau massif d’incongruités finalement on ne rit plus. On se retrouve dans cette conscience bien connue de rêver, on sait bien que l’on rêve, tout est étrange, aussi vrai que faux. Et l’on marche à pas prudents dans la combine.

D’ailleurs dans ce film, comme si tout n’était pas déjà suffisamment compliqué, il y a un ecclésiastique qui rêve, il n’en finit plus d’étirer son rêve, d’ouvrir tiroirs et sous-tiroirs et de raconter ce qu’il a vu devant un Dali qui réprime son ennui tout en lapant une soupe emplie d’insectes et de vers vivants. À ce stade, les retardataires comprendront que ce « Daaaaaali » n’est pas une bonne vieille comédie à la française avec des comédiens enchaînant les gags.

Déjà ils sont cinq à interpréter Salvador Dali (1903-1989), artiste exubérant dont l’œuvre picturale peut se résumer (si l’on peut dire) à un univers onirique sans frontières raisonnables avec des horloges molles et des allusions sexuelles magnifiques mais pouvant mettre mal à l’aise. Édouard Baer, Jonathan Cohen, Gilles Lellouche, Pio Marmaï et Didier Flamand, soit presque autant de « A » que dans le titre, se succèdent. Comme les sous-histoires du scénario s’embringuent les unes dans les autres, Quentin Dupieux les utilise au gré d’une cohérence narrative que lui seul maîtrise. Ils sont tous très bons. Mais il est vrai que Dali se caricaturait lui-même et qu’il est toujours plus facile d’imiter une caricature que de partir de la base, du Dali intime finalement, celui que l’on connaissait moins. Le Dali que l’on entend et que l’on voit ici est celui de la pub pour le chocolat Lanvin, celle que fit un jour l’artiste en roulant ses « r » et ses yeux tout en raidissant ses moustaches vers le haut. Le Dali du matin au petit-déjeuner des jours banals, a décliné l’invitation.

Il y a un fil directeur, c’est bien aimable de la part du réalisateur car parfois on perd un peu pied avec ce sentiment de crainte que nous connaissons tous, au moment où l’on pourrait bien basculer dans le cauchemar, au moment encore où l’on se demande si l’on est bien dans une salle de cinéma, c’est là que Dupieux, qui a commis d’autres films étranges dans sa filmographie, fait assez fort. Et l’histoire -voilà nous y venons enfin,-c’est une apprentie journaliste, Anaïs Demoustier, qui se met en tête d’interviewer le peintre et allant on l’aura compris, de chausse-trapes temporels en événements tous plus improbables les uns que les autres. Elle a fait partie du casting des rôles relativement normaux, prise au piège d’un escape game diabolique. D’un entretien pour un magazine, elle est obligée d’aller vers un film selon les desiderata de l’artiste, lequel exige les plus grosses caméras possibles afin de bien cadrer son ego. Ce qui amène la journaliste à fréquenter deux personnages désagréables, parfaits dans ce registre. D’abord Romain Duris pour le producteur, traitant la journaliste de « conne » avec beaucoup de réalisme (on se dit qu’il a déjà dû entendre ça sur un plateau) et aussi Agnès Hurstel, impeccable dans les habits caricaturaux de l’attachée de presse méprisante, consciente de l’immense pouvoir que lui confère son lien avec l’artiste.

Lorsque l’ecclésiastique raconte son rêve à rallonge, Dali se plaint du récit le plus long de toute l’histoire des récits. Un rêve trop long dans un film court (1h18 seulement), on peut dire que Quentin Dupieux a réussi son coup, le clin d’œil général à Dali via moult scènes symboliques est d’une grande cohérence, enfin si l’on peut dire. C’est du septième art, dans tous les sens du terme.

PHB

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Une réponse à Daaaaaali! film dada

  1. Ibanes Alexandra dit :

    Une très belle mise en abîme de la création cinématographique de Quentin Dupieux…comme il l’a fait pour le théâtre dans Yannick…Quel sera le volet 3? Une trilogie ? C’est à espérer.

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