Manneken-Pis, petit héros de Mexico

De quoi pouvait-il donc parler, ce conférencier invité à Mexico au banquet de la colonie belge, le 21 juillet 1923, jour de la fête nationale de Belgique? Ceux qu’on n’appelait pas encore les «expat’» cultivaient fréquemment une forme de nostalgie plus ou moins prononcée pour le pays d’origine. Mais pour les natifs de ce petit territoire indépendant depuis moins d’un siècle et qui offre la particularité de réunir deux peuples de langues et de traditions différentes, comment trouver le sujet acceptable par les deux communautés ? Et au Mexique, qui avait été récemment l’objet de tensions et de bouleversements politiques, il ne faudrait pas qu’à leur tour, ces belgo-mexicains mêlassent imprudemment le genièvre et la tequila. Le thème choisi par l’invité d’honneur Auguste Génin pouvait contenter tout le monde. Le conférencier avait décidé de célébrer le personnage le plus populaire de la jeune Belgique (Tintin n’existait pas encore…) le Manneken-Pis de Bruxelles.

Aussi célèbre que la petite Sirène pour Copenhague, le petit bonhomme qui ignore les conventions et satisfait un besoin naturel avec une désarmante candeur, reçoit depuis toujours la visite de pratiquement tous les touristes de la capitale belge. La fontaine, qui ne mesure pas plus de 55 cm de haut, est située à quelques centaines de mètres de la Grand Place, autre lieu de visite incontournable. Nous sommes en 1923 et la société de gens cultivés connaît encore l’art de la versification. C’est donc en alexandrins qu’Auguste Génin déclame devant ses compatriotes résidant au Mexique son texte à la gloire du petit héros bruxellois. Il le fait en présence du baron de Woelmont, ministre plénipotentiaire de sa majesté le roi des Belges (à l’époque Albert 1er) et de la baronne de Woelmont, qu’on identifiera sans trop de risque comme étant son épouse.

Cette geste poétique d’une centaine de vers narre toute l’histoire de la nation belge, vue par les yeux du petit bonhomme («Nul pays ne connaît de héros plus notoire») :
«Vous savez son histoire; elle est longue et prospère; / Le fin sculpteur François Duquesnoy fut son père; / Il naquit à Bruxelles en l’an mil six cent huit». Le poème prend souvent une tournure héroïque : «Gloire à ce monument mignon qui symbolise / Par son charme attractif, une patrie exquise / Petite en étendue, immense par le cœur / Un pays dont la sève éclate dans les roses / Des femmes de Rubens et qui, sur toute choses, / Place la Vertu, les Arts, le Travail et l’Honneur !»

Bien entendu ce poème de circonstance (qui fit l’objet d’une publication par un imprimeur de Mexico) ne pouvait à lui seul assurer à son auteur la gloire littéraire, mais Auguste Génin n’est pas pour autant un inconnu. Le site Wikipedia le présente comme industriel, homme d’affaires, écrivain et mexicaniste. Né en 1862, d’origine belge par sa mère, il occupa les fonctions de consul honoraire de Belgique à Mexico entre 1905 et 1920. Ses intérêts furent multiples, avec une prédominance nette pour l’archéologie et les cultures précolombiennes. Plusieurs musées européens bénéficièrent grâce à lui de dons très importants. On parle de plusieurs milliers de pièces précolombiennes.

Sans remonter aussi loin, l’histoire du Manneken est quand même riche de plusieurs siècles. Les premiers témoignages de son existence datent du 15e siècle. Le sculpteur Francois Duquesnoy en fit une sculpture, celle que l’on connaît encore de nos jours… ou tout au moins sa reproduction exacte puisqu’après de multiples tentatives de vol, l’original a été placé au Musée de la Ville. L’une des particularités du petit héros cher au cœur des Bruxellois est son goût pour les vêtements. La garde-robe du Manneken-Pis est aujourd’hui riche de plus de mille costumes, évoquant un très grand nombre de pays et illustrant la plupart des activités humaines. L’un des plus précieux et des plus anciens est celui offert en 1747 par le roi Louis XV… pour se faire pardonner du vol de la statuette que venaient de commettre ses soldats alors en garnison à Bruxelles. À notre connaissance il n’y a pas eu depuis d’autres attentats commis contre ce héros du royaume par des citoyens de la république française.

Bon an mal an, le bonhomme s’enrichit régulièrement d’une vingtaine de nouveaux costumes en rapport avec l’actualité, les visites officielles, les anniversaires, ou tout autre événement. Manneken-Pis peut devenir tout à tour hussard de Hongrie, compagnon du beaujolais ou danseur de la compagnie Béjart. On peut le retrouver avec le costume de Mozart, de Nelson Mandela, de Mickey Mouse. Il peut être tout autant pêcheur islandais que gendarme de Saint-Tropez, footballeur de l’équipe nationale belge (diable rouge) ou Gilles de Binche. Une bonne partie de cette garde-robe est visible au musée spécialement créé en 2017, à deux pas de la fontaine.

Et puisque Manneken-Pis eut son heure de gloire à Mexico-City, on se réjouira d’apprendre que sa garde-robe ne comporte pas moins de trois costumes mexicains, dont celui du populaire mariachi (ci-contre).

Gérard Goutierre

Photo (1) ©Gérard Goutierre 2) @DR

 

 

 

 

 

 

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