Belle comme un grand lys

Démangée par une fringale tenace, Perle Germain-Joubert avait fini par déclarer au baron Jérôme Napoléon Antoine qu’elle était prête à se noyer dans l’eau telle Ophélie, en allusion au fameux poème signé Rimbaud. Ce à quoi le baron répliqua finement qu’Ophélie « n’a pas marchandé sa noyade contre une boîte de pâté ». C’est l’un des bons dialogues du terroir cinématographique que l’on trouve dans le film « Le baron de l’écluse », sorti en 1960. Le baron n’est autre que Jean Gabin et la dame qui se plaint d’avoir faim est interprétée par Micheline Presle, celle qui nous a finalement quittés cette année après 101 ans d’existence. Pour en finir avec Rimbaud, l’actrice était justement belle comme « un grand lys », et cela ne l’empêchait pas de tourner des films avec drôlerie, avec ce « Baron de l’écluse » tourné par Jean Delannoy à partir d’une nouvelle de Georges Simenon, adaptée par Maurice Druon, et des dialogues toujours au poil de Michel Audiard. Plus de trois millions de spectateurs en tout, se sont régalés du cocktail. Sans compter ceux qui continuent de le faire via différents supports.

À le revoir, suite à la disparition de Micheline Chassagne dite « Presle », on s’aperçoit d’un intéressant contraste mis en évidence par le réalisateur entre les argentés décadents que l’on pouvait trouver au casino de Deauville et les gens simples de la France profonde, le tout sur fond d’années cinquante. Delannoy se moque gentiment des deux groupes. Oui gentiment, puisqu’il nous montre à l’écran d’une part des riches pas si insupportables que ça, capables de jouer aux cartes jusqu’à l’aube, vidant les bouteilles de champagne à la chaîne,  méprisant le beau temps extérieur et, d’autre part, des gens pas si simples, tout à fait à même d’accueillir sans rougir, entre deux parties d’écarté, un couple de la catégorie supérieure en escale à l’écluse de Vernisy. Le capitaine Gabin comptait rallier Rotterdam à Monaco en bateau chic ponté acajou, avec quatre moteurs neufs, le tout gagné au jeu. Sauf qu’un mandat se faisait attendre et d’étape en étape, de poste restante en poste restante, il n’y avait plus que de l’alcool à bord contrairement aux réservoirs de fuel à sec, d’où l’escale un peu obligée à proximité d’une écluse et d’un « Café de la marine ».

C’est le contact entre deux cultures radicalement différentes  qui donne une belle énergie au film. Lorsque Perle se demande s’il ne serait pas possible de vendre quelque chose aux locaux afin de déjeuner avec le fruit de la cession, Jérôme Antoine l’appelle à la retenue avec cette saillie: « Nous représentons la civilisation ma chère et nous sommes chez les zoulous. » Remarque qui en soi pourrait être désobligeante mais ici tout est cocasse, les zoulous en question étant si bien disposés à l’égard de l’inattendu. Micheline Presle, en abonnée aux cocktails chics, déportée en pleine cambrousse, est singulièrement épatante. Elle rêve d’un bon haricot de mouton et ce d’autant plus qu’une auberge à ce nom est signalée à deux kilomètres. Là où elle rencontrera un hobereau producteur de champagne (Jean Desailly, jouant Maurice Montbernon) tout à fait fasciné par cette fée à grand appétit et tombée du ciel.

Tout est fait pour réjouir dans cette comédie. Sauf la patronne du Café de la marine qui perd au passage quelques plumes, pour avoir spéculé sur le baron à monocle, chacun y trouve ici son compte. Gabin finit par récupérer son fric et retrouve son standing tandis que sa Perle déniche enfin quelqu’un avec qui se caser dans la dignité. Et comme elle s’inquiétait que son vigneron découvrît sa vie dissolue, Gabin a cette autre réplique fameuse: «Si la franchise était la condition sine qua non du mariage, le monde serait peuplé de vieilles filles». C’est dire si, aux normes actuelles du politiquement correct, le film date un peu.

Des quelques interventions de Micheline Presle hors plateau, on notera qu’elle privilégiait d’abord la femme qu’elle était réellement à son statut de comédienne et, interrogée par un journaliste à l’époque des francs, qu’elle aurait bien vu l’effigie de Coluche sur des billets de banque. À quatre-vingt ans passés, elle apparaissait encore dans le générique de nombreux films comme dans « France Boutique » de Tonie Marshall en 2003. Elle y jouait un personnage toujours en quête de liquide pour aller jouer au casino ce qui n’est pas sans nous ramener au « Baron de l’écluse ».

Où dans une scène en -légère- tension, Gabin la traite de « grue », alors que, lui fait-elle remarquer, d’habitude il l’appelait plutôt « ma perle ». Il lui rétorque alors en substance que ce n’était qu’une façon de parler, tout comme les gens disant « mon autobus ». Et des trouvailles comme ça, « Le baron de l’écluse » en est tissé. Le duo formé par Gabin et la très convaincante Micheline Presle, fonctionne sans jamais une panne. Sauf celle qui fait le nœud de l’intrigue, due au manque de carburant.

PHB

Illustration: ©PHB
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Une réponse à Belle comme un grand lys

  1. Sélaudoux Marie-José dit :

    Merci d’avoir évoqué cette délicieuse comédienne qu’était Micheline Presle, décédée il y a peu de jours, inscrite pour toujours dans nos mémoires.

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