Faute de légendes précises, il faut se contenter des recherches menées par la conseillère scientifique de l’exposition. Sur le cliché ci-contre, la photographe Hélène Hoppenot s’est contentée de mentionner qu’il s’agissait des « Tombeaux des empereurs Sung » et pour la date de la prise de vue, il faudra se limiter à un intervalle entre 1933 et 1937 correspondant au séjour de l’auteur, selon les déductions des scénographes. Mais cette imprécision est quelque peu frustrante. Épouse de diplomate, Hélène Hoppenot (1894-1990) n’avait certes pas les réflexes du reporter-photographe qui annote et renseigne ses clichés. Comme elle rédigeait son journal en parallèle, on comprend que sa volonté affichée de ne pas prendre de notes et de se contenter d’appuyer sur le déclencheur avait surtout pour vocation de ne pas s’ennuyer, pas forcément de tout faire en vue de compléter l’exposition posthume de son travail qui se tient en ce moment-même au Musée du Jeu de Paume, en sa succursale du château de Tours. Il n’en reste pas moins de la vue ci-contre, qu’elle dégage un charme réel et que la prise de vue de trois-quarts dos, révèle un instinct technique satisfaisant.
Pas question donc, pour elle, de se casser les pieds à prendre des notes. Dans son journal publié chez Gallimard en 2005, elle affirme haut et clair que « pendant ces trois ans (passés en Chine ndlr), vivant heureuse, je n’ai pris aucune note même succincte; certes je n’ai rien oublié des paysages, des hutungs, des voyages de la campagne, mais je n’ai gardé aucun souvenir de la façon dont pouvait se dérouler une journée monotone, celle que l’on peut marquer d’une pierre blanche ». Ce qui fait que dans les années trente, afin de pimenter le cours d’une vie diplomatique due aux activités de son mari, elle s’achète à Pékin un appareil Rolleifleix auprès de Hedda Morrison, une photographe allemande. Son travail comprenant quelque 7000 négatifs, immortalisant une époque et des lieux est conservé par le ministère des Affaires étrangères. Procédant par euphémisme, il nous est expliqué qu’il est « difficile de reconstituer les périples » qu’elle fit entre 1933 et 1937. À notre imagination ou à notre culture de faire le reste. Mais au fond ce n’est pas si grave, les images de Hélène Hoppenot font rêver dans maints cas de figure. Par exemple toujours « entre 1933 et 1937 », à une heure encore plus vague, elle a pris en photo des grandes silhouettes de papier destinées à être brûlées aux funérailles, faisant ainsi ressortir, pour notre plaisir, une vision particulière de la poésie du deuil.
Au château de Tours, (juste en face de la très grande passerelle Saint-Symphorien qui enjambe la Loire) Hélène Hoppenot partage l’affiche avec un autre diplomate féru de photographie, André Travert (1921-1993). Ses prises de vues ont été effectuées entre 1946 et 1971, autant dire en pleine effervescence maoïste, ce qui leur confère un intérêt historique. Les deux photographes se complètent, mais pas dans le bon sens. Si Hélène Hoppenot avait négligé de dater son travail, André Travert au contraire, s’était appliqué à le faire mais lui négligeait les titres. Alors prenons-les comme des artistes, c’est une façon de voir les choses du bon côté, celui de l’imagination et moins celui de la mesure anthropométrique ou encore topographique. André Travert également, mais c’est au motif d’études et d’analyses, qu’il avait trouvé le moyen d’agrémenter sa carrière, de Chongqing à Nankin et jusqu’à Hong Kong au moment de la création de la République Populaire de Chine, sans compter un crochet par la Malaisie ou le Japon. Son travail et surtout ses rapports, serviront à préparer la visite du sénateur Edgar Faure en Chine en vue de la reconnaissance du nouvel État par la France.
En tout cas cette photo prise en 1956 à Pékin justifie le titre de l’exposition, « Ombres chinoises ». On y voit un homme pratiquant le tai-chi, sport martial dont les origines remontent à loin. Avec son ombre ils sont deux. Il manquait celle de André Travert lequel prenait les gens à la dérobée. Ce qui n’est plus guère possible. On voit de nos jours les mêmes praticiens du tai-chi dans les jardins du jardin du Luxembourg, évoluer dans l’espace comme si le temps s’était ralenti. Mais il paraît que cela permet de passer plus commodément en accéléré au moment d’une confrontation.
Dans un cas comme dans l’autre, celui de Madame Hoppenot et celui de André Travert, le temps a fait le tri. Il reste surtout gravé les traces visuelles de leurs périples passés. Grâce à eux, notre imagination flotte sur une jonque entre le ciel et l’eau. C’est ce qui fait le charme de cette exposition, l’absence de renseignements tournant au bénéfice.
PHB
« Ombres chinoises, sous l’œil des diplomates » Château de Tours, 25 avenue André Malraux, Tours. Jusqu’au 26 mai 2024
Sources photos: musée du jeu de Paume, Ministère de l’Europe et des affaires étrangères, collection Hélène Hoppenot @ Anne Bretel/ Papiers André Travert @ Liliane Borsuk-Travert, Marc et Serge Travert