Un médecin très holmésien

Face à la popularité de son irascible détective, Arthur Conan Doyle finit par en avoir assez qu’il fasse de l’ombre à ses romans historiques, «ses romans sérieux», et il décida de lui régler son compte lors d’une empoignade mortelle avec son grand ennemi le professeur Moriarty sous les chutes suisses du Reichenbach («Le dernier problème», 1893). Mais les personnages de roman sont tout à fait capables d’échapper à leur créateur, et Doyle reçut des milliers de lettres d’injures de lecteurs persuadés que leur héros vivait bel et bien au 221 b Baker Street en compagnie du Dr Watson. Doyle tint bon près de dix ans, jusqu’à ce que Sherlock Holmes ressuscite dans «La maison vide» (1903), et l’écrivain s’excusait en 1927, dans la préface des «Archives de Sherlock Holmes», de la longévité de sa créature, semblable aux ténors qui ne cessent de «multiplier leurs adieux à un public indulgent».
Depuis, nous le savons bien, l’homme à la loupe est devenu un des personnages les plus représentés au cinéma et à la télévision, sinon le plus représenté, et Netflix le ressuscite one more time en rediffusant vingt ans après «Dr House», soit 8 saisons et 177 épisodes. Le scénariste producteur canadien David Shore n’en fit pas mystère : son irascible médecin vedette de l’hôpital (fictif) Princeton-Plainsboro, New Jersey (côte Est), s’inspire en ligne directe de l’immortel Sherlock Holmes. Arthur Conan Doyle lui-même n’a-t-il pas été médecin, et n’a-t-il pas confessé que sa créature lui avait été inspirée par un certain professeur Bell rencontré lors de ses études de médecine à Edimbourg ? L’aspirant médecin Doyle fut épaté par sa faculté d’observation et de déduction (cela vous dit quelque chose ?).

Dès le premier épisode, le jeu holmésien commence: Doctor House est grand, mince, yeux bleus perçants, pas rasé, chemise col ouvert tombant sur le pantalon. Il boite sérieusement de la jambe droite d’où la canne, est amateur de sarcasme et de provocations. Quand on lui demande pourquoi il ne porte pas de blouse comme toute son équipe, il répond «On pourrait me prendre pour un médecin !». Il a choisi soigneusement les quatre membres de cette équipe, en plongeant notamment dans leur passé que nous découvrons peu à peu: Dr Wilson (Wilson-Watson), son adjoint et best friend (Greg House admet difficilement au cours d’une conversation qu’ils «sont bien des amis»), mais Wilson est beaucoup plus réactif à son égard que Watson vis-à-vis de Sherlock; Dr Foreman, le neurologue Noir «pas parce qu’il est noir mais parce qu’il est un bon médecin» (comme il le dit texto); le jeune et beau Dr Chase sur recommandation (il l’avoue platement), et la jolie brune Dr Cameron «parce que tu es absolument ravissante». Ce qui énerve beaucoup la jeune femme quand elle entend ça, mais Dr House s’entête et se refuse à lui dire que c’est aussi grâce à son expertise médicale.

On le voit, avec lui, les relations ne sont pas de tout repos. Toute son équipe le considère comme un cas, et remet sans cesse en question ses «intuitions», car la seule chose qui l’intéresse est de poser un diagnostic, même s’il n’a aucune preuve (cela vous rappelle quelque chose ?): «Si ça marche, on saura que j’ai raison, sinon, on cherchera autre chose!» Entretemps, le patient a des chances de mourir et cela arrive, mais cela ne freine pas les ardeurs intuitives du Maître. «Essayons ça, sinon on essaiera autre chose!» tel est son mantra. «Everybody lies», «Tout le monde ment», est son second mantra, ou le premier, comme on veut. Car Doctor House est convaincu que tout le monde cache quelque chose, ce quelque chose qui justement pourrait lui sauver la vie.

Dès ce premier épisode, il n’est pas difficile de reconnaître les traits holmésiens de ce singulier médecin: sa peur obsessive de s’ennuyer, ses intuitions fulgurantes, son dédain pour le vulgum pecus, sa faculté de deviner les secrets enfouis, son esprit sarcastique. Il choisit ses patients aussi soigneusement que son ancêtre détective choisissait ses clients, d’où son conflit avec la jolie directrice de l’hôpital qui lui intime de se présenter à la consultation «parce qu’elle le paie». Il se venge en ridiculisant ces pauvres gens atteints d’un rhume, car seuls les cas difficiles l’excitent. À ce propos, tous les fans ne manqueront pas de noter que ce premier épisode intitulé «Les symptômes de Rebecca Adler» est un clin d’œil à l’ensorcelante Irene Adler qui parvint à tenir en échec l’illustre détective dans «Un scandale en Bohême».

Dr Greg House, lui, parvient à sauver Rebecca Adler, et nous voyons bien qu’elle n’est pas insensible à son charme. Car sa brusquerie ne peut cacher son charme immense,
celui de l’acteur anglais Hugh Laurie. Il s’agit là d’une véritable rencontre entre un comédien et son personnage, comme celle de David Suchet avec Hercule Poirot, ou celle de Benedict Cumberbatch dans «Sherlock» justement!

Lise Bloch-Morhange

 

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2 réponses à Un médecin très holmésien

  1. chini germain catherine dit :

    hello,
    je n’aurai jamais eu l’idée de faire le rapprochement entre ces deux personnages et d’ailleurs je n’y arrive pas encore vraiment.
    il faut vraiment la culture pointue et l’imagination créatrice de Lise pour l’avoir pensé et analysé .
    Merci Lise tu ouvres des horizons.
    Catherine Chini Germain

  2. Krys dit :

    Merci Lise pour cette invitation érudite plaisir de re-découvrir notre cher Herlock Sholmes.

    A quand une nouvelle série sur Arsène Lupin ou les Brigades du Tigre ?

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