En mode Paolo Roversi

Il n’y a que quelques pas à faire, juste une rue à traverser: lorsque l’on quitte le musée d’Art moderne afin de se rendre en face, au palais Galliera. Où l’on peut voir actuellement une belle autant que sensible exposition sur le travail du photographe de mode Paolo Roversi. Le tirage qui a été choisi pour orner l’affiche de l’exposition, bénéficie à l’intérieur d’un endroit à part, tout en rouge et noir, comme un écrin, tel un boudoir de luxe. Elle est titrée « Molly, Chanel, Vogue Italia ». Le talent du photographe s’exprime ici devant une silhouette complexe, riche, extravagante. Mais l’exposition contient aussi des photographies de femmes aux corps entièrement dépouillés qui montrent que l’artiste italien a quoiqu’il arrive la main fiable et le regard inspiré. Ce sont souvent des clichés verticaux ce qui s’explique par le fait qu’ils doivent figurer sur la couverture de magazines dont le format de base est la hauteur. Et donc le plus souvent nous sommes face ici à de la verticalité, comme la photo qu’il prit de la princesse Kate Middelton en 2022 et qui constitue si l’on peut dire, une sorte de trophée (de plus) dans sa carrière.

L’avantage de ce genre d’exposition est qu’ici, c’est le beau qui domine. Il n’y a ni message intellectuel ni sous-entendu surréaliste, ni connotation situationniste pour entraver le plaisir des visiteurs. Les neurones peuvent se relâcher. Il est bon de temps à autre d’emmener seulement son regard, de se contenter de confronter notre sensibilité à celle de l’artiste. Tout comme devant un Botticelli, l’on peut se laisser raisonnablement aller ou carrément se laisser submerger par l’esthétisme pur d’une exécution. Cela n’exclut pas, ce qui est incidemment le cas de Paolo Roversi, d’ajouter à un ensemble vestimentaire, de planter dans le décor un portrait. Et parfois, il n’y a plus que le portrait, ce qui est une façon de consacrer par la démonstration, l’artiste derrière le photographe de mode. C’est encore plus évident lorsqu’il photographie des hommes comme Peter Lindbergh ou surtout John Galliano, celui qui fut le brillantissime directeur artistique de la maison Dior. Dans ce dernier cas il a serré au plus près le visage de l’auteur en 2007 d’un inoubliable défilé, titré avec ô combien de pertinence « Extravaganza ».

L’exposition en cours, remarquable on l’aura compris, rassemble cinquante années de travail d’un homme né en 1947 à Ravenne (Italie), ayant collaboré par la suite avec des créateurs de mode tels que Yohji Yamamoto ou Rei Kawakubo. Sa date de naissance correspond à l’invention du procédé Polaroid dont il fera usage, à l’instar d’un certain Guy Bourdin (1928-1991), autre huile du milieu photographique haut de gamme. Et quand le jeune Paolo débarque à Paris en 1973, il prend d’ailleurs contact avec celui qui était à la fois peintre et photographe, auteur de tirages d’une grande originalité. Lui proposant d’être son assistant, Paolo Roversi se voit alors éconduit car le solliciteur n’était pas né sous le bon signe astrologique. Il se tournera donc vers le photographe anglais Laurent Stackman. Lequel lui donnera des bases techniques et lui recommandera de garder l’esprit et le regard libre, tout en veillant à garder son trépied bien fixé. Il y a des bases comme ça dont se souvient pour la vie quand elles sont énoncées de façon à la fois succinctes et pertinentes.

Il se trouve toujours un moment, de désœuvrement, d’une motivation quelconque, où  l’artiste commet un autoportrait. C’est une façon comme une autre de reprendre contact avec soi-même, quand l’on passe la majeure partie de son temps à cadrer les autres. En milieu de parcours de parcours cela offre un contraste intéressant entre « Freja » mannequin danois figé sous son objectif en 2008, et lui même, histoire de rappeler qu’un être humain se trouve à l’arrière-plan, dans un monde en principe invisible. La différence de taille entre les deux tirages pourrait révéler une certaine modestie mais nous n’avons pas d’informations à ce sujet et, concernant particulièrement le domaine de la mode hautement concentré en egos surdimensionnés, il serait imprudent de conclure trop vite.

Il nous est précisé qu’en 2008, Paolo Reversi a abandonné la production photographique à partir de Polaroid, décision coïncidant de fait avec l’irrésistible montée en puissance des appareils numériques. À se demander au passage ce qui prendra la suite des appareils actuels. Sans doute la dématérialisation, à partir d’une puce implantée quelque part sous notre crâne. Il suffira alors d’un battement de paupière pour prendre un cliché, on y gagnera en discrétion ce que l’on perdra en plaisir d’utilisation du matériel. Plus de trépied, plus de de lentille, plus rien. Ne nous inquiétons pas, tout finit par revenir.

PHB

« Paolo Roversi » Palais Galliera, jusqu’au 14 juillet
Photos: PHB
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