La couverture, qui reprend un projet d’affiche de 1913, est de Sonia Delaunay. Son texte n’a pas de rapport avec le contenu de la revue. Il faudra se référer au bandeau (s’il est encore présent) qui indique: « Salut Blaise Cendrars », suivi d’une bonne vingtaine de noms d’écrivains ou d’artistes connus comme Jean Cocteau, André Malraux, René Char, Jules Romains ou Fernand Léger. Publié il y a tout juste soixante-dix ans (1954), cet hommage à Cendrars constitue aujourd’hui encore un document d’importance quant à la place de l’écrivain suisse dans la littérature du XXe siècle. Il s’agissait du numéro 9-10 de la modeste revue littéraire « Risques », créée en 1950 dans la région lilloise par trois jeunes journalistes passionnés de littérature: Jean Wagner qui sera par la suit un critique de jazz réputé; le jeune poète Roger Quesnoy, dont l’œuvre est aujourd’hui reconnue et qui deviendra rédacteur en chef adjoint du quotidien La Voix du Nord; et un autre journaliste Michel Salès. Avec les moyens du bord mais aussi avec l’audace de la jeunesse, ils décident de consacrer un numéro spécial à l’auteur de « La Prose du Transsibérien » alors âgé de 67 ans. Ils envoient par courrier un questionnaire aux écrivains ou artistes renommés de l’époque. Eux-mêmes parviennent à obtenir un rendez-vous avec l’écrivain suisse. Ce fut une passionnante soirée de discussions …et de franches libations. Roger Quesnoy se souviendra longtemps de la dextérité avec laquelle Cendrars qui, comme chacun sait, avait perdu un bras à la guerre, parvenait à déboucher les bouteilles d’une seule main.
L’enquête des jeunes gens fut particulièrement féconde. Tous les témoignages recueillis et publiés (près de soixante) étaient exclusifs. Le texte d’André Malraux (alors âgé de 53 ans), qui considère Cendrars comme « l’un des plus grands poètes de ce temps » a souvent été repris : « Ni le nom ni l’œuvre de Cendrars ne sont ignorés : ils sont distraitement reconnus, comme le furent le nom et l’œuvre de Gérard de Nerval ». Malraux savait-il que Nerval était le poète préféré de Cendrars, au même titre que Villon ?
On opposera la réaction de Jean Cau, à l’époque secrétaire de Jean-Paul Sartre, qui avoue sans détour de rien savoir de Cendrars « si ce n ‘est qu’il -1: a bourlingué; – 2: a le visage buriné; – 3 : est manchot; – 4: a écrit des livres ». Avec un brin de perversité, Cau avoue préférer Conrad, même « si ça n’a aucun rapport ».
La longue réponse d’Henry Miller témoigne au contraire de sa grande amitié avec l’écrivain suisse. Son texte ne manque pas de panache. Il pressent Cendrars candidat au prix Nobel: « J’imagine très bien le discours qu’il prononcera si jamais il accepte. Il contiendra une charge de dynamite juste suffisante pour foutre en l’air l’Académie royale de Stockholm, et avec elle la littérature, la paix du monde et la civilisation. » Sa conclusion ne laisse aucun doute sur son admiration pour le poète aventurier: « Je crois que le monde finira par connaître et par admettre l’inimitable, l’indubitable et l’irréductible Blaise Cendrars qui a tenté de nous dire en 3.496.781 pages de petits caractères qu’il n’est qu’un homme parmi les hommes, prenant la vie comme il la trouve, ni meilleure ni pire que son voisin. »
Le poète René Char, assure qu’à l’époque où il travaillait comme représentant de commerce à Marseille (« je plaçais de la chicorée et du whisky »), le fait de fréquenter la poésie de Cendrars et celle de Reverdy « donnait à ses démarches une assurance que je n’aurais pas eue sans eux ».
Le compositeur Darius Milhaud, figure majeure du Groupe des Six, rappelle ses rencontres avec l’écrivain en compagnie du peintre Fernand Léger, rencontres qui se prolongeaient par des tournées dans tous les bals musette de Paris. Cette fréquentation « de l’accordéon, du piston, de la clarinette et de la grosse caisse », constituait alors, dit-il, un excellent antidote « à ses études des rythmes de jazz traités avec la technique de la musique du chambre ». Quant à Jules Romains, dont les succès théâtraux ou romanesques ont masqué les talents de poète, il avoue son admiration pour l’écrivain dont il aime « la verdeur authentique ». Avec son habituelle emphase, le poète flamand Emmanuel Looten vante « l’éclat saturnien, dévorateur de Blaise Cendrars (…) homme complexe , métalloïde fluide et dense comme un oxygène, portrus au gré de ces poussées anormales de la vie ».
Qu’il nous soit permis de préférer le texte de Pascal Pia, infatigable chercheur… et découvreur en littérature du XXe siècle. Il revient sur les relations entre Apollinaire et Cendrars, avec l’idée sous-jacente que l’un ait pu influencer l’autre, a moins que ça ne soit le contraire. Pia rappelle qu’au temps de ses débuts, Cendrars refusé par les revues classiques, avait été publié dans Les Soirées de Paris… à partir du jour où Apollinaire en prit la direction. On notera que la préface à ce recueil est signée Michel Decaudin. Celui qui allait devenir le spécialiste reconnu de l’œuvre d’Apollinaire enseignait alors au lycée Faidherbe de Lille. Il avait eu comme élèves les futurs rédacteurs de « Risques », jeunes gens pleins d’enthousiasme et de talent.
Gérard Goutierre
Merci, cher Gérard. J’ignorais cette précieuse plaquette. Ne mériterait-elle pas une réédition?
Une réédition serait certainement d’un grand intérêt ! Avec un peu de chance, on peut cependant trouver ce numéro chez certains libraires d’ancien : il a été tiré à plus de 900 exemplaires. Il semblerait que » Risques » n ait pas survécu à cette prestigieuse édition..Et les numéros précédents sont quasiment introuvables.