La neige des profondeurs

C’est le seul endroit de la Terre où il neige tous les jours. Sous la surface des océans et au moins jusqu’à 5000 mètres de profondeur, là où n’y voit goutte sans une lampe de poche: les particules organiques descendent lentement vers le sol, faisant le déjeuner des gourmets à l’esthétisme maudit. Malheureusement, ces particules ne sont pas les seules à jouer les parachutistes subaquatiques. Les déchets plastiques sont désormais partie prenante de ce ballet muet. Ceux qui ont quitté la surface, ceux que l’on ne récupérera pas autrement qu’à une station quelconque de la chaîne alimentaire. Matière inventée par l’homme au début du 20e siècle, elle n’a pas fini de nous empoisonner. Ces deux aspects des profondeurs marines figurent au sein d’une exposition ayant lieu depuis l’automne au musée des Arts et Métiers sur l’exploration des infinis. L’un des chapitres de la scénographie est, on l’aura compris, la mer. Un joystick placé devant un grand écran permet au visiteur de descendre par paliers d’environ mille mètres à chaque impulsion, afin de voir ce que l’on peut y trouver. L’homme ayant été le plus bas s’appelle Ahmed Gamal Gabr. En 2014 il a réussi à palmer jusqu’à 332 mètres (luminosité zéro, température 7 degrés), aux limites de l’implosion. Si on veut aller plus loin il faut monter à bord d’engins de descente. Ce qui n’est pas vraiment une promenade de santé.

Si l’on veut bien se souvenir en effet du sous-marin Titan, parti explorer l’année dernière l’épave du Titanic et s’étant volatilisé sous la pression à moins de trois mille mètres. Pas de risque de cette sorte à courir au musée des Arts et Métiers, d’ailleurs nous n’avons guère besoin de prendre un sous-marin pour supporter des hautes pressions en tout genre. Et pour reprendre le fil de la descente, on apprend que le niveau du cachalot c’est deux mille mètres et qu’à cette altitude inversée où il peut stationner deux heures sans respirer, il n’a presque rien à craindre des hommes. La température de l’eau est alors de quatre degrés, ce qui n’est pas bien grave, d’abord parce qu’il a le cuir épais et qu’ensuite, chacun sait qu’il suffit de s’y mettre et qu’une fois dedans « elle est bonne ». Mais c’est l’éléphant de mer qui va le plus loin dans la catégorie mammifères, à près de trois mille mètres. Un vrai spectacle en tout cas que cette exploration des abysses jusqu’à 10.000 mètres, même pas la plus grande largeur de Paris. C’est pourquoi en « ressenti », l’on dirait cent fois plus.

Selon les mots de la directrice du musée, cette exposition vise à « l’exploration des confins » à travers cinq thématiques comme la Terre, du temps où l’Australie ne figurait pas encore sur les cartes, jusqu’aux limites connues de l’espace. Et en passant par la découverte du Pôle Sud par le commandant Charcot dont il est fait ici grand cas, y compris à travers une amusante publicité de la Vache qui Rit afin de « résister à la fatigue et au froid ». La scénographie a fait des choix en écartant beaucoup d’autres, mais ç’est toute la noblesse et le talent d’un scénographe de bien traiter plutôt que maltraiter en voulant tout traiter.

C’est en ne voyant pas le temps passer que l’on mesure à coup sûr si une exposition est réussie et celle-ci n’échappe pas à cette bonne règle, son seul défaut peut-être, étant de nous laisser un peu sur notre faim. Les confins ont mené les organisateurs à réserver toute une pièce aux micro-particules, celles que l’on ne peut pas voir tellement elles sont fines. Ce qui fait que pour détecter leur existence, les chercheurs n’ont d’autres choix que d’en détecter les traces, avec des ruses techniques. Et nous voilà face à la maquette du détecteur Atlas, qui pour de vrai fait sept mille tonnes et enterré quelque part du côté de Marseille à quatre-vingts mètres de profondeur. Sous une voûte de béton démente au cas où un hadron, un boson ou autre chinoiserie de la physique de l’extrême, s’en irait marquer un penalty au stade vélodrome. C’est le monde des neutrinos, aussi invisible que Dieu, sauf que dans les deux cas, on peut en traquer les empreintes quand ce ne sont pas des dégâts.

C’est le personnage de Lefuneste, personnage donnant la réplique au héros de bande dessinée Achille Talon (par Greg), qui se moquait précisément du nez de ce dernier en estimant que vu sa taille, toute expédition à l’intérieur de ses narines constituerait « une exploration sans fin ». En effet une expédition qui touche au but n’en est plus une, mais ce ne sont pas les secteurs qui manquent en matière d’infini, comme celui de la sottise au hasard, un univers immense à même de reléguer la question astrophysique au niveau d’une équation du dimanche.

PHB

« Explorer l’infiniment », jusqu’au 12 mai 2024, Musée des Arts et Métiers, 60 rue Réaumur Paris 75003
Photos: ©PHB
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