Pâtisserie littéraire

La madeleine est un gâteau en forme de coquille, fait de farine, de sucre, d’œufs, de beurre fondu, avec une pincée de levure chimique. La bosse caractérisant son apparence constitue un exemple de physique amusante. Le secret consiste à réaliser, au moment du début de cuisson, un choc thermique, entre la pâte, préalablement conservée au réfrigérateur, et le four, chauffé à 220°C. Dès lors, dans le moule propre à la confection, la pâte en contact avec les bords chauffe en premier, gonfle sous l’action de la levure et de la vapeur d’eau. Elle remonte le long du moule pour recouvrir le centre de la préparation. Ce dessus cuit rapidement, formant couvercle. Lorsque le centre sous-jacent, plus épais, commence à gonfler, il pousse ce couvercle et provoque l’apparition d’un petit monticule. Le tour est joué. L’histoire de cette pâtisserie relève, comme souvent, de l’improbable. On y retrouverait Stanislas Leczinski, passé roi de Pologne, beau père de Louis XV, présentement duc de Lorraine, de 1737 à sa mort, en 1766. Il reçoit, ce jour là, en son château de Commercy. Une dispute a éclaté, à l’office, entre son intendant (d’autres prétendent son bouffon, Nicolas Ferry) et le maître-queux. Celui-ci, furieux, rend son tablier, et s’en va, avant d’avoir réalisé les desserts.. Embarras de l’Altesse, exposée à un repas raté.
Mais l’une des résidentes à la Cour, la marquise de Barmont, propose l’intervention de sa servante. Laquelle réalise une simple recette tenue de sa grand-mère. Cela fait l’affaire, à défaut d’autre chose. Au sortir de table, le souverain se fait présenter la jeune femme À l’énoncé de son nom, Madeleine Paulmier, il baptise « madeleine » la friandise.
Aujourd’hui, qui entend « madeleine » succombe immédiatement à cet automatisme verbal: « ah oui, madeleine de Proust ! », et s’embarque aussitôt pour Cabourg.

Car ce modeste biscuit y est devenu un objet de culte. S’agissant de l’exploitation de l’auteur de « À la recherche du temps perdu », le syndicat d’initiatives cabourgeais et les commerçants locaux n’ont pas perdu leur temps. Il y a du Marcel Proust à toutes les sauces. Une boutique-salon de thé propose la formule Marcel Proust, un thé au choix accompagné de deux madeleines. La cuisine du Grand Hôtel, sur réservation et moyennant une poignée d’euros, accueille un atelier d’une heure enseignant comment confectionner une madeleine. La direction de l’établissement a d’ailleurs annexé l’écrivain, avec buste en bronze dans le hall et chambre 414, celle de Marcel, relookée vieillotte en article d’appel. Il existe désormais un colloque proustien mondial, des journées musicales Marcel Proust. Depuis 2021, une bâtisse, dite « Villa du temps retrouvé », se consacre à l’imaginaire du narrateur.. On ne va pas jusqu’à prétendre qu’il y a vécu, mais il a connu le propriétaire initial. Tous les deux ans, le cercle littéraire proustien de Cabourg, rebaptisé Balbec par Marcel, récompense une œuvre permettant l’étude, l’approfondissement ou la promotion de son œuvre. Le nom du prix ? « La Madeleine d’or »…

Le point de départ de tout ce filon ? En 1907, ayant entendu vanter le confort d’un nouvel hôtel sur la côte normande, il s’y fait conduire. L’atmosphère étant profitable à ses bronches fragiles, il y revient sept ans de suite… C’est tout. Il cesse en 1914 pour des raisons mal élucidées. Certains évoquent, à ce propos, le souvenir douloureux d’un amour non partagé, Alfred Agostinelli, le taxi qui l’avait promené dans la campagne alentours, dont il avait fait son secrétaire et qui venait de mourir d’un accident d’avion. Retenons, toutefois, qu’en 1914, une partie de l’hôtel, transformé en hôpital, accueillait les blessés de la bataille de la Marne.

Quant à cette anecdote de madeleine ?. Rien à voir avec Cabourg, mais avec Combray.. Ou plutôt Illiers (1), commune d’Eure-et-Loir, rebaptisée Combray par l’écrivain.. Eh oui, chez Marcel, rien n’est simple. Un court passage « Du côté de chez Swann », rapporte un effet de mémoire involontaire. Une bouchée de cette madeleine « courte et dodue », qu’on croirait  « moulée dans la valve rainurée d’une coquille Saint-Jacques », accompagnée d’une cuillère de thé, replonge le narrateur dans le récit de l’enfance, lorsqu’il était taraudé par la peur, le soir, d’aller se coucher. Mais, pour sa part, le touriste n’ayant rien lu de l’œuvre impérissable imaginera un autre récit: Marcel, attablé face à la mer, prenant son five o’clock avec une madeleine, derrière la large baie vitrée du salon du Grand Hôtel.
Pour comble de contrariété, retravaillant les manuscrits originels, des chercheurs ont mis en évidence qu’avant de s’arrêter sur la madeleine, Marcel avait écrit « pain grillé », puis « biscotte » ….. « le pain grillé de Proust ? », beaucoup moins porteur pour le bizenèce !

Jean-Paul Demarez

(1) La commune s’appelle, depuis 1971 Illiers-Combray. Musée dans la maison de tante Léonie ou le petit Marcel passa des vacances entre 1877 et 1880. On y vend aussi des madeleines.
Photo: ©PHB
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4 réponses à Pâtisserie littéraire

  1. Daniel Marchesseau dit :

    Fidèle lecteur, vos chroniques sont toujours … savoureuses.
    mais dit-on cuillère ou cuiller selon Proust ?
    Les deux orthographes sont bons pour le businèce qui ne manque pas de sel.

  2. Hormiguero dit :

    Dossier très complet ! Il ne manque pas une miette. Bravo.

  3. Joël Gayraud dit :

    Merci de nous expliquer l’origine de la madeleine. Mais tout de même, maître-queue, maître-queue, vous y allez fort ! On avait beau être plutôt libertin à l’époque de Louis XV, dans les cuisines on trouvait plutôt un maître queux. Quant à derechef (car de la queue on est bien obligé de passer à la tête), ce bon vieil adverbe ne veut pas dire « aussitôt », mais « de nouveau, une seconde fois ».

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