Comme par hasard

Finalement la coïncidence la plus facile à admettre est dans l’ordre de la géométrie. Si deux figures se superposent ou s’emboîtent en effet, on peut dire qu’elles coïncident. Elles atteignent même une forme de perfection telle que dans la vie de tous les jours, nous serions bien heureux d’en éprouver plus souvent. La seconde définition c’est lorsque deux événements se produisent en même temps. Vous pensez à votre mère et la voilà qui sonne à la porte avec, dans les bras, le clafoutis aux fraises dont vous songiez en secret. Et puis il y a ce qui se produit par hasard ou comme par hasard, vous souhaitez être tranquille et le casse-pied du quartier se présente à vous sur le même trottoir avec le sourire. En 1919, un biologiste autrichien, Paul Kammerer, avait théorisé par extension une quatrième option, dont il avait fait un livre intitulé « La loi des séries ». Une loi aussi importante que celle de Newton selon lui, dont elle serait ni plus ni moins que le complément. Un ouvrage décrié et pourtant décrit comme Einstein en personne comme « plein d’esprit » et « tout sauf absurde ». Et dont la traduction en français vient de paraître pour la première fois, pile au moment où les librairies ne l’attendaient pas.

Ce livre faisait partie de la bibliothèque du romancier Arthur Koestler (1905-1983) et c’est à ce titre qu’il paraît dans une collection spécifique des éditions Aux Feuillantines. L’ouvrage est composite pour le moins, l’éditeur s’en excuse d’ailleurs, les cent cas d’espèces de Paul Kammerer sont effectivement un peu longs à venir. Ceci afin de mieux nous présenter ce scientifique né en 1880 en Autriche. Lequel, spécialisé dans les batraciens et autres amphibiens, avec une dilection pour les brosses copulatives du crapaud accoucheur et, un brin tiraillé entre Darwin et Lamarck, se fit à ce point étriller par ses pairs qu’il mit fin à ses jours un jour de septembre 1926. Il laissait derrière lui une carrière entachée par le doute et une réputation de séducteur assez doué, mais à la peine sur la longueur.

Son premier exemple couché sur le papier faisait référence au 25 juin 1912, jour où il avait assisté à un concert au sein de la Beethovensaal de Vienne. Son fauteuil se trouvait au 18e rang. Et lorsqu’il se rendit derechef à un concert, le lendemain au Bösendorfersaal, son siège était également au 18e rang. Pour lui ce n’était donc pas un hasard, mais quelque chose résultant de sa future loi sur les séries, renforcé dans sa conviction qu’il était arrivé la même aventure à son beau-frère de et, même genre de punition même tarif deux jours après, le 25 juin 1912. Le reste à l’avenant: avec un rêve que lui raconte sa femme, il introduit dans le bizarre la notion de pensée prémonitoire avec un événement qui se produit le lendemain, ou encore ce qui ne manque jamais de nous interpeller, trois accidents ferroviaires en l’espace de quelques jours. Et il observe aussi un jour, deux conversations identiques à un bout et à autre d’une longue table, suggérant au fond l’idée qu’un contexte peut être créateur de coïncidences.

Ce domaine de recherche est un peu vertigineux, il faut bien l’admettre. Entre Einstein  postulant que le hasard n’était rien d’autre que Dieu se promenant incognito et le prix Nobel Jacques Monod qui écrivit un ouvrage déconseillé aux migraineux titré « Le hasard et la nécessité », nombreux furent ceux qui se frottèrent au pourquoi du comment. On touche au prédictible, aux statistiques, mais aussi aux merveilleux puisque certaines coïncidences sont à même de nous remplir de joie. On ne les voit plus comme telles, mais comme une surprise, avec un ange comme intercesseur. Du fait d’être pris à l’improviste, Marivaux en avait d’ailleurs tiré une pièce bien connue qu’il avait baptisée « La surprise de l’amour ». Dans ses « Confessions », Rousseau écrivait: « Je me surprends parfois à pleurer comme un enfant. »  C’est ça le plus fort, lorsque l’on est soi-même l’artisan de sa propre surprise, créateur d’une coïncidence impromptue, comme de réussir du premier coup à balancer une feuille de papier froissée dans la poubelle située à l’autre bout du salon.

Évidemment que ça ne marche pas à tous les coups, ce serait trop facile et de surcroît, la dimension quelque peu magique voire vaudou de la coïncidence, se dissoudrait dans une routine décevante. Et il est bon de souhaiter en secret, mine de rien, de croiser demain celle ou celui dont on rêve de jour comme de nuit. « Merci mon Dieu » disent les croyants si cela se produit. Pour les autres, ce ne sont pas les formules qui manquent, entre le simple coup de bol, la bonne étoile, le coup de l’ange gardien, la conjonction des astres et le karma de ma tante.

PHB

« Le grand livre des coïncidences » Paul Kammerer, Aux Feuillantines éditions 22,90 euros
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3 réponses à Comme par hasard

  1. Sans oublier C-G Jung et sa notion de synchronicité !!!

    • Sylvie Cerf dit :

      Merci! Je prenais ma plume pour répondre pareillement!
      Les synchronicités se vivant à un niveau spirituel et non seulement matériel

  2. Joël Gayraud dit :

    On mentionnera également ici le hasard objectif théorisé et magnifié par André Breton et les surréalistes.

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