De valeureux chevaliers pour commémorer Jin Yong

Hong Kong rend hommage à l’un de ses écrivains les plus renommés. Il y a cent ans, naissait Zha Liangyong, du nom anglicisé de Louis Cha, surtout connu sous le nom de plume Jin Yong. Né en 1924 à Haining dans la province chinoise du Zhejiang, il est décédé à l’âge de 94 ans, en 2018, au Port au parfum. Ses livres, traduits dans 14 langues différentes, se sont vendus à plus de 100 millions d’exemplaires dans le monde. Auteur de quinze romans aux plus de 1400 personnages, le prolifique Jin Yong est considéré comme le chef de file du mouvement de renouvellement du « wuxia » (arts martiaux et chevalerie) littéraire. Prolongeant son influence, les œuvres épiques qu’il avait commencé à rédiger à partir de 1955, ont inspiré de grands réalisateurs de films tels Wu Pang, Chang Cheh, Hua Shan, ainsi que Wong Kar-Wai. Jin Yong est une figure à laquelle les Hongkongais sont très attachés. Afin de commémorer son œuvre, tout en perpétuant son rayonnement dans la modernité chinoise, le Hong Kong Heritage Museum (HKHM) présente, jusqu’au 7 octobre, l’exposition gratuite « Un chemin vers la gloire – Mémorial du centenaire de Jin Yong, sculpté par Ren Zhe. »

Cette initiative est soutenue à la fois par la famille de Louis Cha et par Ming Ho Publications Corporation Limited, qui détient une licence exclusive de droit d’auteur pour utiliser et adapter les romans d’arts martiaux de l’écrivain. Le titre de l’exposition s’inspire d’une citation de son roman (aux 40 chapitres) le plus populaire « Le retour du héros chasseur d’aigles »: « Servir le pays et les hommes est un chemin vers la gloire ». Celle-ci est dite par le protagoniste Guo Jing. Ce dernier explique l’impératif de se comporter en héros véritable au personnage Yang Guo, dont il se charge de l’éducation chevaleresque. Rappelons que l’intrigue de « L’aigle géant et son compagnon » se déroule sous la dynastie des Song du Sud, à l’époque de l’invasion mongole. Comme dans la plupart des fictions de Jin Yong, les valeurs traditionnelles chinoises confucéennes y sont décrites, en l’occurrence la relation respectueuse et d’admiration qui doit exister entre maître et disciple. Malgré tout, dans « Le retour du héros chasseur d’aigles », l’un des caractères s’éprend de son maître d’armes, dérogeant aux règles fondamentales du « wuxia ». Raconter cette entorse à des principes millénaires serait-elle une manière de questionner leur validité dans le monde d’aujourd’hui.

Quoi qu’il en soit, adoptant des poses inspirées des arts martiaux, les fanatiques des œuvres de Jin Yong se font une joie immense de se faire photographier à côté des 22 statues exposées. Elles redonnent vie aux illustres personnages qui les fascinent. À vrai dire, ces sculptures effraient un peu. Un tel élan se dégage d’elles, quelles paraissent prêtes à poursuivre leur mouvement d’attaque. Soudain nez à nez avec Guo Jing, le spectateur inquiet s’éloigne. Les yeux du héros fixent le soleil, son arc est levé. Il pourrait bien décocher une flèche.

Prêtes à se mouvoir, toutes ces créatures sont tout à fait de la signature de Ren Zhe. Né à Pékin en 1983, ce jeune sculpteur surdoué de sa génération est en effet réputé pour ses représentations contemporaines de guerriers en acier inoxydable, qui diffusent une atmosphère de puissance et d’assurance indestructible. Au HKHM, la présentation de ses statues conquérantes, pour la plupart au premier étage du musée, s’accompagne en outre d’installations multimédia créées par l’équipe de Victor Wong, l’inventeur du premier peintre à l’encre intelligence artificielle, A.I. Gemini. Victor Wong est célèbre aussi pour ses installations artistiques numériques immersives dans plusieurs musées. Tous les moyens modernes sont mobilisés pour plonger le public de l’an 2024 dans ce monde « wuxia » revisité de Jin Yong, où l’imaginaire accompagne de multiples cadres historiques, allant du 6e siècle avant Jésus Christ jusqu’au 18e siècle, à l’époque de la dynastie Qing.

Quant au visiteur qui souhaite se remémorer le visage de son romancier favori, celui-ci est convié au rez-de-chaussée, à la galerie permanente dédiée à l’auteur (inaugurée en 2017). Il y contemplera le buste de 60 centimètres de haut de Louis Cha (offert au musée par sa famille) calqué sur son image des dernières années. Ce portrait également a été sculpté par Ren Zhe. D’autres trésors encore y attendent les pèlerins, comme le stylo à plume ou le presse-papier en forme de dragon utilisés par l’auteur. D’anciens numéros du journal Ming Pao nous rappellent, qu’avant d’être écrivain à succès, Louis Cha était journaliste. C’est lui-même qui avait cofondé, en 1959, avec son camarade de classe Shen Baoxin, le journal hongkongais dont il était le rédacteur en chef et où il publiait, sous forme d’articles, la plupart de ses fictions.

La politique non plus n’était guère un domaine étranger à cet homme engagé. Membre du comité de rédaction de la Loi fondamentale de Hong Kong (constitué après la déclaration commune sino-britannique de 1984 annonçant la rétrocession du territoire à la Chine populaire), Louis Cha a participé aussi au Comité préparatoire destiné à superviser la période transitoire menant à la rétrocession, le 1er juillet 1997. À l’image de ses héros modèles, Jin Yong était un chevalier doté de plusieurs cordes à son arc.

Edwige Murguet

Chronique simultanément publiée sur le site www.keihsahtle.com, édité par Edwige Murguet
Photos: Edwige Murguet (sculptures, Ren She)

 

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