Le Mois Molière à Versailles

Depuis 28 ans, le spectacle vivant prend ses quartiers d’été à Versailles, en juin, marquant ainsi le lancement de la saison des festivals. Avec l’arrivée des beaux jours, le Mois Molière se déploie dans une soixantaine de lieux, en intérieur ou à ciel ouvert, en accès libre ou pour une somme modique, avec près de 330 spectacles proposés, professionnels et amateurs. Si le Festival a pris le nom de l’auteur du “Malade imaginaire”, artiste majeur des festivités de la Cour à Versailles et grand contributeur des Plaisirs de l’Île enchantée de Louis XIV, il s’ouvre à bien d’autres répertoires. Pièces classiques et contemporaines, auteurs français et étrangers, spectacles de troupe et seuls-en-scène, concerts et chorales…. Les propositions théâtrales et musicales pour petits et grands abondent. Un petit Avignon avant l’heure, à l’ombre d’un majestueux château…

“Cette année, j’ai notamment souhaité mettre à l’honneur le théâtre contemporain et de nouveaux textes, avait annoncé le maire de Versailles François de Mazières, créateur et programmateur du Mois Molière. Une large place sera faite à la comédie. Molière nous a en effet montré la voie: plus le monde se déchire, plus le théâtre doit nous inviter à réfléchir et à soigner nos esprits inquiets par l’humour, même en parlant de sujets graves.”

De Molière, il sera néanmoins question et magnifiquement puisque Monsieur le maire a fait appel, dès le deuxième jour, à l’enfant du pays Denis Podalydès pour un seul-en-scène intitulé “Molière : Il ne faut point dire bagatelle !”. Dans la majestueuse salle bleue et or du Théâtre Montansier, le sociétaire, dont les talents d’écrivain ne sont un secret pour personne, s’est adonné à la lecture de son dernier livre “En jouant, en écrivant. Molière & Cie” (Éditions Seuil, parution octobre 2023). Moment délicieux, d’une intelligence rare, où l’interprète d’Harpagon nous a conduit avec maestria dans les rouages de la pensée moliéresque et de l’art théâtral. Moment de grande intensité où, grave, il nous a livré le récit d’une répétition de “Monsieur de Pourceaugnac” un 11 septembre 2001 au Théâtre du Vieux-Colombier… Et grand bonheur lorsque lâchant son livre, le comédien lance un “Qu’est-ce donc ? qu’avez-vous ?” pour répliquer aussitôt “Laissez-moi, je vous prie.”, et nous livrer, dans une vertigineuse partie de ping-pong, la joute verbale de la première scène du “Misanthrope”, jouant à la fois Philinte et Alceste. Ce fut un tonnerre d’applaudissements qui salua le comédien après sa dernière réplique “Mais la raison n’est pas ce qui règle l’amour.”

“Le Bourgeois gentilhomme” et “Le médecin malgré lui” (d’après “Le Mariage forcé” de Molière), mais aussi “Jouer Molière aujourd’hui”, une conférence, “Molière et la Musique”, des œuvres de Lully, Charpentier, Couperin et Gounod, “À l’école de Molière”, une pièce composée d’extraits d’œuvres de l’illustre auteur, “Mon Molière” par le comédien et auteur lausannois Ahmed Belbachir ou encore “Molière revisité : les Autres” par une troupe de migrants suivant des cours de français et d’alphabétisation et d’élèves de terminale, Molière se décline sur tous les tons et pour tous les publics.

À ses côtés, on note, cette année, la présence de Beaumarchais (“Le Barbier de Séville”), Feydeau (“Un fil à la patte”, “On purge bébé”), Nikolaï Gogol (“Le Journal d’un fou”, “Le Revizor”), Shakespeare (“La Tempête”) ou encore Camus (“L’État de siège”) et Pagnol (“La Gloire de mon père”, “Le Temps des secrets”).

Certains spectacles sont des créations, d’autres des reprises. Mesguich père et fils, Franck Desmedt et le Théâtre du Petit Monde viennent ainsi jouer dans la Cour des Grandes Écuries, lieu prestigieux entre tous, de beaux succès passés et présents : “Le Souper” de Jean-Claude Brisville, “Kessel, la liberté à tout prix” de Mathieu Rannou et “Une Soirée chez Offenbach” de Martin Loizillon.

Mais, comme annoncé, le théâtre contemporain n’est pas en reste, loin s’en faut. Ainsi le Festival s’est-il ouvert avec la dernière comédie de Gilles Dyreck, “Je m’appelle Georges”(1). Interprétée par le talentueux Grégori Baquet et un quatuor d’excellents comédiens (Mélanie Page, Stéphane Roux, Marine Dusehu et Étienne Launay), cette comédie (photo ci-contre), qui aborde la question du destin dans les relations amoureuses, est des plus savoureuses! Autre découverte: “Le Géniteur” de François de Mazières. C’est aussi sur une note humoristique que Monsieur le maire aborde le sujet de la PMA à travers une pièce de sa composition: un homme, issu, comme son épouse, d’une fécondation artificielle, cherche à tout prix à connaître leurs pères génétiques respectifs avant de fonder une famille. On y retrouve l’excellent Martin Loizillon du Théâtre du Petit Monde, accompagné de la délicieuse comédienne québécoise Mylène Bourdeau et de Salvadore Ingoglia, pataud à souhait.

Et, pour la première fois, le Mois Molière aura son propre lieu au Festival d’Avignon, une nouvelle scène située dans la chapelle de l’ancien Carmel (2). Alors Versailles avant Avignon ou Avignon après Versailles, place au théâtre!

Isabelle Fauvel

(1)  “Je m’appelle Georges” se jouera au Festival d’Avignon off, du 29 juin au 21 juillet, au Théâtre Actuel Avignon (17h40), puis au Théâtre Actuel La Bruyère, à Paris.
(2) Huit spectacles du Mois Molière se joueront dans l’ancien carmel, du 3 au 21 juillet : “La Gloire de mon père” et “Le Temps des secrets” (à 11h, en alternance), “La Valise” de et avec Sophie Forte (13h), “La Liste de mes envies” d’après le best-seller de Grégoire Delacourt et “Les Lauriers roses” de Sidi Bel Abbés (à 15h, en alternance), “Le Géniteur” (17h), “Paris-Istanbul, dernier appel” d’après l’œuvre de Sedef Ecer dans une mise en scène d’Éric Bouvron (19h) et “On purge Bébé” (21h) dans une mise en scène d’Antoine Séguin.
La 28e édition du Mois Molière: https://www.moismoliere.com/
Photos: © Juliette Glaesener Ville de Versailles
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