Strasbourg ne manque pas de musées mais, parmi ces derniers, un petit bijou se distingue particulièrement: le Musée alsacien. C’est sur les quais qui bordent l’Ill, au 23 quai Saint-Nicolas, que le Musée alsacien a pris place dans un magnifique édifice à colombages de la fin du XVIe, où activités artisanales et commerciales et espaces d’habitation coexistaient. Autour d’une cour pavée, les étages du bâtiment, parcouru de coursives en bois et rythmé de fenêtres en cul-de-bouteille, montrent la spécificité et la diversité de l’identité alsacienne. Lors du parcours, on explorera tour à tour les thèmes de l’habitat, l’habillement, les rites et les croyances, la religion, le travail… L’histoire du Musée alsacien est plutôt surprenante. Il a été créé en 1902, soit à une époque où l’Alsace était annexée par l’Allemagne; et c’est en tant que lieu d’affirmation de l’identité française qu’il a été fondé, contrairement à ce qu’on aurait pu imaginer. La tolérance allemande ne survivra pas pendant le Première guerre mondiale où la société du musée sera liquidée, la ville pourra toutefois la racheter (bâtiment et collections) dès 1917.
Les collections se sont enrichies depuis, regroupant aujourd’hui plus de 50.000 objets du XVIIIe au XXIe. La visite du musée nous fait parcourir une maison alsacienne traditionnelle, dont les pièces sont regroupées autour de la Stub, l’âme du foyer. Des Alsaciens utilisent toujours le nom de Stub pour nommer ce que l’on appellerait aujourd’hui une « pièce-à vivre ». Recouverte de lambris en bois, meublée d’une grande table avec bancs et chaises à dossier à entrelacs, la Stub était souvent chauffée par un Kacheloffe (poêle à bois recouvert de carreaux de céramique). Les espaces de cette maison, ses objets, quelquefois insolites, et des cartels explicatifs, nous immergent dans la culture régionale. Mais cela ne s’arrête pas là. Le musée s’attache aussi à détricoter, non sans humour, bien des clichés ayant trait à l’Alsace et répond à tout -ou presque- ce qu’on a toujours voulu savoir sur les particularismes de la région.
Commençons par les clichés. Eh bien si vous pensez qu’autrefois toutes les femmes alsaciennes étaient parées de la coiffe typique au gros nœud noir, vous vous trompez. Cette coiffe n’a existé qu’aux environs de Strasbourg à la fin du XIXe siècle. Sans aller jusqu’à la haute coiffe bigoudène, le bonnet de tulle était aussi porté en Alsace. Le musée présente d’ailleurs une coiffe spectaculaire avec une bordure de dentelle blanche de 17cm de large fixée en éventail autour du bonnet. Autre cliché, la méticulosité avec laquelle les ménagères alsaciennes entretiennent leur intérieur. On peut voir dans une vitrine un Spritzhafe, un pot de grès avec une anse et resserré dans le bas pour laisser couler un filet d’eau. Cet objet, que plus personne ne connaît, est un arrosoir de chambre. Il permet d’humidifier le plancher pour fixer la poussière avant de la balayer. Celui exposé est un cadeau d’un fiancé à sa future épouse qui porte cette inscription: « Jeune-fille, lève-toi et fais cuire la soupe, va traire la vache et balaie la Stub ». Cliché ou non, à l’heure des robots aspirateurs on n’a plus à se demander si les Alsaciennes sont toujours de bonnes Putz (ménagères).
Parmi les objets insolites, un drôle de siège retient l’attention dans la chambre à coucher. C’est une chaise d’accouchement qui était souvent pliante. La sage-femme -rare profession qui permettait aux femmes d’être indépendantes- se rendait au domicile de la parturiente avec son propre matériel dont une chaise à accoucher comme celle présentée là. Autres objets étranges en fer forgé, des ex-voto en forme de crapauds. À cause de son aspect repoussant, on savait le crapaud associé à la mort et la sorcellerie. Mais pour ces ex-voto, c’est à la vie ou plutôt à la naissance que le crapaud était associé. Comme le crapaud pond des milliers d’œufs, son pouvoir protecteur était en effet invoqué pour exercer le vœu d’avoir un enfant.
Terminons, le parcours du Musée alsacien par la section consacrée aux religions. Depuis longtemps, les confessions catholiques, juives et protestantes cohabitent en Alsace comme en témoignent les nombreux objets présentés portant des valeurs de superstition, croyance ou spiritualité. Il faudra lire les cartels pour nous rappeler le particularisme de l’Alsace-Lorraine dans le domaine de la religion. En 1905 lors de la séparation de l’Église et de l’État, l’Alsace et la Lorraine sont allemandes. Non concernées, elles sont régies par le concordat de 1801 et les articles organiques. Elles le resteront après leur retour au sein de la France. Ainsi les ministres de ces cultes sont toujours nommés et rémunérés par l’État. De même les cours de religion en primaire et au collège doivent être organisés par l’école publique. Enfin les universités de Strasbourg et Metz sont les seules universités publiques françaises à enseigner la théologie qui est reconnue par un diplôme d’État.
Lottie Brickert
Excellent teasing Lottie, très efficace, il m’a vraiment donné envie de lire cet article! Qui se révèle d’ailleurs fort intéressant. A la prochaine occasion j’irai visiter ce Musée. Petite précision : j’ai connu moi aussi dans mon enfance auvergnate l’arrosoir de chambre qui domptait la poussière avant balayage. Il n’était pas en grés mais en simple métal… Signe de la frugalité de ma région d’origine?
« ce qui est poussière, retournera à la poussiere »….Comment mettre en rapport cette phrase avec la pratique de balayage à l’alsacienne?
En Pologne, c’est la neige qu’on dispersait sur les tapis, poor les nettoyer.
Merci pour cet article qui dépoussière nos idées reçues sur cette ville qui sent le pain d’épices.
PS. En polonais on dit ‘ »pucować », ce qui signifie nettoyer avec soin, ardeur, pur rendre les choses impeccables, brillantes
.
Une région avec une culture et une identité magnifiques, tout aussi magnifiquement illustrées par cet article. Allez visiter l’Alsace si vous ne la connaissez pas encore !
Un incontournable à Strasbourg! J’y retrouve là tout ce que j’ai vu et connu, enfant et adolescente , chez mes grands-parents alsaciens, dans leur vie quotidienne, et ces objets gardent tout leur charme. Merci pour cette invitation à découvrir ce ravissant musée.
Deux petites précisions concernant cet article bien intéressant :
– ne nous demandons pas si les alsaciennes sont encore de bonnes « Putz » (au risque de prononciation « ambiguë »), mais si elles sont encore de bonnes « Putzfreue », ce qui est plus conforme au patois alsacien, dont la pratique est désormais devenue bien rare en Alsace,
– en Lorraine, seule la Moselle reste soumise au régime particulier du Concordat de 1801, les 3 autres départements lorrains n’ayant pas fait partie de l’empire allemand.
Merci, cher lecteur, d’avoir rectifié en précisant que seule la Moselle est concernée. Et, s’agissant de l’emploi de « Putz » et non de « Putzfreue » il s’agit sans doute de notre jargon familial! N’étant pas Alsacienne, ma mère, en tant que « Française de l’Intérieur », n’était pas une puriste du patois.
Bravo Lottie très intéressant, ça me donne envie de retourner à Strasbourg que j’ai connu dans ma jeunesse estudiantine. J’allais visiter mes amis du Conservatoire de musique !
A cette époque je n’allais pas trop dans les musées !
J’y allais pour faire la fête !!!