Lorsque l’art et la politique interagissent, le résultat se nomme « la propagande ». Le pouvoir utilise l’art, pictural ou statuaire, pour célébrer des personnalités marquantes, ou pour produire un certain type de réalité humaine ou sociale, par l’imposition de figures présentées comme exemplaires. Bonaparte a abondamment fait usage de ce mélange des genres pour fonder le mythe napoléonien. Les régimes totalitaires du XXe siècle l’ont poussé à son paroxysme. Les nazis ont forgé « l’art allemand », les soviétiques ont défini le « réalisme socialiste ». Très curieusement, sur des pré-supposés différents, le résultat visuel apparaît très voisin. Les uns vont célébrer l’identité nationale; entre ordre et nature, illustrer la noblesse du travail et le caractère central du Volk (peuple), les autres vanter l’avenir radieux, louanger le sens communautaire du peuple uni par les idéaux marxistes. Cela donne des œuvres proches du chromo. Parallèlement est abondamment représenté le personnage central, le Führer, d’une part, le génial Staline (ci-dessus par Picasso), de l’autre. L’exposition en cours consacrée à Nadia Léger par le musée Maillol nous montre comment un engagement politique va influer sur l’œuvre d’une artiste. Elle débute et se termine par le panthéon du parti dont elle est membre, Lénine, Staline, Marcel Cachin, Maurice Thorez, Benoit Frachon, Pablo Picasso, etc…
Ces portraits très stylisés, réalisés entre 1944 et 1971, d’un format de 60 et 40 cm, sur fond d’aplats colorés, étaient agrandis jusqu’à 50 mètres carrés, pour orner les manifestations populaires, ou confectionner des mosaïques monumentales, offertes à différentes grandes villes de l’URSS.
Nadia Léger, née Nadia Khodossiévitch, le 4 octobre 1904, en Biélorussie, s’inscrit dès 15 ans au palais des Arts, créé à Beliov par le nouveau pouvoir, pour apprendre le dessin. Elle poursuit sa formation, de 1919 à 1921, à Smolensk comme élève de Kasimir Malevitch, apôtre du suprématisme. Il s’agit d’un courant issu du cubisme, utilisant des éléments géométriques et des contrastes de couleurs. Elle persiste dans cette voie non figurative à l’école des Beaux arts de Varsovie, fin 1921. Elle épouse un peintre polonais, Stanislas Grabovski, avec qui elle aura sa fille Wanda. Peu de peintures illustrent cette période dans l’exposition. Elle travaille ensuite à Paris, dans l’atelier de Fernand Léger, à partir de 1925. Elle devient son assistante, puis sa compagne, après son divorce en 1927 et son épouse en 1952. Dès lors, son expression graphique va être fortement influencée par le maître, certaines des peintures présentées pouvant, au premier regard, provenir du pinceau de l’un ou de l’autre.
Si Fernand Léger accepte dans son atelier, de 1924 à 1955, des élèves pratiquant un peu tous les genres picturaux, de Simone Herman à Nicolas de Staël, il est tenant, quant à lui, de représentations véridiques de la réalité. L’exposition présente un éventail de la production de différents artistes, ainsi que de la lecture faite par Fernand et Nadia d’un art « socialiste dans son contenu, et réaliste dans sa forme ». Des archétypes de travailleurs, le mineur, la poissonnière, les marins, les constructeurs….
En 1932, Nadia Léger adhère au parti communiste. Un autoportrait en témoigne, où elle pose devant un rideau rouge ondulant. Elle est fidèle à la ligne, jusque dans l’approbation du pacte germano soviétique. En 1941, à l’entrée en URSS des blindés allemands, elle rejoint les FTP (1). Un portrait de sa fille, vêtue de rouge, un bouquet multicolore dans les bras symbolise la jeunesse luttant contre l’occupant. On retrouvera Wanda, coiffée d’un bonnet phrygien, dans la gigantesque affiche surplombant le 1er congrès de l’Union des femmes françaises, en juin 1945, à la Mutualité. Nadia Léger persistera dans cette voie, célébrée par Aragon et Triolet, les gardiens de l’orthodoxie culturelle. En 1953, à la mort de Staline (« l’homme que nous aimons le plus« , selon la phraséologie de l’époque), elle reprendra, en guise d’adieu une photographie officielle présentant un Staline paternel et une jeune pionnière Il s’agissait en fait d’une réaction à un portrait du Petit père des peuples, par Picasso, publié dans le numéro du 12 mars 1953 des Lettres Françaises,
Le dessin, d’un style très particulier, avait valu à Aragon, le directeur du journal, un intense courrier de protestations de la part des militants, y voyant un grave manque de respect.
La conquête de l’espace fera revenir Nadia Léger à une sorte de néo suprématiste, ses portraits de Lénine et de Youri Gagarine très réalistes, étant entourés de formes géométriques aux couleurs vives, figurant « la turbulence des astres ».
Maurice Thorez, en 1950, célébrera en particulier Fernand et Nadia: « Aux œuvres décadentes des esthéticiens bourgeois, nous avons opposé un art qui s’inspirait du réalisme socialiste…un art qui aiderait la classe ouvrière dans sa lutte libératrice. »
On ne saurait mieux dire !
Jean-Paul Demarez
Excellent article.Je me suis toujours demandé comment une personne maîtrisant les techniques de la peinture ayant l’extraordinaire chance de fréquenter intimement des géants comme Mâlevitch et Léger et donc une multitude d’artistes de qualité,plus originaux les uns que les autres n’ait produit que des reprises léchées d’une certaine période de FERNAND LEGER sans même apporter un quelconque changement dans la mise en place de ses copies. Si on voulait coûte que coûte trouver une expression personnelle on pourrait dire : c’est parfois plus « léché « que ce que fait FERNAND Est ce un compliment ?
Du Fernand Lécher, quoi !