Nul n’ignore plus que les Anglais sont passés maîtres dans les séries télévisées les plus accomplies. Deux nouvelles miniséries concourent à ce palmarès, « Douglas Is Cancelled » sur Arte.tv et « Adolescence » (même mot en anglais et français) sur Netflix.
Les créateurs British des quatre épisodes de « Douglas Is Cancelled » (littéralement « Douglas est annulé ») ont conservé le titre original à l’étranger, pour bien marquer leur intention première: pointer le concept de « culture de l’annulation » ou « cancel culture » apparu vers la fin des années 2010, désignant la dénonciation publique d’une personne pour ses actions ou ses paroles jugées socialement ou moralement offensantes ou inacceptables, en particulier sur les réseaux sociaux. On pensait le concept un peu passé de mode, quand la BBC nous le ressort dans le milieu de la télévision, propice aux intrigues de cour. À la conception et au scénario Steven Moffat, le cocréateur de « Sherlock », la fantastique série plongeant le plus célèbre détective du monde dans notre univers contemporain.
Les choses commencent sur un ton plutôt badin, comme dans toute machination subtile et implacable. Douglas Bellowes, présentateur vedette depuis trente-cinq-ans des news de dix-huit heures cinq jours par semaine, s’est adjoint depuis un an une partenaire, la jeune et sexy Madeline. On se méfie d’autant moins que Douglas a les traits de Hugh Bonneville, le si sympathique seigneur et maître de « Downton Abbey », la série que nous avons tant aimée pendant si longtemps. La bonne cinquantaine bien nourrie, le visage patelin, il ne prend pas au sérieux son producteur Toby lorsque ce dernier lui signale un tweet d’un inconnu l’accusant d’avoir fait une blague « extrêmement sexiste » en public récemment. Mais pourquoi dit-il qu’il a pu faire une blague « sexiste mais non misogyne »?
Or voilà que sa partenaire et amie Madeline (subtile Karen Gillan), l’énigmatique Madeline à la longue chevelure rousse, aux jambes interminables et aux plus de deux millions de followers sur Twitter, retransmet le tweet accusateur, accompagné d’une formule ambiguë. Elle ne pouvait pas faire pire. Le compteur sur Twitter explose.
La comédie se poursuit sur un ton vaudevillesque, avec un Douglas aux prises chez lui avec sa femme Sheila, patronne d’une feuille racoleuse qui s’enflamme contre cette Madeline: « Tu n’as que Madeline à la bouche! » Quant à sa fille Claudia, jolie rousse de 19 ans très militante, elle lui lance tranquillement au visage: « Je n’ai pas envie de te dénoncer, mais mon groupe pourrait le faire! »
Le vaudeville s’intensifie lors du second épisode, durant lequel le mâle blanc triomphant subit l’assaut conjugué de son épouse jalouse et de l’implacable Madeline. Coup de tonnerre à la dernière seconde: le regardant droit dans les yeux, Madeline lui jette: « Ce n’était pas une blague, n’est-ce pas, c’était une histoire à mon sujet? » On passe alors de la comédie à la tragédie. Le troisième acte consiste en un long flashback de l’entretien d’embauche de Madeline par Toby (redoutable Ben Miles), autre mâle blanc tout-puissant, morceau d’anthologie du genre auquel Douglas prêtera son concours. Madeline ne pardonnera pas.
Changement complet d’ambiance pour cette autre minisérie anglaise « Adolescence » qui défraie la chronique Outre-Manche et remue profondément la société. L’idée en est venue à l’un des acteurs les plus réputés du pays, Stephen Graham, cinquante-et-un ans, tête de baroudeur aux yeux sensibles (« The Irishman » de Martin Scorsese ou « Blitz » de Steve McQueen), frappé par un fait divers s’étendant sur le meurtre d’une jeune fille poignardée par un de ses camarades. L’acteur fit appel à Philip Barantini avec lequel il avait tourné en 2020 « The Chef », réalisé en un seul plan séquence, comme dans l’illustre exemple de »La Corde » de Hitchcock. La société de production de Brad Pitt se tourne alors vers Netflix et lui vend l’idée d’une minisérie en quatre plans séquence.
Le premier épisode débute comme un polar classique, avec brigade d’intervention enfonçant à l’aube la porte d’une maison de banlieue, pour se ruer l’arme au poing au premier étage vers un gamin assis sur son lit, mouillant son pantalon. Effroi total de cette paisible famille, le couple, dont le père Stephen Graham, la grande sœur et Jamie, treize ans, répétant comme un mantra « It’s a mistake » (c’est une erreur). Nous n’en doutons pas une seconde, alors que la caméra nous entraîne d’une traite au commissariat, où Jamie est traité comme un grand criminel.
Le deuxième épisode nous immerge dans le collège de ce Jamie d’allure si frêle, où nous découvrons avec stupeur les codes implacables qui régissent, via le Net, les relations entre garçons et filles. Le troisième épisode est le clou de la série, un entretien suffocant entre Jamie et la psychologue chargée d’évaluer son sens des responsabilités. Mais il nous faudra attendre le dernier moment pour être vraiment fixés, tout en regrettant que ce quatrième épisode axé sur le désarroi de la famille soit un peu trop larmoyant.
Lise-Bloch-Morhange
Arte.tv, « Douglas is Cancelled », minisérie en quatre épisodes, de 40 minutes
Netflix, « Adolescence », minisérie en quatre épisodes de 45 minutes
Source images: Arte et Netflix
Merci Lise pour cette belle critique de la série « Adolescence » que j’ai aussi apprécié. Édifiant sur les relations des adolescents entre eux avec le concept des incels et la cyberviolence. Mention spéciale au jeune acteur qui est époustouflant
D’autant plus que Owen Cooper, 13 ans lors du tournage l’an dernier, n’était pas un acteur, mais son exploit va sûrement lui valoir d’autres rôles…
Vu Douglas is cancelled, excellente série, en effet. Reste à voir Adolescence. Merci Lise.