To sleep or not to sleep

Le professeur Pierre Philip est un éminent personnage. Il est chef du service universitaire de médecine du sommeil au CHU de Bordeaux, médecin, psychiatre et membre d’une unité au CNRS. Il dirige depuis plus de vingt ans une équipe de recherche spécialisée dans l’hygiène du sommeil et les troubles mentaux. On l’entend volontiers pérorer sur France Culture, et il publie des ouvrages de vulgarisation sur le sujet. Sur la couverture de l’avant-dernier, « Réapprendre à dormir », datant de 2023 et publié en poche, une petite photo l’a saisi en veste sombre, chemise bleu clair à col boutonné et cravate foncée à pois ou motifs rouges. Grandes lunettes à monture noire, crâne parfaitement dégarni, et large sourire épanoui, comme si le sujet était extrêmement drôle. Le tout alliant sérieux et fantaisie à la fois. Pourtant qui ne connaît pas ou n’a pas connu des problèmes de sommeil ? On l’apprend d’emblée: selon le baromètre de Santé Publique France, « les troubles de sommeil (peuvent) toucher jusqu’à 60% des Français, soit le triple des plaintes d’anxiété et de dépression ». C’est considérable, et ce doit être la raison pour laquelle le professeur Philip nous accueille sur la couverture avec ce grand sourire. Soyez optimistes, vous qui ouvrez ce livre! Un si grand professeur doit connaître tous les secrets, toutes les réponses à tous nos troubles. Sans perdre de temps, il nous livre ce qu’il appelle « Les trois piliers du sommeil »: régularité, durée, qualité. On s’en doutait un peu, mais il faut attendre pour en savoir plus.

Après quelques généralités rapides sur la veille ou la lumière s’opposant au repos nocturne, il en vient naturellement à préciser les quatre stades du sommeil: Sommeil lent léger Stade 1 et Stade 2, Sommeil lent profond Stade 3, Sommeil paradoxal Stade SP. Une nuit de bon sommeil se composant de 4 ou 5 cycles de 90 minutes en moyenne.
Le professeur l’affirme: « On peut vivre sans manger pendant plusieurs semaines, mais essayez de vivre sans dormir ne serait-ce qu’une semaine et vous allez voir dans quel état vous allez vous retrouver! » Là aussi, on s’en doutait un peu. Mais le professeur insiste: en 2020, une recherche a démontré que l’animal pouvait mourir de manque de sommeil! Non, la veille n’est pas l’état naturel de fonctionnement de notre cerveau. La mémorisation et les apprentissages, par exemple, ont besoin de repos nocturne. Autre raison: il faut absolument dormir au moins une fois par 24 heures, et 6 à 8 heures par nuit, pour nettoyer le cerveau. Adoptant un ton léger, le professeur enchaîne: « Les maladies neurodégénératives comme l’Alzheimer sont principalement dues à l’accumulation de protéines Tau dans les cellules du cerveau. Autant dire que pour ne pas perdre la boule et finir dément, il vaut mieux préserver son sommeil! »

Tout ceci étant connu depuis pas mal de temps, on attend impatiemment de nouvelles données et de nouveaux remèdes. Mais il faut encore quelques préliminaires sur le sommeil inné (celui dont on hérite) et le sommeil acquis, sur le sommeil de l’enfance, de l’adolescence et des personnes âgées, toutes choses qui nous sont familières. Enfin nous voici au cœur du sujet: « L’hygiène de sommeil est probablement un des déterminants les plus importants de la santé au sein des populations occidentales et malgré cela, ses trois grands principes sont encore très méconnus. La régularité, la durée et la qualité du sommeil sont autant de facteurs majeurs qui nous permettent d’avoir un sommeil et surtout un niveau d’éveil dans la journée compatible avec nos attentes et une bonne qualité de vie. »

Curieux, se dit-on. Serait-ce si nouveau? Il y a longtemps que chacun de nous sait qu’il se sent bien dans la journée s’il a passé une bonne nuit de sommeil, et qu’il vaut mieux se coucher régulièrement vers la même heure chaque soir, sauf exception. Ne manquait plus que la référence à une étude portant sur des tribus vivant actuellement comme à l’ère préindustrielle, « étude fascinante » réalisée par l’UCLA (University of California at Los Angeles) datant de 2015. Miracle: parmi ces tribus de Bolivie et d’Afrique, le mot insomnie n’existe pas! Conclusion du professeur: « C’est bien la régularité du lever qu’il faut privilégier pour avoir un sommeil le plus naturel (comme les tribus) ».

Nous attendons toujours quelques révélations nous permettant de résoudre nos plus ou moins graves problèmes d’insomnies, d’endormissement ou de réveils fréquents au cours de la nuit, mais il faut nous contenter de conseils généraux sur le sommeil en période de vacances, sur le rapport-sport sommeil, sur les apnées, le somnambulisme et les rêves. Mais là-dessus, Freud nous a dit ce qu’il faut en savoir depuis longtemps…

 

Lise Bloch-Morhange

 

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5 réponses à To sleep or not to sleep

  1. Après Freud, poussez donc jusqu’à Jung…

  2. Gressé dit :

    Merci Lise ! Le livre a l’air parfaitement soporifique, il faut prendre le pli de le lire tous les soirs pour s’endormir profondément.

  3. anne chantal dit :

    Bravo ! Vous avez réinstallé- avec beaucoup d’élégance, un tant soit peu ..ironique – le professeur Philip sur son tabouret, alors qu’il semblait souhaiter un piédestal.
    Bel été,
    anne chantal

  4. Lise Bloch-Morhange dit :

    Contente que l’ironie ne vous ait pas échappé, merci pour votre élégance à vous, et passez un bel eté!

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