Le mantra de François Truffaut (1932-1984) était « Nous sommes des écrivains qui faisons des films », mais peut-être est-ce seulement maintenant que nous prenons la pleine mesure de cet aphorisme. Nous savons bien sûr que la bande de la Nouvelle Vague commença par se défouler comme critiques dans Les Cahiers du Cinéma. Truffaut, Godard, Chabrol, Rivette, Rohmer, tous se déchaînèrent, Truffaut en tête, contre Gilles Grangier, Claude Autant-Lara, Marcel Carné, Henri Decoin et autres représentants de l’académisme à l’écran. Un mois seulement avant la présentation, au festival de Cannes, du premier long métrage signé Truffaut « Les Quatre Cent Coups », qui allait changer la face du cinéma français, Godard écrivait dans Arts, autre publication phare: « Nous avons gagné en faisant admettre le principe qu’un film de Hitchcock, par exemple, est aussi important qu’un livre d’Aragon. » (22 avril 1959).
Parmi la bande, Truffaut est celui qui va jouer le rôle le plus important comme fédérateur et animateur de ce mouvement unique, comme en atteste son incroyable correspondance. Épistolier compulsif, il ne cesse d’envoyer des missives, parfois plusieurs par jour, et de les archiver. En 2022, les éditions Gallimard ont publié un premier volume, « Correspondance avec des écrivains français ». Le même historien du cinéma, Bernard Bastide, présente aujourd’hui « Correspondance avec des cinéastes 1954-1984 »: « Des romans comme La peau de chagrin, Thérèse Raquin, Froment Jeune et Risler aîné m’avaient donné l’envie et l’espoir de devenir romancier. Mais après, dès les films américains, c’est-à-dire dès 1946, j’étais metteur en scène ». Bernard Bastide souligne qu’en décembre 1940, à l’âge de 8 ans, « François encaisse son premier choc cinématographique avec le mélodrame d’Abel Gance, Paradis perdu » (la première lettre du recueil est adressée au grand aîné). En septembre 1943, Truffaut découvre « Le Corbeau » de Clouzot au Normandie: « J’ai eu l’impression que c’était le premier film que je voyais qui disait la vérité sur la vie. Que tout le monde était pourri… » Á partir de l’été 1946, les films américains, interdits pendant l’Occupation, déferlent sur les écrans français, et la bande des Cahiers s’émerveille devant « Laura » de Preminger, « Soupçons » de Hitchcock, ou « Citizen Kane » d’Orson Welles.
Au printemps 1950, à 18 ans, ce sera pour François la redécouverte, en version intégrale, de « La Règle du jeu » de Renoir, vue et revue une vingtaine de fois entre 13 et 15 ans: « J’aurai toujours le sentiment que ma vie est liée à votre œuvre. » confiera le fils spirituel au maître le 13 novembre 1969. Une relation épistolaire s’est ébauchée dès 1957, prenant peu à peu de l’ampleur, le jeune cinéaste dressant un tableau complet de l’avancée de ses films, tout en suivant passionnément les activités de l’aîné reparti vivre à Hollywood: « Je n’ai pas eu l’occasion l’autre jour de vous dire combien j’ai aimé votre roman (« Les Cahiers du capitaine Georges », Gallimard, 1966) (…). Chaude-pisse et foi profonde, cela vous appartient, c’est le dosage Renoir, le grand brassage humain » (Juin 1966). Bientôt, François Truffaut viendra chaque été passer quinze jours de vacances auprès de « notre père à tous », jusqu’à sa mort en 1979.
Et bien sûr, on suit de A à Z l’extraordinaire entreprise menée avec son autre mentor, Alfred Hitchcock: le 2 juin 1962, Truffaut lui écrit pour déclarer qu’à son avis les critiques Américains se font de lui « une idée un peu superficielle », et qu’il souhaite réaliser un livre basé sur une interview « très détaillée et chronologique » d’une huitaine de jours comportant 500 questions couvrant toute son œuvre, du muet au parlant, afin de faire comprendre à tous qu’il est « le meilleur metteur en scène au monde ». On connaît la suite: Truffaut sera accompagné de Miss Helen Scott, traductrice simultanée, qui deviendra sa chère Scottie, sa grande complice, et à l’issue de séances à trois homériques, le livre sortira en anglais et en français en 1966.
Il est temps également de se replonger dans la fameuse querelle Godard-Truffaut, qui ébranla le ciel au début juin 1973. Godard a vu « La Nuit américaine » la veille, et prend sa plume pour accuser son ancien compagnon, à sa manière allusive, vacharde, et provocante, de mentir au spectateur. Après cette offense mortelle, il termine en proposant à son destinataire d’entrer en co-production sur son projet actuel, encore dans les limbes (sic). Truffaut répond par une lettre de huit pages, égrenant un à un les épisodes de ce qu’il appelle « ton comportement de merde ». Avec en toile de fond le succès populaire que connaissent les films de François depuis longtemps. Ils ne se reverront jamais, François Truffaut disparaissant de façon prématurée d’une attaque cérébrale à 52 ans, le 21 octobre 1984. Leurs films et leurs écrits parlent aujourd’hui pour eux.
Lise Bloch-Morhange
je partage le point de vue de Truffaut sur Godard…..Merci de me conforter dans ce point de vue …peu orthodoxe…..
» on connait la suite » dit-elle, moi pas et j’aimerais en lire plus
Merci pour cet article. A lire absolument sa correspondance aussi bien avec les cinéastes qu’avec les écrivain.nes. Elle est jubilatoire d’intelligence et d’ironie. J’avais organisé une lecture en médiathèque sur une proposition de David Nathanson, comédien. Son choix des lettres et son interprétation avaient tellement séduit le public qu’il en a tiré un spectacle formidable qui a remporté un grand succès et tourne depuis des années.