Fétiches

Du latin reliquae, restes, les reliques sont les reliefs matériels qu’a laissés derrière elle, en mourant, une personne vénérée. Les chrétiens ont largement contribué à l’essor du fétichisme nécrophore. La moindre chapelle recèle, sous la pierre d’autel, une relique correspondant à son dédicataire. Une cathédrale un tant soit peu sérieuse se doit de conserver, dans une chasse lardée de pierreries, le pariétal ou la cinquième lombaire de son martyr éponyme. Dix paroisses françaises se flattaient de posséder un fragment du Saint Prépuce, conférant ainsi au divin tuyau une dimension respectable. Aux dernières nouvelles, l’original serait à la basilique Saint-Jean-de-Latran. Si le suaire (1) ayant servi à ensevelir le Christ se trouve à Turin (ci-dessus), sa dernière tunique s’expose à Argenteuil, et la couronne d’épines à Notre Dame de Paris  Depuis, l’appétit pour les vestiges sacrés s’est laïcisé. Certes, des lois intraitables empêchent la dispersion des viscères des célébrités aux mieux offrants, à l’image de nos monarques dont les morceaux choisis étaient répartis dans le royaume, « façon puzzle ». La « dilaceratio corporis », c’est à dire la séparation du cœur, des entrailles et du corps du souverain défunt, répartis ensuite dans plusieurs sépultures, sera de mise, depuis Philippe le Hardi jusqu’à Louis XIV.

De très curieuses pièces anatomiques ont circulé: les mains du Che Guevara, qu’un major bolivien avait récupéré, les yeux d’Albert Einstein, monnayés par son ophtalmologiste, un tube du sang d’Eva Peron, le médecin qui la soigna ayant eu des besoins d’argent. Napoléon 1er fait les beaux jours des commissaires priseurs. Ses nippes apparaissent fréquemment en salle des ventes, mouchoirs, chemises, caleçons, chaussettes et même un bonnet de nuit, Sa Majesté étant frileuse du chef. Parmi la centaine de bicornes qu’il aurait utilisés, il en reste 19 authentifiés, deux ayant frôlé récemment les 2 millions d’euros en salle des ventes. Son prétendu pénis, prélevé lors de l’autopsie à Sainte-Hélène, est aujourd’hui la propriété d’un millionnaire chinois, Shou Mong, depuis 2016. Circulent suffisamment de cheveux du Petit Tondu pour confectionner une jolie perruque.
Leur juxtaposition avec des cheveux de Napoléon III a permis de dresser un intéressant point d’interrogation historique: si notre dernier empereur est bien le fils de la reine Hortense, il n’est pas génétiquement le neveu de son prédécesseur. À cet égard deux possibilités: soit il n’est pas le fils de Louis, frère de Napoléon, son épouse Hortense de Beauharnais ayant eu une vie sentimentale agitée, soit Louis n’est que le demi-frère de Napoléon, Madame Mère Laeticia ayant alors commis un écart. Si, à la mort de son mari Yvonne De Gaulle a fait brûler les vêtements du Général, empêchant ainsi la mise aux enchères de ses caleçons kaki, Danièle Mitterrand a, en 2008, largement vidé la garde robe de son défunt. Pour 1000 euros le parti socialiste a acquis un chapeau. Un amateur s’est offert une très élégante paire de pantoufles Church’s, en velours noir brodées de roses rouges.

Mais plus que les politiques, ce sont aujourd’hui les objets personnels issus des « pipeules » qui alimentent le mieux le commerce. Bijoux, montres, tenues de scène, motos et voitures, instruments de musique, que ce soit post mortem ou de leur vivant. Parfois même contre leur volonté. En dépit de la mobilisation d’une armée d’avocats, Madonna n’est pas parvenue à empêcher la mise sur le marché d’une de ses petites culottes, parmi d’autres objets personnels.

Quelques babioles sortent de l’ordinaire: une carte de crédit Bank of America signée par Elvis Presley, cette molaire cariée de John Lennon, acquise, en 2024, 31200 dollars par un dentiste de l’Alberta, un test de grossesse de Britney Spears, 5000 dollars. Un fan s’est offert un mégot de gitane fumée par Johnny Halliday 319 euros, supplanté à 500 par le même genre d’objet provenant de Serge Gainsbourg, à vrai dire plus emblématique.
Ce sont toutefois les mèches de cheveux qui constituent l’attribut le plus apprécié. Quelques exemples: celle de Johnny, vendue en 2021 6500 euros, David Bowie, en 2016, 18000 euros, Justin Bieber en 2011 41000 euros. Le point culminant, The King, 115 000 euros en 2002. Ce qui laisse largement à la traîne les pauvres 800 euros « d’une petite mèche de ses cheveux »  de Claude François. Les connaisseurs auront reconnu le titre d’une des œuvres impérissables du grand artiste.

Verra-t-on un jour aux enchères une boucle blonde de la Princesse de Galles ?

Jean-Paul Demarez

(1) La datation au carbone 14 du fameux suaire rend son authenticité fort improbable ndlr
Photo: ©PHB
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4 réponses à Fétiches

  1. Quant au crâne de Voltaire enfant…

  2. Yves Brocard dit :

    Il faut que je demande à ma coiffeuse de me mettre mes mèches tombées au sol dans un petit sac. On ne sait jamais…
    Bonne journée

  3. Philippe PERSON dit :

    Et si je vous disais que j’avais un bandage qui entourait la tête d’Apollinaire trépané ?
    Une vieille godasse de Rimbaud ? Un tube de gouache éventré de Nicolas de Staël ?
    Vous feriez moins la fine bouche !
    On est tous fétichistes. J’ai longtemps conservé un paquet de cigarettes ayant appartenu à Arielle Dombasle. Je possède un autographe de Woody Allen et j’ai reçu un mail de Marc Lévy !

  4. Vous ne voulez pas ma photo, par hasard ?

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