Pierre Daninos fut, au siècle dernier, un écrivain prolixe. Le Who’s Who le répertorie écrivain et journaliste. Journaliste, il entra à 18 ans au Figaro pour lui rester longtemps fidèle. Écrivain, il le devint, publiant, jusqu’en 2000, une quarantaine d’ouvrages. C’est d’ailleurs au Figaro qu’il doit son plus grand succès d’édition. En 1953, afin de meubler le vide estival, Pierre Brisson, le directeur du quotidien, lui commande une sorte de feuilleton. Il reprend alors à son compte le procédé littéraire utilisé par Montesquieu dans les « Lettres persanes », l’observation de ses contemporains par un œil étranger. Il se prétend, par conséquent, le traducteur d’un hypothétique militaire britannique, le major William Marmaduke Thomson DSO, CSI, OBE (1). Époux en secondes noces d’une Française, ce dernier s’applique à relever le décalage culturel existant d’un côté et de l’autre de la Manche, décrivant les (quelques) qualités, et les (nombreux) défauts des Français qu’il côtoie. Il convient de relever que les mœurs anglaises ne sont pas étrangères à Daninos. Mobilisé en 1940, il a été désigné agent de liaison de son unité avec la British Army. Publiés en 1954, les « Carnets du major Thomson » iront jusqu’à 2 millions d’exemplaires, traduits dans 27 pays. Il poursuivra par quatre volumes les aventures du major, donnant parfois l’impression d’un peu trop tirer sur la ficelle.
Il récidivera dans la sociologie drolatique en 1960, grâce à « Un certain monsieur Blot », archétype du Français moyen, empêtré en son quotidien, mais devenant soudain célèbre. Le critique du Monde, remarquera, à propos de ce texte: « Il contient des observations sur l’homme de notre temps qui dépassent considérablement les procédés de l’humour. » En quelque sorte une consécration.
Puis, en 1964, il produit « Snobissimo, ou le désir de paraître ». Son hypothèse de départ se trouve dans l’incipit: « Le snob, comme le Français moyen, a ceci de particulier qu’il se rencontre partout, et ne se reconnaît nulle part. » Snobisme: mimétisme consistant à adopter tel comportement, non par penchant naturel, mais par obéissance à une mode, ou la peur de ne pas participer à un courant dominant. Effectivement, du haut en bas de l’échelle sociale, ce type de conformisme s’observe, teinté de mépris pour ceux qui n’en sont pas.
En 1967, Pierre Daninos va accomplir le grand dessein de Gustave Flaubert. Il consacre les 256 pages du « Jacassin » à un « nouveau traité des idées reçues, folies bourgeoises et automatismes ». Il commence par la narration d’un repas dominical, où, tandis que se succèdent quenelles-gigot-Saint Honoré, s’entrecroisent les poncifs des convives, parents et amis. Rien n’échappe à l’enfant silencieux (on ne parle pas à table !) mais attentif dont il prend le rôle. Puis il ouvre la partie didactique de l’œuvre, classée par thèmes: particularités du langage usuel, glossaire des politiques, banalités de base, vocabulaire courant. Il conclut par quelques automatismes dont il convient de n’être point dupe: « si on vous dit……n’y croyez pas… » Cela va de « ce que je vous dis, c’est pour votre bien ! » à « avec cela vous pourriez écrire un livre ». L’ensemble est agrémenté de dessins cocasses de Jacques Charmoz, du moins dans l’édition Hachette.
Bien que composés au XXe siècle, c’est-à-dire en « un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître », les livres de Daninos, écrits en un français enviable, demeurent d’une grande pertinence. Ils sont, en outre, très faciles à trouver.
La biographie de Pierre Daninos comporte deux points noirs. En juin 1967, tandis qu’il rentrait d’un dîner d’anciens combattants, sa voiture est percutée par celle d’un général, revenant, lui, d’un concours hippique, et ayant pris l’autoroute du sud à l’envers. Le vieux soldat y laissera la vie, Daninos s’en tirera par une longue période d’immobilisation. Un an auparavant, il était tombé au fond du puits d’un épisode dépressif majeur. Il en fera un récit proche de l’observation clinique détaillée. Son bouquin, intitulé « Le 36ème dessous » décrit les symptômes, rapporte les injonctions inutiles que subit un patient, les conseils imbéciles, l’errance médicale, les thérapeutiques improbables qu’il connaît tour à tour. On y croise de savoureux portraits de praticiens, avec leurs différents rituels et leurs honoraires variables. Le tout dépeint avec ironie, preuve qu’au moment de la rédaction, il était guéri. Le texte est à replacer, pour les aspects thérapeutiques, dans les années 1965, ou le nombre d’anti-dépresseurs ayant démontré leur intérêt était tout à fait limité.
Ce roman relève évidemment de l’autobiographie, genre qu’il a ainsi défini: « le meilleur moyen trouvé pour dire toute la vérité à propos des autres ».
Jean-Paul Demarez