Le retour d’Hoffmann à l’Opéra-Comique

Chef-d’œuvre imparfait d’Offenbach puisque inachevé, « Les Contes d’Hoffmann » sont une œuvre quasi impossible à mettre en scène, et pourtant l’une des plus jouée au monde. L’Opéra-Comique ou salle Favart ouvre sa saison par une co-production avec l’Opéra national du Rhin, l’Opéra de Reims et le Volksoper de Vienne. Les représentations strasbourgeoises ont été données au début de l’année, mais la distribution salle Favart est entièrement nouvelle. Ouvrir la saison avec « Les Contes d’Hoffmann » est forcément un événement. Car né en Allemagne d’un père chantre de synagogue, devenu roi de l’opéra bouffe (et non de l’opérette) sous le Second empire (« La belle Hélène », « Orphée aux enfers », « La Vie parisienne », etc.), le musicien de génie voulait faire de cet opéra fantastique son testament musical. A partir de 1877, ruiné, surmené, épuisé par la goutte, frissonnant sous ses fourrures, il y travaille avec acharnement et mourra le 5 octobre 1880 à soixante-et-un an. Lui qui avait tant rêvé de franchir enfin les portes de l’Opéra-Comique, il n’assistera pas à son triomphe du 10 octobre 1881. Ni aux créations de Genève, New York et Mexico en 1882, Prague et Anvers en 1883, encore moins à Berlin en 1905.

Les tribulations de ces contes fantastiques ont commencé dès la création, « le Mozart des Champs-Elysées » dixit Rossini n’ayant pas eu le temps d’achever la composition ni d’entreprendre l’orchestration. Depuis, la version Choudens (1907) puis Oeser (1976) s’étaient imposées. Jusqu’à ce que le musicologue français Jean-Christophe Keck fasse diverses découvertes (on n’imagine pas tout ce qu’on peut trouver dans un château bourguignon ou en salle des ventes) et s’attelle depuis 1999 à la tâche titanesque d’une nouvelle édition de toute l’œuvre. Dont l’opus adapté de plusieurs contes du poète fantastique allemand T. E. Hoffmann, devenant lui-même le héros de l’opéra. Mais J.C. Keck admet modestement que l’opéra offenbachien demeurera à jamais « une œuvre ouverte » (voir le programme).

Pourquoi ces Contes sont-ils si difficiles à monter? D’abord parce que selon Keck, il leur manquera toujours ces « petites coupures » que le Maître avait si bien pratiquées dans ses précédents chefs-d’œuvre. Ensuite la structure en un prologue puis trois actes et un épilogue nous transporte dans cinq lieux successifs. Comment assurer la fluidité de plusieurs contes? Le prologue, bien sûr, se déroule toujours dans la taverne de maître Luther, où nous faisons connaissance du poète Hoffmann en mal d’inspiration, et de sa Muse qui se présente sous les traits de son ami Nicklausse (rôle de mezzo travesti). Puis le chœur des étudiants entonne « une chanson à boire » et la Muse manipule le conseiller Lindorf, première incarnation du diable (il y en aura quatre), qui jure de supplanter le poète dans le cœur de la prima donna Stella.

À la demande générale, Hoffmann exécute alors « la chanson de Kleinzach », le petit avorton au si beau visage, premier grand air du ténor et premier tube. Hoffmann propose alors d’évoquer les trois femmes qui furent les amours de sa vie, Olympia, Antonia, et Stella, « trois femmes dans la même femme ! ». Les trois actes suivants sont consacrés à chacune des femmes, le diable continuant à se manifester sous diverses formes et des numéros comiques étant insérés çà et là. L’opéra se referme sur un retour dans la taverne.

Pour répondre à cette complexité, la metteuse en scène néerlandaise Lotte de Beer met en relief Hoffmann et sa Muse: ils sont censés assurer la continuité en se tenant au bord de la scène entre chaque acte, commentant l’action livret en main, la Muse (excellente mezzo Héloïse Mas) fustigeant l’égocentrisme et la névrose du poète ne sachant imaginer que des femmes à problèmes. Cette lecture féministe n’est pas très convaincante, d’autant que le décor unique est plutôt tristounet. Un décor unique, pourquoi pas, mais nous sommes face à deux murs en oblique convergeant au fond de la scène vers un rideau, et c’est tout. Dès la première scène de la taverne, à peine deux tables et une ou deux chaises banales, et c’est tout. Heureusement, les chœurs meubleront l’espace.

Bien sûr c’est mettre l’accent sur les chanteurs, mais où sont la poésie et le fantastique qui imprègnent la divine musique et les grands airs? Lors de la générale du 23 septembre dernier, le merveilleux bariténor Michael Spyres, fidèle de la salle Favart, une fois « la chanson de Kleinzach » donnée à pleine voix, a semblé un peu en retrait. Les trois femmes étant interprétées par la même chanteuse, comme le voulait Offenbach, la soprano Amina Edris ne déméritait pas, mais paraissait bien seule dans un décor si dépouillé, malgré la poupée géante en Olympia.

Les chœurs Aedes et l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg cherchaient encore leurs marques sous la direction du chef français qui monte, Pierre Dumoussaud. Après la représentation, le dernier air, « Des cendres de ton cœur, réchauffe ton génie », un des plus beaux qui soit, nous est resté longtemps dans l’oreille et le cœur.

Lise Bloch-Morhange

Opéra-Comique, « Les Contes d’Hoffmann », 6 représentations du 25 septembre au 5 octobre 2025
Opéra-Comique, saison 25-26
Photos: ©Stefan Brion

 

 

 

 

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Une réponse à Le retour d’Hoffmann à l’Opéra-Comique

  1. KRYS dit :

    Le bonheur d’Hoffmann, c’est surtout son humour, sa joie et sa truculence baroque et fantastique ! Merci Madame Lise de nous proposer ce beau spectacle par des temps si moroses.

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