On ne dira jamais assez combien le lieu où va écouter de la musique est important…
Dirigeons-nous d’abord à l’Ouest toute, jusqu’à la bien nommée Seine musicale (en contrepoint à la Philharmonie à l’Est toute), sur l’île Seguin boulonnaise, vaisseau de verre et de bois suivant le rythme du soleil grâce à son aile tournante de panneaux solaires, un exploit architectural signé du Japonais Shiberu Ban. Le simple fait de franchir à pied le pont en aval de la Seine, de s’imprégner de la couleur du ciel roulant sur les flots, nous met dans un état second pour suivre le long couloir (d’une blancheur trop dépouillée), prendre l’escalator, et parvenir dans l’auditorium. Une salle à taille humaine de 1150 places (pas comme dans la grande scène électronique voisine), où tout a été conçu pour la beauté du son: plafond en nid d’abeille de carton blond, bois sculpté en longues vagues sur les murs, et gradins « en vignoble » entourant la scène de tous les côtés.
Étant chez elle sur place depuis l’ouverture en 2017, chargée d’une bonne partie de la programmation, la maestra française pionnière, la discrète Laurence Equilbey qui ne recherche pas les projecteurs comme tant de ses confrères, signe sa résurrection de l’année. Et comme à son habitude, elle entraîne « son » chœur Accentus (fondé en 1991) et « sa » formation sur instruments anciens Insula orchestra (2012) dans une aventure inédite qu’elle conçoit entièrement. Elle aime dénicher des œuvres connues ou surtout peu connues, et les présenter dans un spectacle total alliant solistes, orchestre, chœur, mise en scène, projections vidéo. Haydn, Mozart, Beethoven y sont déjà passés, et voilà qu’elle revient à Schumann pour la seconde fois.
Pauvre Schumann (1810-1856) … Mal aimé ou aimé de nos jours pour de mauvaises raisons… Englobé de façon négligente, subalterne, dans la bande des « romantiques allemands » et autres, Chopin, Schubert, Liszt, Mendelssohn, Brahms. Pauvre Schumann qui mit cinq années à arracher à son père la main de Clara, l’enfant prodige du piano. Puis les voilà avec bientôt huit enfants qui les empêchent de produire et de se produire. Puis noires humeurs du compositeur, syphilis ou bipolarité, on ne sait, pour finir sa vie en se jetant dans le Rhin, dont on le tire pour le laisser végéter dans un asile. Mais Laurence fait tout ce qu’elle peut pour le tirer, elle, de son purgatoire. Il y a deux ans déjà, elle avait mis trois de ses dernières balades en valeur dans une création scénique aux allures de conte moyenâgeux. On se souvient surtout des chœurs d’hommes (et quel chœur celui d’Accentus !) se déplaçant dans la salle, frôlant les spectateurs…
Cette fois, elle a choisi une œuvre jamais jouée, « Le Paradis et la Péri », oratorio profane pour soli, chœur et orchestre d’après la légende hindoue « Lalla Rookh » de l’irlandais Thomas Moore, que le musicien connaissait depuis l’enfance. Dans cette féérie, la Péri trouvera l’accès au paradis en apportant la larme de repentir qu’un criminel a versée en se souvenant de l’innocence de son enfance. Féérie qui tient une place particulière dans la vie du pauvre Schumann, puisque son succès déterminera papa Wieck à accorder la main de sa fille Clara à l’amoureux transi. Par contre, depuis, la féérie a été parfois jugée sévèrement, l’écrivain mélomane Michel Schneider par exemple parlant de « certaines pages proprement géniales » côtoyant « une sourde grisaille ». Raison de plus pour faire confiance à Laurence…
Autre rendez-vous printanier revenant depuis dix-sept ans dans l’Orangerie, « Les Musicales de Bagatelle » se dérouleront lors du week-end du 17-18 mai. La Fondation des Banques Populaires poursuit sa découverte et son soutien d’innombrables jeunes musiciens, dont beaucoup deviennent des grands, qui à leur tour parrainent des jeunes. Comment oublier, par exemple, cette sonate de Brahms et ce trio de Tchaïkovski menés par Alexandre Kantorow (voir mon article du 10 mars 2025) dans l’intimité fleurie de l’Orangerie, lors d’une éclatante après-midi de mai 2023 ?
Même approche cette année lors de ce mini-festival de 2 jours, 4 concerts et 30 musiciens, dont il faut saluer la longévité dans cette période de disette de subventions culturelles. Avec un programme très éclectique « Génération France Musique Live » le samedi et trois concerts le dimanche, dont un voyage en Espagne, on nous invite à profiter de ces jardins merveilleux et à faire halte dans l’Orangerie comme en passant, à l’heure qui nous convient. Raison pour laquelle les enfants de moins de douze ans sont invités.
Ajoutons enfin sur le plan des curiosités musicales de ce mois de mai parisien très chargé, une rareté dans l’opulente salle Favart de l’Opéra Comique: deux ballets de Gluck, « Don Giovanni » et « Sémiramis », sous la baguette du grand baroqueux Jordi Savall, dans une mise en scène de deux chorégraphes modernes, le roumain Edward Clug et Angel Rodriguez venu d’Espagne. Gluck, plus Savall plus une chorégraphie moderne, voilà du nouveau!
Lise Bloch-Morhange
Beau programme !