Daniel Kehlmann s’est fait connaître mondialement en 2005 comme l’enfant prodige des lettres allemandes en publiant à trente ans « Les arpenteurs du monde », biographies mêlées de deux savants allemands, celles du naturaliste Alexander von Humboldt et du mathématicien Carl Friedrich Gauss. Le jeune écrivain austro-allemand avait trouvé son filon, renouvelant le roman dit historique en demeurant à la fois très fidèle aux vies des personnages et intensément personnel. Après plusieurs autres expériences similaires, il récidive aujourd’hui en publiant « Jeux de lumière », ou le destin de Georg Wilhem Pabst, mêlant la réalité aux rêves, le réalisme au fantastique, la satire à l’horreur des situations. Mais pourquoi Pabst ? Parce qu’il est le découvreur à la fois des légendaires Greta Garbo et Louise Brooks ? Parce qu’il est, avec Fritz Lang et F.W. Murnau, l’un des trois fondateurs du cinéma allemand, les grands maîtres de cet art total que fut le muet ? Parce que comme toute la bande des réfugiés du Reich, juifs ou ayant une femme juive, il chercha lui aussi le salut en s’embarquant pour Hollywood ? De Lubitsch à Billy Wilder, de Robert Siodmak à Otto Preminger ou Fritz Lang, de Fred Zinnemann à Douglas Sirk, ils sont tous là, même si Sirk ne se joint pas à la bande d’immigrés, qui ne lui plaît pas (voir mon article du 10 mars 2023). Continuer la lecture
Archives
Catégories
- Anecdotique
- Apollinaire
- Architecture
- BD
- Cinéma
- Danse
- Découverte
- Documentaire
- Enchères
- Essai
- Exposition
- Gourmandises
- Histoire
- Humeur
- Jardins
- Livres
- Mode
- Musée
- Musique
- Non classé
- Nouvelle
- Peinture
- Philosophie
- Photo
- Poésie
- Politique
- Portrait
- Presse
- Publicité
- Radio
- récit
- Société
- Spectacle
- Style
- Surprises urbaines
- Télévision
- Théâtre
Recevez une alerte à chaque nouvelle parution
Dans le monde de la triche, l’honnêteté est un univers bizarre dont on ne peut que deviner l’existence, derrière un miroir sans tain. Les gens honnêtes mais cupides constituent une matière de choix pour les arnaqueurs. Ils sont trois: Roy, Myra et Lilly. Le premier est interprété par John Cusack, la seconde par Annette Bening et la troisième par Anjelica Huston. Cette dernière est impériale dans « The grifters » ce film sorti en 1990 et qui revient enfin sur les écrans, après des années d’absence. Arte a eu la bonne idée de le programmer pour les 3, 6 et 14 mars. C’est une pépite à ne pas rater et il est même recommandé de le regarder plusieurs fois, tellement ce long métrage tiré d’un roman de Jim Thomson frise le sans-faute. Rien que du beau linge en outre puisqu’il est notamment produit par Scorcese et surtout réalisé par Stephen Frears. Une œuvre qui hantait la mémoire de ceux qui l’avaient vu à la sortie, guettant par la suite son apparition dans les bacs à DVD ou sur les plateformes de streaming. Arte a la main lourde en ce moment en bons produits d’évasion et Dieu sait que les idées d’échappée nous taraudent.
Quand Apollinaire découvre pour la première fois la côte atlantique, il commence par la Baule puis explore quelque peu les environs. Il visite Guérande et aussi Bourg de Batz (ou Batz-sur-Mer après 1931), desservis par le train. Lui le Méditerranéen, n’a pu manquer d’être frappé par cette mer agitée qui forme des champs de mousse blanche à chacune de ses frappes sur le littoral. Les vagues sont si impressionnantes que l’on attend la suivante avec l’espoir secret et enfantin qu’elle sera encore plus puissante que la précédente. Parfois l’eau monte avec la forme d’une flamme. Le fascinant spectacle arrête tous les visiteurs et même le joggeur ne peut s’empêcher d’y jeter un œil. À Batz, Apollinaire a laissé une trace. Dans ce qui est aujourd’hui le Musée des Marais Salants et autrefois le Musée des anciens costumes créé en 1887, il a apposé sa signature sur le registre des visiteurs. Cette excursion dans les environs de la Baule a eu une autre conséquence qui fera l’actualité cette semaine, le 27 février. Puisque sera mis aux enchères à partir de 14 heures, une carte postale adressée à l’artiste nantais Jean Émile Laboureur (1877-1943). Au recto l’on reconnaît Berlin et aussi l’écriture d’Apollinaire signifiant à son correspondant: « Cher ami, voudriez-vous m’envoyer à Paris un petit guide de Guérande. On en vend à Nantes il en est paru un cette année. »
Arthur Rimbaud, poète de la fulgurance et de la flamboyance, compose « Roman » lorsqu’il est adolescent: un âge où l’ivresse des premiers émois et l’insouciance du quotidien s’entrelacent dans un tourbillon de sensations. Ce poème n’est pas simplement une évocation de l’amour adolescent, mais un tableau vibrant de la jeunesse, du désir et du passage du temps. Rimbaud y peint avec simplicité une histoire qui pourrait être celle de n’importe qui, transformant le banal en poésie. Derrière la simplicité des vers, Rimbaud saisit avec une rare justesse la fugacité du bonheur propre à l’âge de dix-sept ans. Ce poème justement semble être une ode à la jeunesse, un instantané de l’adolescence où l’amour naissant et les errances nocturnes se mêlent à la légèreté de l’été.
Première idée formidable: célébrer les 90 ans de l’Hôtel de Ville de Boulogne-Billancourt, chef d’œuvre architectural des années 30. Deuxième idée formidable: organiser une exposition dans la nef du bâtiment, le hall des guichets, cathédrale de lumière aux coursives d’acier éclairée par une verrière, haute de 22 mètres et longue de 65 mètres. Autant dire que le maire Pierre-Christophe Baguet (depuis le 21 mars 2008) ne s’est pas fait prier lorsque le service des archives lui a fait cette suggestion. Dès le début de l’exposition, on découvre d’étonnantes « plaques photographiques » datant de 1931 à 1944, affichées sur un panneau bleu sous le titre « Les Boulonnais dans les années 30 ». Les visiteurs boulonnais s’agglutinent à cet endroit, observant avec tendresse les photos des rues pouilleuses, déchiffrant sous leurs pieds une gigantesque vue aérienne de leur ville à l’époque. Des clichés témoignent de l’obsession hygiéniste de l’époque: « École de plein air: couture » nous montre une quinzaine de jeunes filles en short affairées à leur ouvrage, sagement assises sur des chaises en demi-cercle devant des arbres. « Gymnastique à l’école de plein air » nous offre cette fois une réjouissante série d’écoliers en short alignés sur plusieurs rangs dans une cour, tendant les bras à l’image de leur professeur en costume deux pièces sombre (sic).
En renouant avec leurs origines, c’est-à-dire avec l’esprit de résistance cher au fondateur, les éditions Seghers livrent en ce début d’année un bel et copieux volume de poésie contemporaine. Pour ce faire, il a été fait appel à Jean-Yves Reuzeau, lui-même écrivain et jury du Prix Apollinaire, ce qui n’est pas rien. Hormis le foisonnement d’auteurs retenus pour garnir les presque quatre cents pages, c’est le regard de l’assembleur qui retient tout d’abord l’attention. Forcément, en sélectionnant une centaine d’auteurs, puis expérience aidant, cela l’a amené à dégager des tendances intéressantes dans la mesure où elles reflètent, au détour d’une strophe ou dans le virage d’une rime, une époque et ses marqueurs. La présentation de Jean-Yves Reuzeau n’est donc pas à enjamber à la légère. Sauf à faire quelques sondages d’abord afin d’y revenir par la suite. Marqueurs ou travers, certains aspects de la vie contemporaine ont ainsi infiltré la poésie des auteurs. « L’éco-anxiété », l’animalisme, le féminisme, la guerre, la fonte du permafrost, mais aussi la reconnaissance faciale jusqu’au frottis vaginal. Pour Jean-Yves Reuzeau la poésie « s’affranchit » mais cela ce n’est guère nouveau. Lui-même en convient d’ailleurs puisqu’il est entendu depuis longtemps que le genre poétique ne se limite pas « à l’art d’aller à ligne ».
En soi l’objet est beau. Mais si ordinaire qu’il n’intéresse personne. Le rouleau de scotch, dont la marque est passée dans le langage commun, fait partie de ces objets du quotidien dont le design, pourtant soigné, n’émeut pas. Il en va ainsi d’un ouvre-boîte ou d’une paire de ciseaux à ongles. Leur épure a eu beau être élaborée avec les plus grands soins, ils ont le don d’invisibilité sauf au moment où on les cherche bien sûr, afin de s’en servir et non pour les admirer. Il y a eu quand même quelques artistes comme Marcel Duchamp ou Andy Warhol, ayant compris qu’en les signant, en les isolant ou en les colorant, on obtenait une œuvre par décret. Le décret revenant par ailleurs en force dans le champ linguistique à cause d’un président tout de même un peu névrotique sur les bords, c’est le moment ou jamais de ré-opérer quelques trucs dans le domaine de l’art. Très récemment l’artiste italien Maurizio Cattelan, ayant regardé tour à tour une banane et un rouleau de ruban adhésif, avait décidé de les associer en les fixant sur un mur. Mis à prix 800.000 dollars, l’ensemble a été adjugé 6,2 millions de dollars par Sotheby’s au profit d’un de ces nouveaux crypto-monnaie-maker. Entre en rester babas ou scotchés, de l’autre côté du miroir, les différences s’effacent.
La vie nous entraîne en des choix irrévocables. Ainsi devient-on couette ou draps bordés, super ou diesel, chocolat noir ou chocolat au lait, coupe ou flûte à champagne, Mozart ou Beethoven. Parfois au hasard d’une rencontre, et définitivement. Côté pieds, certains se réclament du camp « pantoufle ». Ils éprouvent par conséquent une notable réticence à l’encontre des mules. Des mules et de tous leurs équivalents cordonniers: claquettes, savates, babouches, sans omettre les horribles tongs. Pierre Bourdieu, fin observateur des hiérarchies sociales, aurait identifié dans la pantoufle l’apanage du bourgeois nanti, exploiteur de la travailleuse en savates. Avec tout ce que cela suppose de rapport à l’argent. Mais l’analyse par de tels facteurs socio-économiques ne tient pas. On trouve des pantoufles à des prix très modiques sur le site des Trois Suisses, tandis que des mules s’exhibent à plus de mille balles chez Louis Vuitton.
Créée en 1917 par Pierre Reverdy, tirée à peu d’exemplaires, la revue Nord-Sud est aujourd’hui l’une des plus recherchées par les collectionneurs. Son existence fut assez brève (seize numéros au total, jusqu’en octobre 1918) mais la qualité des signataires, les sujets traités, l’avant-gardisme affiché concourent à en faire une revue aussi importante pour l’histoire littéraire que Les Soirées de Paris quelques années plus tôt ou SIC que Pierre Albert-Birot fit paraître de 1916 à 1919. Le titre fait référence à la ligne de métro conduisant de Montmartre à Montparnasse, deux foyers parisiens importants en matière de création littéraire et artistique. Natif de Narbonne, Pierre Reverdy a 21 ans quand il arrive à Paris en 1910. Il s’installe au cœur de Montmartre, 12 rue Cortot (on y trouve aujourd’hui le musée de Montmartre). Il se destine à une modeste carrière de correcteur typographe. Mais surtout il a fait paraître ses premiers recueils de poèmes dont « La Lucarne ovale », dont on constatera plus tard qu’il s’agit d’une œuvre majeure.
Quand Antoine de Caunes interrogea Bob Dylan sur sa popularité auprès des Français, le chanteur-poète répondit à côté mais resta cohérent sur le strict plan géographique. En affirmant qu’à ses débuts, il s’était très vite intéressé aux poètes français, « Apollinaire, Rimbaud, ces types-là ». Sans doute en raison de la sortie très récente d’un film autour du folk-rock-singer américain, l’INA, toujours prêt à dégainer ses archives, vient de publier cette interview dans laquelle Dylan fait référence à la poésie française. L’entretien a eu lieu en 1984 sur Antenne 2 dans un programme intitulé « Houba Houba ». Bob Dylan (1941-) y apparaît comme un quadragénaire assez beau et se sentant à l’évidence assez libre de répondre comme il l’entend. L’interviewer est bon, Dylan étant Dylan par ailleurs, cette archive est plaisante à visionner (1). Et pas seulement parce que le nom de deux auteurs majeurs comme Apollinaire et Rimbaud sortent de la bouche du grand homme. Qui s’essaie à la modestie avec une voix sonore comme celle d’un oracle grand fumeur.