Avec vue sur le Mont-Valérien

Le 6 février 1918, Guillaume Apollinaire s’ennuie au point de se résoudre à dessiner ce qu’il voit de sa fenêtre. Il est alité depuis un mois dans dans une annexe de l’hôpital du Val de Grâce située au 57 boulevard de Montmorency à Paris.  Il y a été transporté d’urgence au début du mois de janvier pour cause de congestion pulmonaire. Ce 6 février il dessine le Mont-Valérien qui se dresse à l’horizon de sa laborieuse convalescence. Depuis, la vue s’est bouchée par une barre d’immeubles, lesquels ont poussé dans les années soixante tout au long de la voie de chemin de fer qui borde le boulevard. Le dessin (détail ci-dessus) n’a d’évidence aucune prétention artistique. Signé et daté, il s’est pourtant envolé chez Sotheby’s bien au-delà de son estimation, en octobre 2014. Continuer la lecture

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Fulmard, le toquard magnifié

Soit 235 pages au long desquelles on se demande quelle mouche a donc piqué Jean Echenoz qui, s’il pratique depuis toujours le second degré, semble depuis son dernier roman, « Envoyée spéciale », s’attacher à créer des personnages grotesques empêtrés dans des scènes absurdes, le tout commenté par un narrateur joyeusement désinvolte qui n’hésite jamais à prendre parti, ni à interpeller le lecteur.
Cette fois, c’est à Gérard Fulmard, authentique looser, ancien steward licencié pour faute et condamné par la justice « avec obligation de soins et suivi psychologique » pour des faits qui ne seront jamais précisés, que revient la tête d’affiche. Au chômage, Fulmard végète désormais dans un microscopique appartement de la rue Erlanger dans le 16ème arrondissement de Paris et cherche à quoi occuper ses journées. Continuer la lecture

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Pochettes surprises

Tout juste commandé avant les conseils consistant à ne pas trop solliciter la vente par correspondance, ce disque est néanmoins arrivé à bon port dans un bureau de tabac jouant les relais de poste. Merci au postillon s’il l’a livré en voiture hippomobile. On parle beaucoup de postillons maléfiques en ce moment, à en oublier ceux que l’on dénommait ainsi pour leur métier de conducteur. Ils se servaient même d’un cor afin de prévenir les relais de leur arrivée imminente.
Dans ce disque enregistré à Hollywood en 1954, Jimmy Rowles (1918-1996) avait de son côté choisi le piano pour produire cet album pas loin d’être merveilleux, avec Red Mitchell à la contrebasse et Art Mardigan à la batterie. Continuer la lecture

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Clause de retour à meilleure fortune

Cinémas, théâtres, librairies, musées, galeries, hôtels des ventes, courses hippiques… le baisser de rideau est général, sauf les éditeurs de journaux qui ne parlent plus que de la chose maudite (ci-contre) et de ses conséquences planétaires. Un vent mauvais souffle sur l’Europe. Les libertés sont sous cloche. Le robinet culturel est cadenassé. Confinée, l’inspiration moisit. Sauf à produire ce qu’il est convenu d’appeler du jus de crâne, à prendre le risque de lasser nos lecteurs avec de la matière défraîchie, de la dissertation sèche, il est devenu réaliste de suspendre pour un temps la parution des Soirées de Paris.  En attente d’un retour à meilleure fortune dont l’échéance, à cette heure, est pour le moins floue. Continuer la lecture

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Trois siècles de confinement dans le ghetto de Venise

Le ghetto vénitien se trouve pratiquement juste à gauche en sortant de la gare Santa-Lucia. Et il est facile à trouver. C’est une information que comprendront avec un soulagement anticipé tous ceux qui se sont déjà égarés dans le dédale des ponts et des rues en courbes de Venise. Il faut partir sur la gauche de la gare donc, ignorer le pont qui enjambe le grand canal sur la droite et suivre la foule des touristes qui veut rejoindre la Place San-Marco par l’itinéraire bis qu’est la traversée du quartier Cannareggio. Toujours dans l’axe du flux touristique, on franchit un petit pont, on tourne à gauche sur le quai baptisé Fondamenta Cannareggio et l’entrée du ghetto est à deux pas, à 10 minutes de la gare, sans se presser. Suivez le guide de ce (long) reportage réécrit, raccourci et réalisé en 2006, publié de prime abord en 2008 dans Tribune juive. Continuer la lecture

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Le vent se mêle à nos soupirs

Oui parce que la réclusion ça va cinq, mettons dix minutes, mais pas quinze jours. Après on met les avant-bras en-dessous du menton et on laisse s’échapper un soupir en direction des nuages qui stationnent bien haut. L’éloquence est une caractéristique assez remarquable du soupir. Au choix il peut exprimer l’ennui, la lassitude, l’exaspération, le désir et l’amour. Jusqu’au dernier des derniers qui est une sorte de bouquet de vie s’échappant des poumons en vue de gagner la béatitude éternelle. C’est aussi un élément très raffiné de solfège (ci-contre) qui s’insère dans une grille pour notifier à un interprète toutes les subtilités du silence attaché à la ronde, la blanche, la noire ou encore le demi-silence de la croche, l’un des plus raffinés. Et sans parler du huitième du nom, voué à la triple croche, suivi du seizième qui ne fréquente que la quadruple. Continuer la lecture

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Un délicieux bonbon parisien

Celles et ceux qui survivent au coronavirus ont de la chance : ils peuvent rester tranquillement chez eux et passer des heures enivrantes en piochant dans leur discothèque et leur bibliothèque privées, à découvrir ou redécouvrir des trésors.
Ce sera peut-être moins facile pour les jeunes générations armées de tablettes et smartphones, chez lesquelles plus un livre, plus un CD, plus un vinyle ne traîne… Mais pour les aînés dont les étagères croulent sous les livres et les CD, quel bain de fraîcheur !
Ainsi, étant comme beaucoup aussi jamesienne que proustienne, j’ai découvert dans ma (très) large section dédiée à Henry James, le Proust américain, un livre que je n’avais jamais lu ! Continuer la lecture

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Rencontre dans un square

Roman publié en 1955 aux éditions Gallimard par Marguerite Duras (1914-1996), “Le square” a pour particularité d’être écrit entièrement sous la forme d’un dialogue. Tout le livre n’est qu’un long dialogue entre deux personnes qui se rencontrent par hasard dans un square. C’est donc tout naturellement que, deux ans plus tard, l’auteure l’adapta en pièce de théâtre. Montée régulièrement depuis sa création en 1957, elle était jusqu’à peu (avant intervention des mesures gouvernementales) à l’affiche du Théâtre du Lucernaire, dans une mise en scène de Bertrand Marcos (1), un familier de l’auteure de “Savannah Bay”. Un beau moment de théâtre. Continuer la lecture

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Un ticket pour l’espace francilien

Ici, l’Arc de Triomphe n’est plus qu’un lointain tabouret, le Mont-Valérien un petit pâté de sable. L’Arche de la Défense à son niveau sommital, offre un extraordinaire bouquet de sensations visuelles. Depuis sa terrasse située à cent dix mètres (deux fois moins que la Tour Montparnasse, trois fois moins que la Tour Eiffel) le panorama qu’elle délivre coupe le souffle, selon l’expression convenue en pareil usage. Réfléchie par Georges Pompidou puis Valéry Giscard d’Estaing, finalement réalisée sous l’égide de François Mitterrand, l’idée ce monument était de créer un axe extraordinaire avec l’Arc de Triomphe tout en établissant par conséquence un lien avec la grande banlieue et même la campagne. En ces temps de psychose due au maléfique Covid-19, le toit de l’arche est quasi-désert. Après l’environnement grouillant d’individus croisés au sol, une fois arrivé en haut, l’impression de solitude n’en est que plus intense. Continuer la lecture

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Retour à Cernuschi

Cet intrigant ornement de char, anthropomorphe, remonte à la période Shang, soit plus de deux mille ans avant la Renaissance. Il est toujours surprenant de constater comment, à cette époque reculée, les métallurgistes chinois, maîtrisaient l’art de la décoration. À quel niveau artistique, pour un vase d’alcool ou un récipient à viande, ces designers avant l’heure, portaient si haut leur ambition. Le musée Cernuschi, qui sort tout juste d’une vaste rénovation de neuf mois, déploie à nouveau sa riche collection d’objets d’extrême-orient, augmentée en l’occurrence de 430 nouvelles pièces. Le parcours commence avec la présentation de la collection constituée par Henri Cernuschi (1821-1896) lors de son séjour en Asie entre 1871 et 1873. Il se poursuit à travers un périple dynastique, se prolonge avec différentes incursions vers la Corée, le Japon ou le Vietnam, avant de s’achever sur quelques éléments contemporains. Située dans la très distinguée avenue Velasquez, avec vue sur le parc Monceau, la maison Cernuschi nous livre ainsi quelques moments d’enchantement anachroniques. Continuer la lecture

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