Nusch, l’histoire sans paroles

La très jeune fille avait déjà été soubrette. Maria Benz, figurait à ce titre sur une affiche du restaurant allemand Drei Könige. Plus tard à Paris, après un passage parmi les artistes et intellectuels du Bauhaus, elle gagna aussi sa vie au Grand Guignol, Cité Chaptal. On ne sait pas à coup sûr si elle y joua des personnages de femmes décapitées, violées, mutilées, dévorées par un puma ou plus simplement si elle tint un rôle de figurante dans des numéros d’hypnose, alors en vogue. Toute la biographie de Nusch (surnom attribué par son père et que l’histoire artistique a retenu) est bien compliquée à établir puisqu’en dehors des photos de Man Ray ou encore de portraits de Picasso, elle n’a guère laissé de traces définitives, exception faite également de sa tombe dans la quatrième division du Père Lachaise. Elle y repose sans son mari le poète Paul Éluard inhumé tout à l’opposé dans le saint des saints du carré communiste. Sa vraie histoire commence avec Éluard d’ailleurs, comme il en ressort d’un livre qui vient de sortir chez Seghers et rédigé par Joana Masó enseignante en littérature française à l’université de Barcelone. Continuer la lecture

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Littérature selon François

Quel est le point commun entre Dante Alighieri, Michel Houellebecq, Thérèse d’Avila, Blaise Pascal, Paul Claudel, Georges Bernanos, Christian Bobin ou Sylvie Germain? Ces écrivains ont tous puisé l’inspiration dans la culture chrétienne. Littérature et christianisme, c’est une vieille histoire. Le Pape François a récemment publié un écrit qui fera date, une « Lettre sur le rôle de la littérature dans la formation ». En premier lieu destinée aux personnes engagées dans une formation sacerdotale, ce texte renouvelle l’approche de la littérature par l’Église et s’adresse finalement à tous tant son contenu est universel. Il faut d’abord dire que l’Église catholique a longtemps entretenu une volonté de contrôler la littérature, n’hésitant pas à condamner les œuvres qu’elle jugeait contraires à sa doctrine. Ce n’est qu’en 1966, que le Pape Paul VI a supprimé l’index, c’est-à-dire la liste des livres jugés pernicieux et que les catholiques n’étaient pas autorisés à lire. Rien de tel ici. C’est même le contraire. Le texte proposé est avant tout une ouverture sur le monde et sur le pouvoir de la littérature, que celle-ci soit ou non d’inspiration chrétienne, pour accéder au cœur de l’être humain. Continuer la lecture

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Guillemets filiaux

Quand la mère de Colette reçut un exemplaire du roman « La vagabonde », elle se réjouit et en profita pour flétrir au passage ceux qui n’étaient pas « dignes de lécher la boue » des souliers de l’auteur, c’est-à-dire ceux de sa fille. Cela se passait en novembre 1910. Sidonie (1835-1912) se montrait de la sorte satisfaite que sa Colette se comportât en femme affranchie et non-plus en gratte-papier de l’ombre pour le compte de son premier mari. Bien qu’elle reconnaisse qu’il avait fallu en passer par là, c’est le paradoxe même d’une émancipation. Colette, quant à elle, avait attendu la disparition de sa mère avant d’écrire sur elle un texte chargé de sentiments et de fascination. Elle n’était pas allée la voir depuis longtemps dans sa campagne non loin de Montargis, à Châtillon-Coligny, et avait même séché l’enterrement. Mais d’une certaine façon, en publiant « Sido », elle lui insufflait une nouvelle vie, laissant libre cours à l’expression d’une forme d’héritage intérieur. Continuer la lecture

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Étonnants ténors

Ah ces ténors! Ils nous en font voir! Mais ce sont des denrées si rares… Chez nous, depuis Roberto Alagna (qui se dit franco-sicilien parce que né de parents siciliens dans la banlieue parisienne) remportant le concours Pavarotti en 1988, à vingt-cinq ans, on attendait. On attendait le prochain Alagna. Bien sûr on a eu entre temps, hors de France, les deux phénomènes que sont le munichois Jonas Kaufmann, le beau Jonas qui peut tout chanter, et plus récemment l’américain Michel Spyres, ce bariténor lui aussi assez phénoménal. Deux ténors qui ont marqué l’histoire de l’opéra, comme notre Roberto. Rien n’est plus mystérieux que ces phénomènes naissant ici et là, on ne sait pourquoi. Mais rares, si rares. Comme ce jeune fils d’immigrés s’accompagnant à la guitare dans les cabarets alentour, tombant amoureux des disques des grands anciens, de Caruso à Domingo, prenant pour maître ce voisin ancien ténor cubain. En un temps record, selon sa légende, il développe des qualités inouïes: un timbre lumineux, une approche naturelle à la Pavarotti, un don pour le chant français, et le voilà demandé partout sur les grandes scènes européennes puis internationales. Continuer la lecture

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Les dentiers de la mer

Tandis que Louis XIII posait pour Philippe de Champaigne en 1635, quelque part dans les environs du Groenland, naissait un tout petit requin. À la sortie, il ne mesurait en effet avec ses frères, que 90 centimètres. Et le jour où il fut pêché pour évaluation scientifique, au 21e siècle, il mesurait quatre mètres, ce qui permit aux chercheurs d’établir que ce vertébré ne circulant qu’en eaux froides, affichait 400 ans sous la toise. On ne connaît cette espèce par observation que depuis 30 ans et l’on ne sait pas encore s’il en existe de plus âgés, mais quatre siècles, hein, cela fait quand même un bail. Leur cerveau avec tout ce temps a dû en empiler des données. Les spécimens qui croisent toujours dans les deux à trois cents mètres de profondeur, ont connu la coque des galions et celle des sous-marins nucléaires. Une des caractéristiques des requins du Groenland par ailleurs, est qu’ils vont très lentement, un kilomètre par heure environ, ce qui complique pour eux la quête d’un déjeuner. Ce qui fait que parmi leurs proies, ils choisissent notamment des phoques assoupis. Toujours est-il que Louis XIII de son côté, fils d’Henri IV et de Marie de Médicis, n’a vécu que 42 ans jusqu’en 1643, au château Neuf de Saint-Germain-en-Laye. C’est la rançon d’une vie à bride abattue. Continuer la lecture

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En excellent état de conservation

On part rarement se faire embaumer, sauf s’il s’agit bien sûr d’aller chez le parfumeur, car le verbe en question possède un double sens. Dans le premier et funèbre cas, quand une entreprise procède à cette opération, elle a l’accord des proches, le défunt ne se présentant pas spontanément. Mais il se trouve qu’un narrateur, à qui l’écrivain Edgar Poe avait prêté sa plume, décida après une nuit compliquée, d’aller justement se faire embaumer, ce qui est moins courant on l’admettra, que d’aller se faire voir, se faire cuire un œuf ou bien pire encore. Dans la  « Petite discussion avec une momie », le protagoniste (sans nom) décide dans l’ordre, d’écrire quelques notes et de quitter sa femme qualifiée de « mégère », pour cause (surtout) de nausées provoquées par le dix-neuvième siècle et aussi en raison de l’anxiété relative à l’identité du chef d’État qui serait élu en 2045. Sur ce dernier point, dans maints pays et pas seulement en France, on peut effectivement comprendre qu’un bon embaumement à l’égyptienne ou peu importe, une fois « rasé et le café avalé », puisse enfin apporter sur au moins quelques siècles, un peu de sérénité sans passer par les cases électorales. Continuer la lecture

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Droits d’auteur

Ernest Bourget, Paul Henrion et Victor Parizot avaient pour point commun d’être paroliers et compositeurs de musique, tendance variétés. Ce soir de mars 1847, ils prenaient du bon temps au café-théâtre Les Ambassadeurs, sur les Champs Élysées. Ils ont soudain la désagréable surprise d’entendre une artiste de la maison interpréter l’une de leurs chansonnettes. Désagréable, car ils n’étaient pas informés d’un tel emprunt, sans percevoir de droits d’auteur…(1) Ils décident, en représailles, de refuser de régler leurs consommations. Tumulte, intervention du directeur, procès. Procès qu’ils vont gagner, et qui débouchera sur la création de la SACEM (2), dont ils seront membres fondateurs, le 28 février 1851. Cet organisme indépendant a pour mission de gérer l’auparavant ingérable: la collecte et la répartition des sommes dues, relatives à l’exécution, la diffusion ou la reproduction de musiques. Il ne s’agit pas d’une taxe, mais de la juste rémunération d’une création intellectuelle, ayant le caractère d’une propriété privée, au bénéfice de son auteur. Continuer la lecture

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Musée Fragonard de Maisons-Alfort : plongée dans le règne animal 

Envie de tout savoir sur le règne animal et ses pathologies ? Mettez le cap sur l’école nationale vétérinaire de Maisons-Alfort et son musée Fragonard. On connaît les scènes galantes de Jean-Honoré Fragonard, l’un des peintres les plus renommés du XVIIIe siècle. On connaît moins son cousin, Honoré Fragonard (1732-1799), tout aussi honorable. Anatomiste réputé, il fut le premier directeur de l’École royale vétérinaire d’Alfort, ouverte en 1766. C’est aussi l’auteur des célèbres écorchés qui sont le clou du musée de cette école auquel il a donné son nom. Pour répondre à des difficultés de la France du XVIIIe (cheptel décimé par des maladies, monde agricole pétri dans des croyances et traditions, paysans fragilisés par des disettes et guerres), une première école vétérinaire royale est créée près de Lyon en 1761. Puis, une seconde est ouverte en 1766 sur le domaine du château d’Alfort. Ce seront les deux premières écoles vétérinaires du monde. Il s’agit de former des hommes utiles –et non des savants- qui mettront leurs connaissances en pratique pour aider les éleveurs à soigner leur bétail et soutenir ainsi l’économie du Royaume. Les disciplines abordées sont anatomie, physiologie, « opérations, pansements et maladies externes », et « maladies internes et médicaments ». L’enseignement vétérinaire repose surtout sur l’observation et l’expérimentation. Continuer la lecture

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Arthur Rimbaud n’habite plus à l’adresse indiquée

À Charleville, il n’est plus possible de déposer un courrier à l’attention d’Arthur Rimbaud dans la boîte aux lettres spécialement installée à l’entrée du cimetière où repose le poète. En 2023, une tempête a eu raison de ce précieux équipement qui, depuis 2005, recueillait les nombreuses missives envoyées par ses admirateurs: aveux intimes, confidences, témoignages de gratitude, petits poèmes… On s’adresse à Rimbaud comme à un frère. À l’entrée de ce cimetière de l’avenue Charles Boutet, un panneau informe les « pèlerins »: « Dans l’attente d’une nouvelle création, nous invitons les visiteurs à laisser leur courrier à Arthur dans la boîte aux lettres du gardien où il sera précieusement gardé ».
L’installation d’une nouvelle boîte est prévue. Le nouvel équipement, pour lequel la municipalité a lancé un appel à projet, devra être une création originale tout en respectant les normes fixées par La Poste, notamment pour ses dimensions.  On pourra donc toujours écrire au plus révolté des poètes, mais en se conformant à la réglementation. Continuer la lecture

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Le surréalisme sauf erreur

Pour Aragon, l’amour frôlait le « délit », l’erreur constituait un « royaume noir », et le surréalisme était un « vice ». De telles affirmations n’invitent pas au bâillement, au contraire, elles suscitent même un levé d’au moins une paupière et l’on se dit tiens, voilà qui est intéressant, enfin non conforme. Alors que le Centre Pompidou vient d’ouvrir une exposition sur les cent ans du surréalisme, il est intéressant d’ouvrir « Le paysan de Paris », livre de Louis Aragon (1897-1982), rédigé à partir de 1923 et publié en 1926. Le texte enjambait chronologiquement l’apparition officielle du surréalisme, sous la forme d’un manifeste publié par l’ami du premier, André Breton (1896-1966). « Le paysan de Paris » est un titre trompeur, mais son contenu est la plupart du temps de haute volée. On sent que le jeune homme de l’époque qu’était Aragon, bouillonne de génie intérieur et il n’est pas une page qui ne contienne quelque chose d’aiguisé à s’en couper les doigts. Il y présente le surréalisme sans crier gare, comme un vice donc, né à partir d’un mot formé en son temps par Guillaume Apollinaire. Continuer la lecture

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