Fréhel comme le cap

Il y avait en ces temps-là, une grande démesure dans les soirées de Saint-Pétersbourg. C’était juste avant la Première Guerre mondiale. Dans ses peu nombreux souvenirs écrits, la chanteuse Fréhel qui se produisait sur la scène russe, s’était souvenue d’un grand homme de l’armée russe. Il venait voir sur scène une autre chanteuse, Germaine Fabiani. Il en avait fait son amante et cet homme « superbe de prestance et de force », ne supportait pas que les chefs d’orchestre pussent jouer autre chose que les textes interprétés par sa dulcinée. La violence qui exsudait de son visage, surtout lorsqu’il était ivre, invitait les chefs d’orchestre à s’incliner. Sauf un qui refusa. Et elle se souvenait encore de cet officier qui se leva alors dans un « uniforme de la garde, bleu avec un liseré rouge », elle revoyait l’éclair du sabre qui décapita d’un coup le récalcitrant devant le public interdit. Fréhel décrivait une ville tellement blasée des outrances, des drogues et des alcools qui circulaient en masse, qu’elle supposa que le chef des maîtres d’hôtel Nicolas Glass, s’était contenté de « faire figurer l’infortuné sur la note ». Marguerite Boulc’h dite Fréhel, n’avait pas encore trente ans et un itinéraire tout à fait hors normes. Continuer la lecture

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Le pouvoir parallèle des récits résistants

Il existe toujours un potentiel pour de petits actes de rébellion, une résistance dont les conséquences peuvent être considérables. En témoignent de nombreuses formes d’œuvres d’art, y compris les films. Exécuté avec une magnificence saisissante, « La Vie des autres » (Das Leben der Anderen) un film allemand écrit et réalisé par Florian Henckel von Donnersmarck, est une telle œuvre qu’elle sollicite aussi bien notre intellect que nos émotions, marquant ainsi un moment historique crucial. On y voit le Berlin de 1984. Le règne de la Stasi (service de police politique ndlr) étouffe toute velléité de liberté. Gerd Wiesler, capitaine zélé et rouage implacable du système, s’immisce dans la vie du dramaturge Georg Dreyman et de sa compagne, l’actrice Christa-Maria Sieland, pour les espionner. Mais au fil des écoutes clandestines, un murmure inattendu s’élève en lui-même, une mélodie de résistance qui ébranle les fondations de son endoctrinement. « La Vie des autres » (2006) est un film poignant qui explore les complexités morales et psychologiques des individus vivant sous un régime autoritaire. L’intervention de l’officier Wiesler, pour finalement soutenir la publication clandestine d’un article politiquement chargé, illustre le pouvoir transformateur de la conscience individuelle dans la lutte contre l’oppression collective à l’aide de l’art. Cette action révèle la capacité des êtres humains à transcender les limites imposées par les régimes autoritaires, une thématique toujours pertinente aujourd’hui. C’est l’histoire non pas d’une, mais de deux incarnations de la résistance qui sont à la fois artistiques et politiques. Continuer la lecture

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Comme par hasard

Finalement la coïncidence la plus facile à admettre est dans l’ordre de la géométrie. Si deux figures se superposent ou s’emboîtent en effet, on peut dire qu’elles coïncident. Elles atteignent même une forme de perfection telle que dans la vie de tous les jours, nous serions bien heureux d’en éprouver plus souvent. La seconde définition c’est lorsque deux événements se produisent en même temps. Vous pensez à votre mère et la voilà qui sonne à la porte avec, dans les bras, le clafoutis aux fraises dont vous songiez en secret. Et puis il y a ce qui se produit par hasard ou comme par hasard, vous souhaitez être tranquille et le casse-pied du quartier se présente à vous sur le même trottoir avec le sourire. En 1919, un biologiste autrichien, Paul Kammerer, avait théorisé par extension une quatrième option, dont il avait fait un livre intitulé « La loi des séries ». Une loi aussi importante que celle de Newton selon lui, dont elle serait ni plus ni moins que le complément. Un ouvrage décrié et pourtant décrit comme Einstein en personne comme « plein d’esprit » et « tout sauf absurde ». Et dont la traduction en français vient de paraître pour la première fois, pile au moment où les librairies ne l’attendaient pas. Continuer la lecture

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Les jardins féériques d’Albert Kahn

C’est un havre de paix, un paradis exotique aux portes de Paris. L’ancienne propriété du banquier philanthrope Albert Kahn (1860-1940) comprend un fabuleux jardin à scènes paysagères de 4 hectares, une Maison des Illustres revisitée dont un musée flambant neuf conçu par l’architecte japonais Kengo Kuma. Fils de négociants en bestiaux à la réussite spectaculaire, Albert Kahn, dans un idéal de paix, mit sa fortune au service de la connaissance, du progrès et de l’entente entre les peuples. Parmi les nombreuses réalisations de cet humaniste éclairé figurent Les Archives de la Planète, une collection d’images photographiques et cinématographiques commandées à une douzaine d’opérateurs durant le premier tiers du XXe siècle, une sorte d’inventaire visuel du monde. Cet amoureux de la nature fit également produire des milliers d’images en couleurs de son jardin de Boulogne et de celui de Cap-Martin, sur la Riviera, aujourd’hui disparu. L’exposition actuelle, “Natures vivantes”, présente une partie de ces images exceptionnelles, pour la plupart inédites, aux côtés de plantes “animées” issues des films scientifiques du Dr Jean Comandon (1877-1970) et de créations d’artistes contemporains. Bienvenue dans le monde merveilleux d’Albert Kahn ! Continuer la lecture

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Les souris n’ont toujours pas mangé les chats

Trop sûrs d’eux, les Espagnols rédigèrent un petit mot trempé dans le vinaigre à l’adresse de ceux qui voudraient le lire et plus particulièrement les troupes françaises: « Quand les Français prendront Arras, ironisèrent-ils ainsi, les souris mangeront les chats. » Le 13 juin 1640 pourtant, l’affaire était pliée, huit ans avant la fin de la Guerre de Trente ans. Ce qui fait que les vainqueurs écrivirent en retour une réponse moqueuse qui disait: « Les Français ont pris Arras et les souris n’ont point mangé les chats. » Tout cela se situant dans la première moitié du 17e siècle, le Nord de la France et des Pays-Bas étaient alors terres espagnoles. Louis XIII et Richelieu régnaient, l’un pour de vrai l’autre par délégation, mais chacun d’eux le sens du territoire chevillé au corps. Et les deux belles places d’Arras étaient déjà là avec dessous un réseau souterrain à tout faire -Les Boves- , en temps de paix comme en temps de guerre. De cette affaire de siège d’Arras, actuel chef lieu du Pas-de-Calais, il est resté une estampe d’époque (ci-dessus) bien connue des spécialistes, et dont la banderole peut encore servir, y compris dans les affaires publiques ou nos aventures domestiques. Continuer la lecture

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Culteluphilie (1)

Le couteau laguiole (prononcer layol’) a parcouru tous les degrés de l’institution juridictionnelle, tribunal de grande instance, cours d’appel, cour de cassation, cour européenne de justice. Il découle de toutes ces étapes des attendus définitifs: la commune de Laguiole est connue pour ses couteaux et non l’inverse, ces couteaux sont fabriqués, depuis le XIXe siècle…principalement à Thiers, lorsque ce n’est pas, de nos jours, en Chine ou au Pakistan. Le couteau dit laguiole ne constitue pas une marque commerciale, mais la désignation d’une forme particulière, quel que soit son lieu de production (2). Il s’agit par conséquent d’une appellation générique,  non susceptible de faire l’objet de normes de fabrication ou de qualité. À l’amateur de savoir ce qu’il achète, en fonction du nom du fabricant et du lieu de confection, précisés, le cas échéant, sur la lame. Comme tous les couteaux pliants, autrement dénommés canifs fermants, le couteau laguiole se compose d’une lame et d’un manche, reliés par une articulation. Celle-ci est « à cran forcé », en ce sens qu’un ressort se place en appui sur le talon de la lame, une petite plaque de métal arrêtant la lame en position ouverte. En forme d’abeille (ou mouche), elle identifie le laguiole. Mais des variantes se rencontrent, fleur, rosace, feuille d’arbre, équerre et compas. Voire même, au cours de notre histoire, bonnet phrygien ou profil de Napoléon III. Continuer la lecture

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Selfie moucheté

Drôle d’endroit pour une rencontre olympique. La maison parisienne de Victor Hugo sise place des Vosges, consacre toute une pièce à quelque chose qui n’a rien à voir ni de près ni de loin avec l’hôte. Sur quelques mètres carrés, ont été assemblées des sculptures présentant des sportifs, hommes, femmes, handicapés et non handicapés. Signées Stéphane Simon, elles sont plutôt réussies, celles ayant un membre manquant comblent le vide avec élégance par un équivalent doré. Bien dans notre époque égocentrée, elles adoptent la position du selfie. Et invitent nous dit-on, les visiteurs à faire de même, de façon à se laisser transfuser par effet de proximité, les valeurs de l’olympisme: « liberté, égalité, inspiration, courage, amitié, excellence, respect, détermination, fraternité, victoire ». Alors même que le moindre podium à lui seul, contredit toute idée d’égalité, exaltant au contraire la domination des uns sur les autres. Cette réunion statuaire se prend un peu, en termes de valeurs, les pieds dans le tapis, notamment sur la question de la paix. Dans la mesure où nombre de pays participants sont des belligérants et se haïssent cordialement. La question reste de savoir ce que ces œuvres font exactement là, dans la maison de l’auteur des « Contemplations ». Continuer la lecture

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Si Beethoven m’était conté

Chaque fois, chaque année, Laurence Equilbey fait encore plus fort, en toute modestie pourrait-on dire, même si la maestra française est connue dans le monde entier depuis les années 80, à une époque où les femmes à la baguette n’existaient pas. Elle a étudié la musique à Paris, Vienne et Londres, et dès 1991, elle a fondé le premier chœur français professionnel Accentus (baroque, romantique, a cappella, contemporain). Ensuite, elle a créé sa propre phalange sur instruments anciens Insula orchestra en 2012. Et depuis l’ouverture en 2017 du vaisseau de verre et de bois de la Seine musicale posé sur la pointe aval de l’île Seguin à Boulogne (faisant pendant à celui de la Philharmonie de Paris à l’extrême Est), elle préside à la programmation de l’auditorium (classique, opéra, contemporain). Dès son premier concert, elle a imposé sa marque qui est de mettre la musique classique en scène, et on se souvient encore de cette «Création» de Haydn confiée à la Fura dels Baus, fameux collectif catalan bousculant depuis quarante ans avec ardeur et fureur les règles de la mise en scène. Projections vidéo, jets de lumière, multiples dispositifs, grue, filins, ballons, et cet aquarium au premier plan, artistes sautant, grimpant ou s’immergeant tandis que l’orchestre, les chœurs et les solistes déroulaient imperturbablement les étapes de la Création du monde. Continuer la lecture

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La muse des deux

Quelque part dans les années cinquante, Isabelle Collin Dufresne qui n’était pas encore Ultra Violet, badinait avec Salvador Dali dans la suite d’un palace new-yorkais. Après lui avoir demandé de poser nue, il entreprit avec elle une sexualité par procuration, consistant à faire circuler de sa main sur la peau de sa muse, un homard neutralisé. Au moment où le crustacé venait d’atteindre un lieu stratégique avec le visage de Dali tout près de la carapace, le téléphone sonna et, le maître relevant la tête pour répondre, dut bien constater que le homard était resté accroché à l’un des bouts de sa moustache. Ce qui fait que l’animal termina son existence terrestre en vol plané à travers la forcément somptueuse chambre du Saint-Régis, entre Madison et la Cinquième Avenue. C’est entre autres trucs marrants, ce que cette femme disparue il y a maintenant dix ans, racontait dans un livre paru en 1989. Il était titré « Ultra Violet, ma vie avec Andy Warhol », mais un assez large chapitre était consacré à Salvador Dali. Ce dernier lui disant un jour que son coude à elle était aussi « comestible que le quignon d’une miche de pain ». Elle lui rétorquant ton sur ton que ses lèvres à lui étaient aussi comestibles « qu’un grain de muscat épluché ». Mais il la corrigea en prétendant qu’elles étaient davantage comparables aux « testicules de Phidias » (artiste grec, 430 avant J.C.) qu’il était en train de peindre. Continuer la lecture

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Contre-emploi

En achevant l’écriture de sa « Neuvième symphonie » voici deux cents ans, Ludwig van Beethoven n’imaginait sûrement pas à quel point son message de fraternité serait détourné des années plus tard par le réalisateur Stanley Kubrick pour son film « Orange mécanique ». Dans ce long-métrage d’anticipation sorti en 1971, un certain Alex DeLarge domine l’intrigue. C’est un voyou dont le plaisir est de tuer et de violer en bande organisée. Le personnage principal aime par ailleurs la musique classique et principalement la « Neuvième symphonie », utilisée par fragment en guise d’illustration sonore. Il s’agit pour le moins d’un contre-emploi et en tout cas, de l’usage malsain d’une œuvre qui se voulait porteuse liberté, de joie et de fraternité. Beaucoup de critiques s’étaient extasiés devant ce film il est vrai puissant mais comment se réjouir de certaines scènes aussi dures, c’est une vraie question. La société tente de soigner la violence sadique de Alex DeLarge en le forçant à écouter la Neuvième tout en regardant (paupières bloquées par des écarteurs) des scènes épouvantables de viols ou de meurtres. Et cela fonctionne. Jusqu’à un certain moment où le jeune homme dans son bain s’estime guéri de sa guérison, puisqu’il peut à nouveau écouter la Neuvième sans éprouver de nausée. Continuer la lecture

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