Patti Smith, entre songe et réalité

Depuis quelques années déjà, de temps à autre, la chanteuse et poétesse américaine Patti Smith nous livre par écrit ses pensées et ses pérégrinations de par le monde. Si “Glaneurs de rêves” (Woolgathering, 1991), son premier opus autobiographique, entremêlait souvenirs d’enfance, poèmes et rêveries, ce fut le désormais célèbre “Just Kids” (2010) qui lui permit de se raconter réellement. Best-seller international couronné par le National Book Award, ce livre répondait à la promesse faite au photographe Robert Mapplethorpe (1946-1989) de raconter un jour leur histoire. La rockeuse s’y livrait avec la plus grande sincérité et nous offrait concomitamment le récit passionnant d’une époque qui ne l’était pas moins, celle du New York underground des années 1960-1970. Aujourd’hui, avec “L’année du singe” (2020), alors que nous sommes sur le point de quitter l’année du Rat de Métal pour celle du Buffle, l’interprète de « Because the night » nous ramène à l’an 2016, un moment charnière où l’Amérique s’apprête à vivre un bouleversement politique et elle-même, née le 30 décembre 1946, à entrer dans une nouvelle décennie… Continuer la lecture

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Distinctions

Habituellement, dans la distribution semestrielle de la Légion d’honneur à la population civile, la part dévolue au ministère de la Santé est plutôt modeste. Mais, ce 1er janvier 2021, elle représente près de 60% de l’effectif total. Avec la particularité de s’ouvrir, à côté de l’habituel contingent du mandarinat médical et des cadres de l’administration, au personnel hospitalier, dans le sens le plus large de la fonction. Y figurent infirmières, kinésithérapeutes, laborantins, aide-soignants, agents de restauration, tous proclamés «héros de la crise sanitaire». L’exercice en milieu gérontologique constitue un plus indéniable dans les critères de sélection. La COVID-19 aura au moins eu un effet secondaire bénéfique. Continuer la lecture

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Le blues de Ma Rainey

Diffusé récemment sur Netflix, le film «Le Blues de Ma Rainey» nous plonge dans les coulisses de l’enregistrement d’un disque d’une reine Afro-Américaine du blues en 1927, à Chicago. C’est presqu’un «all black cast movie» : si les musiciens et la chanteuse sont noirs, l’agent et le producteur sont des Blancs, comme c’était l’usage, et l’affrontement entre eux constitue un des points forts du film (voir mon article du 16 décembre 2020 sur Robert Johnson, révélé par des Blancs newyorkais.)
Ma Rainey se fait attendre, le producteur et l’agent sont de plus en plus frénétiques, tandis que les musiciens patientent et discutent tranquillement en vieux routiers. Mais voilà que survient le jeune trompettiste Levee, qui commence par leur faire admirer ses toutes nouvelles pompes jaunes. Les autres se moquent gentiment de lui, mais le jeune vantard veut maintenant leur imposer sa propre version du grand standard qu’ils vont enregistrer, jurant que le producteur est d’accord. Continuer la lecture

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La Fontaine, l’homme affable

Un soir de jeunesse, alors qu’il vivait toujours à Château-Thierry, Jean de La Fontaine s’introduisit en douce chez une femme qu’il convoitait. Surprise au lit alors qu’elle dormait avec une amie, la dame éconduisit vivement le jeune homme. Cependant l’affaire fit scandale au point que le père du futur poète l’obligea à se marier. Il n’en demeura pas moins volage, décidant par voie de conséquence sa jeune épouse Marie Héricart, à se venger en prenant un amant. Mais La Fontaine trouva l’homme si aimable qu’il le pria de continuer à fréquenter sa femme. Au grand dam de la petite société des Castrothéodoriciens qui exigèrent un duel. La Fontaine s’exécuta très mollement et après un pseudo-combat, invita celui qui s’appelait le capitaine Poignant, à sceller la réconciliation dans une bonne auberge. Et de lui signifier: « J’ai fait ce que le public voulait, maintenant je veux que tu viennes tous les jours chez moi, sans quoi je me battrai encore avec toi. » Tel était un aspect de ce personnage finalement méconnu dont l’année 2021 en fait un quatre fois centenaire. Continuer la lecture

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Asinara (Sardaigne), l’impossibilité d’une île

J’avais à peine 6 ans quand mon grand frère a été gommé de ma vie. Depuis six mois, Luigi ne passait plus que très rarement voir mes parents. A chaque fois, cela finissait par une dispute. Mon frère parlait politique, mes parents parlaient raison. «On ne te reconnaît plus, tu as tellement changé. Ce sont tes mauvaises fréquentations de la fac qui t’ont tourné la tête». A quoi Luigi rétorquait : «Je suis adulte, je fréquente qui je veux et je sais ce que je fais». Quand mes parents ne répondaient pas à ses sollicitations, cela se terminait invariablement par un claquement de porte accompagné de mots rebelles : «Bourgeois de merde, gardez vos tunes pour vos petits plaisirs capitalistes !». Continuer la lecture

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Bye bye London

Certes, on s’y attendait depuis quatre ans à ce Brexit. On savait bien que deal ou pas deal, les britanniques avaient choisi de quitter le navire Europe pour voguer en solo sur les mers agitées de la mondialisation, persuadés que la liberté est à ce prix. Ils la paieront très cher cette liberté et viendra peut-être très vite le temps où ils regretteront de s’être fait berner.
Pour les amoureux inconditionnels de Londres dont je fais partie, ce n’est évidemment pas une bonne nouvelle. Même si envisager aujourd’hui une escapade londonienne relève du parcours du combattant pour cause de Covid, nul ne sait vraiment pour l’instant à quelle sauce sera mangé le voyageur européen post-Brexit quand la pandémie sera derrière nous. Continuer la lecture

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Divin divo et reine des reines

Jonas Kaufmann, le divin divo allemand, porte le lourd fardeau, depuis quelque vingt ans, d’un double sacre, celui du «plus grand et plus beau ténor du monde». On pourrait même lui accorder une triple couronne, «le plus grand, le plus beau, et le plus intelligent ténor du monde», faisant mentir l’ancien adage «con comme un ténor» par l’intelligence du choix de ses rôles comme de ses interprétations.
Après avoir découvert au conservatoire de Munich, vers 25 ans, comment transformer sa voix en «un jouet incassable», il a dû batailler pour se faire engager sur de grandes scènes, car on le trouvait un peu trop beau pour le prendre au sérieux. Et c’est la belle roumaine Angela Gheorghiu (alors partenaire de Roberto Alagna «à la ville comme à la scène») qui ayant repéré «his good looks», en fit une star internationale en l’imposant dans «La Traviata» au Met en 2006. Continuer la lecture

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L’Homme qui aimait les femmes : quel Homme ?

affiche l'homme qui aimait les femmesLe reconfinement a été l’occasion de ressortir et de reparler de films anciens, souvent mythiques, que l’on a toujours plaisir à regarder. Tel fut le cas de «L’Homme qui aimait les femmes» de Truffaut, sorti en 1977, avec Charles Denner dans le rôle de «l’Homme» et toute une kyrielle de jolies femmes dans le rôle des «femmes». La majuscule et les minuscules ne sont pas de moi mais bien dans le titre du film. Ainsi le film était présenté sur Arte le 21 octobre, Jérôme Garcin et son équipe du Masque en parlaient le dimanche 22 novembre, et Kathleen Evin y revenait en compagnie de Noémie Lvovsky, dans L’humeur vagabonde samedi 26 décembre, à l’occasion de la sortie par Arte d’un coffret de huit films de Truffaut. Continuer la lecture

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Le Louvre en mode polyphasé

Jean Vergnet-Ruiz pouvait bien écrire avec raison que la « Victoire de Samothrace » rayonnait « sous des feux changeants », dans un cadre « prodigieusement apte à la mettre en valeur ». Et ce n’était pas seulement parce qu’elle venait d’être installée tout en haut de l’escalier Daru, mais parce qu’elle bénéficiait pour la première fois d’un éclairage savant dû à l’électricité. Lorsque Henri Verne publie en 1937 « Le Louvre la nuit » avec la participation de Jean Vergnet-Ruiz, il met en valeur son propre travail de modernisation du musée du Louvre. Celui ayant consisté non seulement à y faire entrer l’électricité, mais aussi le téléphone, le chauffage et des moyens scientifiques d’étude des œuvres via un laboratoire qu’il crée en 1926. Nommé directeur des musées nationaux en 1925, c’est lui aussi qui tenta la première expérience d’ouvrir le Louvre la nuit en 1936 dans les galeries de la sculpture grecque et des grands monuments égyptiens, lesquels occupaient environ 10% de la surface totale. Continuer la lecture

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Looking for Miss Playden

L’événement avait été jugé suffisamment important pour que l’on décide de mettre l’article en première page. Le samedi 5 juillet 1947, la «une» du Figaro littéraire titrait sur trois colonnes : «Dans un ranch de Californie, une vieille dame apprend qu’elle a été l’héroïne amoureuse d’un grand poète français». L’auteur du papier s’appelle Robert Goffin. Cet avocat belge est une personnalité forte et atypique. Ami de Boris Vian et de Louis Armstrong, il s’intéresse au jazz autant qu’à la poésie, deux sujets sur lesquels il publiera nombre d’ouvrages. Il vénère Guillaume Apollinaire et il a près de 50 ans lorsqu’il décide de retrouver celle qui a inspiré ses plus beaux poèmes, en particulier « La Chanson du Mal-aimé » et « L’Émigrant de Landor Road ». Continuer la lecture

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