Tabou sensible

Le train qui s’éloigne. Un homme reste à quai. Derrière la vitre d’un compartiment Marion se tient debout. Deux minutes auparavant, après 60 minutes de film, l’homme d’à peine trente ans a cédé à la supplique de la jeune fille. Ils se sont embrassés. Dans le film elle n’a que quatorze ans soit un an de moins que l’actrice. Elle est sa belle fille. Il est son beau père qui donne le titre à ce long métrage sorti en 1981. Est-ce que Bertrand Blier qui a fait de la transgression une des marques de fabrique de sa filmographie pourrait encore réaliser la même chose? Cela n’a rien d’évident et ce doute est certainement emblématique d’une époque qui n’entend plus rien ne laisser passer. De surcroît il était produit par Alain Sarde et une chaîne de télévision publique. Qui ne ne prendrait probablement pas le même risque aujourd’hui. Blier a dit, en marge du DVD, que l’affiche retenue, davantage provocante, n’était pas celle qu’il avait choisie. Continuer la lecture

Publié dans Cinéma | 3 commentaires

Tremblements d’Arménie

Cette photo intrigue en même temps qu’elle étonne. Cinq personnes sont assises sous un ciel qui annonce l’orage. Il y a ce monsieur en costume avec sa canne et son chapeau. Une dame en uniforme qui tient un parapluie rouge. Une autre qui semble applaudir, son sac à ses pieds. Et deux autres que l’on ne voit pas parce qu’elles sont cachées derrière un parapluie. On sait que c’est en Arménie parce que c’est l’objet d’un livre qui vient de sortir aux éditions « D’une rive à l’autre ». Mais comme toutes les photos ici rassemblées par Patrick Rollier, elles ne comportent pas de légende. L’auteur a choisi d’entretenir le mystère qui prévaut encore sur ce pays lointain. À l’aide de vues intimistes, esthétiques et nostalgiques, il nous livre bien davantage un rêve qu’un documentaire. Continuer la lecture

Publié dans Livres, Photo | Commentaires fermés sur Tremblements d’Arménie

Soustraction faite du son

S’intéresser aux oiseaux est une façon comme une autre de tourner le dos, le temps d’une pause, aux fracas qui nous assourdissent. Chez les Japonais qui pratiquaient l’estampe, la représentation des volatiles appartenait au monde de l’ukiyo-e, c’est à dire les « images du flottant ». En l’occurrence, dans ce plaisant livre qui vient de paraître aux éditions Hazan, il s’agirait plutôt d’un monde volant mais, comme nous l’explique en liminaire la spécialiste de cet art si particulier Anne Sefrioui, le terme ukiyo-e, évoquait tout d’abord « l’impermanence des choses terrestres », avant d’évoluer vers l’hédonisme, « la jouissance du moment présent » et les « plaisirs de la vie ». Notamment versées dans cette thématique qu’est l’estampe japonaise à travers les siècles, les édtions Hazan nous invitent une fois de plus à faire un pas de côté, façon de démontrer que nous lecteurs, ne sommes pas à la disposition soumise des événements. Continuer la lecture

Publié dans Livres | Un commentaire

Manuel de campagne

Il est possible de deviner l’histoire de cette aile d’insecte. Elle a été retrouvée à la page 117 du « Manuel du gradé de l’artillerie de campagne », édition de 1917. Cette page décrit comment l’officier doit mener son cheval « en main », former et rompre un parc. On peut donc supposer qu’à ce stade, l’officier ou l’apprenti officier ait remis la lecture de la suite à plus tard, soit que c’était l’heure de l’appel, de l’apéritif ou du feu. Toujours est-il que l’insecte qui passait par là, traçant vers une destination pour nous mystérieuse, a vu sa trajectoire s’arrêter net. Un dommage collatéral comme on dirait de nos jours. Nettement plus loin, page 362, il a été aussi bien émouvant de retrouver un brin de paille, marquant l’apprentissage de l’alphabet morse. Banal mais délicat débris végétal qui porte encore en ses rainures l’atmosphère, sonore et olfactive, du front. Continuer la lecture

Publié dans Apollinaire, Livres | 2 commentaires

Lebel en noir et rouge

Jean-Jacques Lebel. Photo: Philippe BonnetForcément, avec toute cette vie à militer pour la liberté en général et celle de l’art en particulier, les yeux se sont un peu plissés. C’est peut-être aussi l’ambiance si lumineuse de son jardin qui veut ça. D’ici quelques jours, Jean-Jacques Lebel aura 84 ans. Juste avant de parler il a commencé par enfiler son masque anti-virus et invité son interlocuteur à faire de même. La résolution, bonne ou mauvaise, a tenu deux minutes. Rien d’étonnant chez cet homme qui a lutté tout au long de son existence contre les carcans et les systèmes. Au point qu’il en sera de même après sa mort. Sa belle maison contemporaine, nichée tout au bout d’une impasse du 9e arrondissement, il n’en a plus que la jouissance. De même que le millier d’œuvres qu’il a glanées tout au long de son parcours. Selon sa volonté, tout est déjà parti dans un fonds de dotation. Ce trésor, désormais inaliénable, sera en partie à découvrir au Musée d’Arts de Nantes à partir du 17 juillet. L’exposition devait débuter en mars, mais le coronavirus a brûlé au printemps, les pages des agendas culturels. Continuer la lecture

Publié dans Apollinaire, Exposition, Portrait | 3 commentaires

Une vague d’amour tardive

En 2018, Jean-Marie Laclavetine prend conscience de ce rêve récurrent qui le surprend aux petits matins, d’une jeune femme en robe blanche qui le regarde, lui assis en terrasse, elle debout en face au coin de la rue. Elle lui fait porter des fleurs par un jeune garçon. Et disparaît. Longtemps, Jean-Marie Laclavetine a cru que cette jeune femme était sa mère, Janine. Il ne comprend pas très bien ces images qui le renvoient à ses origines. Il hésite alors à écrire sur sa mère et renonce : « elle n’aurait pas aimé du tout être mise en avant ».
Mais c’est ce même rêve qui l’a finalement décidé à écrire, à mettre des mots sur un événement tragique, sur un silence familial implicitement consenti : la mort accidentelle de sa sœur, Annie, quarante ans auparavant, emportée par une vague aussi invisible et sournoise que réelle et puissante. C’était le 1er novembre 1968, sur les rochers qui surplombent la Chambre d’Amour sur la côte basque, à Biarritz. Continuer la lecture

Publié dans Livres | 2 commentaires

Comment s’inspirer des plantes pour innover

En 2008, ils nous faisaient découvrir “La bionique” (1), puis, en 2014, avec “Poulpe Fiction” (2), nous présentaient des découvertes technologiques, aussi passionnantes qu’amusantes, inspirées des animaux : hydrolienne-thon, robot-poulpe-sous-marin, humanoïde-auxiliaire de vie, prothèse contrôlée par ondes cérébrales… Aujourd’hui, Agnès Guillot, docteur en psychophysiologie et en biomathématiques, et Jean-Arcady Meyer, ingénieur et docteur ès sciences naturelles, avec leur nouvel ouvrage “L’or vert – Quand les plantes inspirent l’innovation”, nous emmènent, d’une plume alerte et non dénuée d’humour, à la découverte de plantes très inspirantes. Un aperçu de la bio-inspiration végétale édifiant et en tout point captivant ! Continuer la lecture

Publié dans Livres | 5 commentaires

Le Carré et Cie anti-Brexit

Ils sont formidables, ces artistes et intellectuels anglais! Tous contre le Brexit, naturellement, et ils le disent, John le Carré en tête ! Peu importe ses quatre-vingt-neuf ans, peu importe son extraordinaire longévité d’être humain et d’écrivain, David Cornwell n’est pas près de se résigner !
Et voilà qu’une fois de plus, à son âge, il fait la démonstration de ce qu’il n’a cessé de clamer dans le désert sans être entendu. Il l’a fait en ajoutant une préface à la énième réédition de « L’espion qui venait du froid » en 2013, ainsi que dans son autobiographie savoureuse « Le tunnel aux pigeons » en 2016 (1) : son œuvre n’est pas la révélation de sa brève carrière d’espion au temps de la guerre froide, c’est une œuvre d’imagination. Le malentendu dure depuis cinquante, bientôt soixante, le monde entier pense qu’il n’a cessé de révéler les arrière-cuisines de l’espionnage britannique alors qu’il n’a cessé de le nier. Continuer la lecture

Publié dans Livres | 4 commentaires

Angélophanie

Devant sa boîte de pinceaux, démasquée pour les besoins de la photo, elle colorie des anges. Brigitte de Cuyper a eu un jour cette idée paraît-il unique, celle consistant à ouvrir une échoppe consacrée aux anges, rien qu’aux anges. Au pied du funiculaire de Montmartre, malgré l’absence de touristes due à la « guerre » sanitaire, elle tient son fonds de commerce depuis plus d’une vingtaine d’années, juste après la mort de son père. Un des gros avantages de la matière angélique, explique-t-elle, c’est que les clients qui viennent la voir, sont toujours aimables. Ils n’élèvent jamais la voix. « La boutique des anges » est ce faisant, le symétrique inverse d’une boutique de télécoms où l’abonné le plus souvent fulmine, devant moult tracas. Il semble bien évident qu’un service après-vente serait ici superflu. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | 2 commentaires

Salam Lahore

Le froid qui pénètre par la fenêtre entrebâillée m’a saisie pendant mon sommeil. Réveil engourdi, recroquevillée en chien de fusil au fond du lit. Je déplie ma jambe et bascule vers lui pour me lover contre sa chaleur. Les yeux toujours clos, je tends mon bras à la rencontre de son corps. Qu’il me serre contre lui. Retrouver le goût de ses baisers sur mes lèvres. Rêve ardent. Ma main se heurte au vide. Brusquement mon cœur bat fort, mes yeux s’ouvrent grand, mes rêves se grippent. Sursaut. Je rabats le drap et me lève d’un bond. Sur le matelas vide, la forme incurvée de son corps. Continuer la lecture

Publié dans Nouvelle | 4 commentaires