Les cent vingt visages de Hokusai

Portrait d'Hokusai. Aspect de l'exposition. Photo: Valérie MaillardLes longues files de visiteurs qui se forment au petit matin devant le Grand Palais bien avant l’ouverture de l’exposition Hokusai ont repris. Après la relâche observée du 21 au 30 novembre pour préserver les œuvres, les galeries nationales rouvrent leurs portes au public. La manifestation a été conçue en deux temps avec cette interruption de dix jours pour permettre le remplacement de 170 pièces : estampes, carnets ou peintures de l’artiste japonais, à qui l’on prête la production de près de 30.000 œuvres au cours de sa vie.

Cette monographie de grande ampleur démarre donc son deuxième volet. C’est, et pour plusieurs raisons, le moment d’y aller ou d’y retourner. Beaucoup de ces œuvres sur papier ou sur soie (cartes, estampes ou livres illustrés) extrêmement fragiles, ne sortiront plus, après 2016, du futur musée Hokusai de Tokyo. Le Grand Palais a donc bien fait de batailler un peu pour les réunir – beaucoup viennent de collections privées –, afin de nous convier à les voir. Chaque volet présentant environ 320 œuvres de Hokusai, seules 145 d’entre elles sont maintenues pendant la durée totale de la manifestation. De l’avis le plus partagé, il faut bien deux visites pour venir à bout de cette présentation quasi exhaustive – les œuvres érotiques n’y figurent pas – des grandes périodes de la production d’Hokusai. Et il faut du temps : la plupart des pièces méritent que l’on s’y attarde et, au vu leur petitesse pour certaines, en les considérant de très près pour en savourer les détails.

Passée rapidement la première salle, qui présente le contexte politico-commercial qui donna naissance au japonisme en France dans la seconde moitié du XIXe siècle (dont l’influence se propagea de l’Impressionnisme à l’Art nouveau), l’exposition est un pur enchantement. Elle déroule en six périodes chronologiques. Six des cent vingt noms d’emprunt de Hokusai écrits en lettres blanches sur les murs – un artiste-artisan signe d’abord du nom de ses maîtres avant de se choisir le(s) sien(s) – servant de bannières de repérage dans la profusion. Six noms correspondant aux six périodes qui articulent l’œuvre immense de Hokusai.

Aspect de l'exposition Hokkusai. Photo: Valérie Maillard

Aspect de l’exposition Hokkusai. Photo: Valérie Maillard

Hokusai, qui peignait alors sous ce nom, avait un jour laissé divaguer sur une feuille de papier un coq dont les pattes étaient enduites de peinture. De cette divagation animale hasardeuse naquit ensuite, cette fois sous la patte de l’artiste, une magnifique forêt d’érables. Vous ne verrez pas cette peinture dans l’exposition. Ce que vous verrez, en revanche, ce sont les sources d’inspiration de Hokusai, nées de l’observation de son environnement : le petit peuple, la vie de famille, les artisans, les pêcheurs, les courtisanes, le théâtre Kabuki, les combats de sumos, sans oublier le spectacle de la nature. En somme, toutes les « images du monde flottant » (ukiyo-e) que figurent les estampes japonaises.

Ce sont précisément les estampes bon marché sur bois (produites en série de 300 unités) qui fascinèrent d’abord les collectionneurs européens, tout comme les livres illustrés qui servaient parfois de cales pour préserver des chocs les porcelaines précieuses qui gagnaient la France par bateau. La découverte par l’artiste et décorateur Félix Braquemond de l’un de ses livres illustrés assura à Hokusai une célébrité retentissante en France. Largement relayée par les frères Goncourt dont l’un, Edmond, consacra à Hokusai un ouvrage (1) : « Voici le peintre qui a victorieusement enlevé la peinture de son pays aux influences persanes et chinoises, et qui, par une étude, pour ainsi dire, religieuse de la nature, l’a rajeunie, l’a renouvelée, l’a faite vraiment toute japonaise ; voici le peintre universel qui, avec le dessin le plus vivant, a reproduit l’homme, la femme, l’oiseau, le poisson, l’arbre, la fleur, le brin d’herbe. » De fait, ces propos élogieux, sinon excessifs, l’illustrent : Hokusai a été immédiatement hissé sur un piédestal au XIXe siècle.

Dragon dans les nuées. Aspect de l’exposition Hokusai. Photo: Valérie Maillard

Son influence est devenue d’autant plus grande quand des artistes comme Monet (grand collectionneur d’estampes – il en a réuni plus de 200, dont quelques-unes sont visibles dans sa maison musée de Giverny), se sont imprégnés notamment de la façon dont Hokusai traitait la perspective. Pourtant Hokusai avait lui-même été inspiré par la perspective à l’occidentale (!) Influences réciproques et croisées entre Orient et Occident qui étaient facilitées par les allers-retours commerciaux des hollandais, seuls européens à tenir alors comptoir au Japon. Autres inspirations communes, les séries : celles des « Cathédrales de Rouen » pour Monet, celles des « Vues du mont Fuji » pour Hokusai. Et si « La Grande Vague de Kanagawa »  (première estampe de la série « Trente-six vues du mont Fuji ») est mondialement connue c’est aussi parce qu’elle se décline en plusieurs unités, qui portent d’ailleurs des noms différents. Elles sont réparties et conservées au British museum, au Metropolitan museum of art, au musée Guimet, à la Bibliothèque nationale de France…

« Je suis mécontent de tout ce que j’ai produit avant l’âge de soixante-dix ans », écrivait Hokusai vers la fin de sa vie. « C’est à l’âge de soixante-treize ans que j’ai compris à peu près la forme et la nature vraie des oiseaux, des poissons, des plantes. Par conséquent, à l’âge de quatre-vingts ans, j’aurai fait beaucoup de progrès, j’arriverai au fond des choses ; à cent, je serai décidément parvenu à un état supérieur, indéfinissable, et à l’âge de cent dix, soit un point, soit une ligne, tout sera vivant. Je demande à ceux qui vivront autant que moi de voir si je tiens parole. Ecrit, à l’âge de soixante-quinze ans, par moi, autrefois Hokusai, aujourd’hui Gakyo Rojin, le vieillard fou de dessin. » (Katsushika Hokusai, in « Postface aux Cent vues du mont Fuji »). Hokusai est mort à l’âge de 89 ans. Sans conteste, tout ce qu’il a peint est toujours vivant.

(1) « Hokusai, l’art japonais au XVIIIe siècle », les Editions de Paris, 2014.

Hokusai (1760-1849), Galeries nationales du Grand Palais, 3 avenue du Général Eisenhower, 75008 Paris. Jusqu’au 18 janvier 2015.

Voir aussi l’exposition « L’Art de l’amour au temps des geishas, les chefs-d’œuvre interdits de l’art japonais» à la Pinacothèque de Paris, 8 rue Vignon, 75009 Paris. Jusqu’au 15 février 2015.

Le Fossé d’Ushigafuchi à Kudanzaka, Kudan Ushigafuchi, Début ère Bunka (vers 1804-1807), Estampe nishiki-e, format chūban, 18 × 24,5 cm, Signature : Hokusai Egaku, Paris, Bibliothèque nationale de France

Le Fossé d’Ushigafuchi à Kudanzaka, Kudan Ushigafuchi,
Début ère Bunka (vers 1804-1807), Estampe nishiki-e, format chūban, Hokusai
Egaku, Paris, Bibliothèque nationale de France

 

 

 

 

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3 réponses à Les cent vingt visages de Hokusai

  1. En fait « le dragon dans les nuées » ne sera pas visible dans le 2e volet de l’exposition. Dommage, mais raison de plus d’en profiter ici. PHB

  2. de FOS dit :

    Quel artiste et quel homme !

  3. Ping : Inépuisable Fuji | Les Soirées de Paris

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