Si vous passez par Avignon cet été…

vignettebis… n’oubliez pas d’aller voir la courte pièce intitulée « Je reviens de la vérité » par Charlotte Delbo, adaptée, scénographiée et jouée (entre autres) par Agnès Braunschweig.
Alertée par le mari d’Agnès, le chef d’orchestre Bruno Ferrandis, j’avais découvert ce spectacle il y a deux ou trois ans, dans une très modeste salle de banlieue.

Avant cette date, en dépit des nombreuses célébrations du centième anniversaire de sa naissance en 2013, j’avoue que je ne connaissais rien de cette extraordinaire femme, Charlotte Delbo, aussi exemplaire qu’une Danielle Casanova, communiste et résistante de la première heure comme elle (dont une rue porte le nom à deux pas de la place Vendôme).
Mais si Danielle ne reviendra pas d’Auschwitz, Charlotte, elle, contre toute attente, en reviendra, et témoignera ensuite par ses écrits, comme le fera Primo Levi dans « Si c’est un homme ».

En 1937, alors que Charlotte Delbo interviewait Louis Jouvet pour un journal communiste, le Maître, frappé par sa capacité à retranscrire ses propos au mot près (elle a suivi une excellente formation de sténodactylo bilingue en anglais) lui propose de devenir sa secrétaire, comme nous l’apprend Wikipedia, particulièrement prolixe sur les circonstances de l’époque. Bien qu’ayant épousé le militant communiste Georges Dudach en 1936, Charlotte Delbo décidera de suivre Louis Jouvet et la troupe de l’Athénée en mai 1941, lors d’une tournée organisée bien entendu sous l’égide du gouvernement de Vichy.
Mais en dépit des avertissements du Maitre, elle va décider de revenir en France le 15 novembre 1941 et de rejoindre son mari dans la Résistance.

Charlotte Delbo et son mari seront arrêtés le 2 mars 1942 par ce qu’on appelle les « Brigades spéciales », traquant les « ennemis intérieurs », les communistes surtout.
Passée par le camp de Compiègne, elle sera rapidement déportée par le convoi du 24 janvier 1943, qui inclut 230 femmes, 230 trente déportées essentiellement politiques, dont Danielle Casanova.
Le train arrive le 27 janvier 1943 à Auschwitz-Birkenau, les femmes entonnant la « Marseillaise » en franchissant la grille surmontée de l’inscription « Arbeit macht frei » (Le travail rend libre).

Si Danielle Casanova n’en reviendra pas (comme disait Aragon d’autres morts de la guerre, chantés par Léo Ferré…) quarante-neuf en reviendront, dont Charlotte, qui témoignera qu’elle avait passé beaucoup de temps à se remémorer des poèmes ou des pièces de théâtre en entier, au mot près.
Et ces femmes voulaient à tout prix (elles se l’étaient juré)  que les survivantes puissent témoigner. Ne serait-ce que l’une d’elles. Une seule suffirait.

Ce sera Charlotte, qui revenue le 23 juin 1945 en France, cessera de collaborer avec Louis Jouvet en 1947, puis travaillera pour l’ONU, puis le CNRS, et se mettra à écrire ses souvenirs, mais ne publiera pas vraiment avant les années 1960/1970. Ses divers essais, enquêtes, poèmes et pièces de théâtre seront d’ailleurs beaucoup plus connus et commentés aux Etats-Unis et en Angleterre, jusqu’à ce que la France ne la découvre vraiment dans les années 1990 et lors du centenaire de sa naissance.

Les trois livres de Charoltte Delbo relatant ses souvenirs des camps. Photo: PHB/LSDP

Les trois livres de Charoltte Delbo relatant ses souvenirs des camps. Photo: PHB/LSDP

Une de ses œuvres maitresses, racontant ses souvenirs  (1) d’Auschwitz, publiée en 1960, s’intitule « Aucun de nous ne reviendra », et je viens de découvrir (redécouvrir ?) qu’il emprunte son titre à un vers d’un poème d’Apollinaire extrait de « La maison des morts », inclus dans « Alcools » (1913). Moi qui ai tant aimé Apollinaire et « Alcools », grands amours de ma jeunesse, comment ai-je pu oublier « La maison des morts » ?
Apparemment, il a dû faire partie de ces poèmes que Charlotte Delbo s’est remémoré « mot à mot » du fin fond de l’horreur…

«[…] Arrivé à Munich depuis quinze ou vingt jours
J’étais entré pour la première fois et par hasard
Dans ce cimetière presque désert»

Puis les morts s’animent et se mêlent aux vivants, les voilà tous arrivés au bord d’un lac, montant dans des barques :
« Les barques étaient arrivées
A un endroit où les chevau-légers
Savaient qu’un écho répondait de la rive
On ne se lassait point de l’interroger
Il y eut des questions si extravagantes
Et des réponses tellement pleines d’à-propos
Que c’était à mourir de rire
Et le mort disait à la vivante
Nous serions si heureux ensemble
Sur nous l’eau se refermera
Mais vous pleurez et vos mains tremblent
Aucun de nous ne reviendra »
[….]

« Aucun de nous ne reviendra », disaient les morts aux vivants dans le poème d’Apollinaire… mais Charlotte Delbo en est revenue, et il faut aller voir à Avignon « Je reviens de la vérité » montée par Agnès Braunschweig.
Avec des moyens très simples, juste quelques actrices formant une ronde, elle nous montre ces déportées se soutenant les unes les autres par la parole, pas à pas, heure par heure, seconde par seconde.
Car c’est ce que Charlotte Delbo a voulu montrer au monde : l’incroyable solidarité qui les liaient les unes aux autres.

Lise Bloch-Morhange

(1) A propos de « Aucun de nous ne reviendra » et sa suite

chute

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6 réponses à Si vous passez par Avignon cet été…

  1. philippe person dit :

    Charlotte Delbo sera, un jour prochain, au Panthéon aux côtés de Germaine Tillion et de Geneviève de Gaulle…

  2. marie-hélène de Serres Justiniac dit :

    Bonjour Lise
    Je suis abonnée aux Soirées de Paris, par amour d’Apollinaire…ma joie quand j’ai su que je devenais documentaliste dans un lycée portant son nom !
    Charlotte Delbo : un témoin magnifique que j’ai d’abord connue par Jouvet via mon théâtreux de mari, puis par un stage de lecture à haute voix avec la Compagnie « bagages de sable », puis par un montage théâtral de ses textes par les élèves du Conservatoire à Paris pour le centenaire de sa naissance…
    Je pense comme Philippe Person.
    Merci d’avoir signalé ce spectacle mais je ne vais pas à Avignon…un jour prochain en Ile de France peut-être ?
    PS tu ne m’en voudra pas à de te reprendre à propos du terme « empreinte »que tu utilises à la place d' »emprunte » je pense …allez je ne suis qu’une vieille baderne…
    Elise F me dit que ce petit combat est perdu d’avance parce que le son ein l’emportera sur le son un et c’est elle la spécialiste !
    Au plaisir de te lire bientôt, Lise

    • Merci Madame d’avoir repéré la petite coquille corrigée dès ce matin. Bien sincèrement. PHB

    • Bien sûr Marie-Hélène,
      j’ai oublié de corriger ma faute, sachant sur le moment que quelque chose n’allait pas, puis oubliant d’y revenir…
      Je ne sais pas qui est Elise F., mais non, il ne faut pas abandonner le combat!
      Eh oui, Apollinaire fut un de nos grands amours, à nous les lycéennes du Lycée Camille Sée!
      A bientôt donc, en tout cas sur le site des Soirées de Paris, si tu cliques sur mon nom tu trouveras tous les articles que j’y ai écrit, sur l’opéra notamment.
      Lise

  3. Isa Mercure dit :

    Merci Lise. J’irai voir « Je reviens de la vérité » à Avignon.

  4. Ici la Compagnie Prospero Miranda. Voici un lien qui vous permettra d’avoir toutes les informations nécessaires sur le spectacle:
    http://prosperomiranda.wix.com/theatre#!avignon-2016/l5cq0

    Merci à Lise Bloch-Morange d’avoir relayé notre information.
    Nous en profitons pour vous annoncer une nouvelle formidable: la Fondation pour la Mémoire de la Shoah vient de nous faire savoir qu’elle décidait de soutenir notre spectacle !

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