Secret médical

Le 17 avril 1964, un communiqué faisait part à la Représentation Nationale du fait que le général De Gaulle venait de subir, à l’hôpital Cochin, l’ablation d’un adénome prostatique. Le vieux soldat avait pris soin de rédiger, à l’avance, le texte à diffuser à son réveil. Il n’y avait pas lieu d’appliquer l’article 7 alinéa 4 de la Constitution, disposant qu’en cas de «vacance de la Présidence de la République, pour quelque cause que ce soit», le président du Sénat assurait l’intérim. Une attestation émanant du professeur Aboulker témoigna de la bénignité de l’intervention. Puis le chirurgien urologue fit ce à quoi tout médecin respectueux de ses devoirs est tenu : il observa le silence sur tout ce qui concernait son illustre patient.

Le 21 mars 1974, le Président Pompidou n’assista pas au dîner annuel du corps diplomatique. Cette absence fut remarquée. Pour couper court aux spéculations, les docteurs Vignalou et Soulard, en accord avec leur patient, produisirent ce qu’ils croyaient être le mieux en la circonstance : un certificat. Le Président souffrait «d’une lésion bénigne d’origine vasculaire, située dans la région anorectale et hyperalgique par intermittence». En langage profane, des hémorroïdes. Personne ne fut dupe de cet euphémisme médical, car, depuis un an, Georges Pompidou commençait à ressembler au bonhomme Michelin, la silhouette que l’on peut prendre sous corticothérapie intense. Grippes à répétition, expliquait le canal officiel, présentant l’effet pour la cause. Pour en avoir le cœur net, au sommet de Reykjavik, en septembre 1973, la CIA avait récupéré en douce des échantillons urinaires. Après son décès, le diagnostic fut révélé : maladie de Waldenström, un cancer hématologique. Beaucoup plus tard, une indiscrétion du professeur Jean Bernard confirma que cela traînait depuis 1968. Cette pathologie provoquait elle un empêchement à gouverner, au sens du droit constitutionnel ? La question ne fut pas traitée. Mais connue au moment de l’élection, elle eut assurément obéré ses chances de succès.

Postulant à la succession, Valery Giscard d’Estaing s’engage, s’il est élu, à publier un bulletin de santé semestriel. Le plus jeune des candidats à regarder la France au fond des yeux ne prend pas grand risque. Menant une vie sportive, il s’expose tout au plus à une entorse lors d’un match de tennis ou à cette blennorragie qui, parfois, frappe les chasseurs émérites. Une fois dans la place, il décida de n’en rien faire.

François Mitterrand, son adversaire au scrutin de 1981, avait été fortement impressionné
par la fin pitoyable de Georges Pompidou. Il reprend la promesse au vol. Ce qu’on fait lorsqu’on est en bonne forme. Le malheureux. Six mois plus tard, le 7 novembre 1981, sous le nom d’Albert Blot, il est admis au Val-de-Grâce. Une scintigraphie montre les métastases osseuses d’un cancer de la prostate, expliquant ses dorsalgies chroniques. Paris Match ayant flairé quelque chose, le canal officiel évoquera une sciatique.
La suite est maintenant connue. Dix ans de secrets et d’attestations bidon. Car s’il avait promis un bulletin semestriel, il n’avait pas stipulé que ce dernier serait sincère et véritable ! L’affaire donna lieu à un curieux document : les médecins militaires, au moment du constat, constituèrent un dossier, paraphé page après page, dégageant leur responsabilité si le Président refusait de se soigner. Pas envie de se voir accusés, par la suite, d’incompétence.

Jacques Chirac, lui, ne s’était engagé à rien. Mais tout ce qui touchait à sa santé se trouvait sous le boisseau. Roselyne Bachelot, n’y voyant pas malice, laissa entendre, un beau jour, qu’il portait une prothèse auditive. Le 19 novembre 2003, le canal officiel opposa un démenti catégorique. Le Président n’était pas dur de la feuille. Ni mou de la branche, ainsi qu’il se plaisait à l’affirmer. Toutefois, le 2 septembre 2005, il s’avéra impossible de nier son hospitalisation au Val-de-Grâce. Le motif ? «une petite gêne dans le champ visuel».
Les examens complémentaires vont identifier «un hématome de petite taille», consécutif à «un petit accident cérébro vasculaire». Selon le secrétariat général de l’Élysée, il en sera quitte pour «un petit traitement hypotenseur à faible dose». On ne saurait mieux dire.

Nicolas Sarkozy avait repris à son compte le principe du bulletin deux fois l’an. La fréquence ne sera qu’imparfaitement respectée. Ce n’est qu’en septembre 2020, dans son livre « Le temps des tempêtes », qu’il confessera une intervention chirurgicale clandestine, portant sur un phlegmon périamygdalien, le 21 octobre 2007. Vous comprenez, il n’était «pas question de montrer une telle faiblesse aux Français», son image étant déjà entachée par son récent divorce. En outre, l’incident «ne mettait pas en cause son aptitude à exercer sa fonction». Par surcroît, pour ne pas prendre ce risque, il avait refusé l’anesthésie. Le Président Courage ! François Hollande s’était déclaré partisan de la transparence en la matière. Le canal officiel du Président normal publiera régulièrement un bulletin de santé normal. Ses antécédents comportent cependant la discrète ablation d’une hypertrophie bénigne de la prostate, le 14 février 2011. À cette date, il n’était encore que l’outsider de Dominique Strauss Kahn, à la primaire du parti socialiste. À trois mois de l’affaire du Sofitel.

Emmanuel Macron revendique, lui, le droit au secret. Il rendrait toutefois publique «toute information susceptible d’avoir des conséquences quant à sa capacité à diriger le pays».
Mais, en tout état de cause, il convient de constater une tendance générale à la minimisation, à l’exemple de Jacques Chirac. À son propos, l’ineffable docteur Douste-Blazy avait tenu à préciser : «ce que je sais de l’accident subi par monsieur Chirac prouve que c’est quelque chose de très petit.» Et là, il existe un précédent historique. Apprenant Louis XV au plus mal, Votaire a tenté de s’informer. «Le roi souffrirait de la petite vérole», lui dit on. Et Voltaire de remarquer : «Rien n’est petit, chez les Grands !»

                                           Jean-Paul Demarez

Illustrations: ©PHB

 

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5 réponses à Secret médical

  1. Alfred Gilder dit :

    Excellent article. Bravo.

  2. Esquirou dit :

    Très drôle..:)

  3. Philippe PERSON dit :

    On aimerait qu’il y ait un bulletin de santé mentale, aussi… Plus largement, personne ne sait si parmi nos rois fainéants, pardon nos présidents de la république, il y a ou il y a eu des clients de psy…
    Je crois qu’on pourrait s’amuser à classer nos petits grands hommes selon certaines pathologies… Erotomanie, paranoÏa, schizophrénie…
    Le plus illustre d’entre eux ne se prenait-il pas pour Jeanne d’Arc ?

  4. Passever dit :

    En 1977, Georges Pompidou était mort depuis 3 ans!

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