La conjonction des cloaques

Quand son horloge interne se met à carillonner un air à la Westminster, le lézard comprend que l’heure de la reproduction est arrivée. Tandis que sa peau se fait séduisante, plus brillante que d’habitude, il part à la recherche d’un emplacement favorable à l’accouplement. Cette catégorie de reptile fait les choses dans l’ordre. Après qu’il a repéré son amante, il doit livrer un combat contre un ou plusieurs concurrents, dans une ambiance à la « Mad Max ». L’intensité varie selon les genres (gekkos, agames, iguanes, lézards « vrais ») mais le principe du combat est intangible. Et le gagnant ne perd pas son temps. Il immobilise ensuite sa dulcinée à l’aide de ses mâchoires ou avec ses pattes postérieures si elle se trouve sur le dos. Puis modifiant la courbe de son corps, il accole son cloaque à celui de la dame lézard et verrouille la jonction. Puis, au moyen d’un double appendice érectile, il conclut l’affaire avec intensité, comme s’il était le dernier de l’espèce. Si elle survit à l’assaut, la femelle s’en ira pondre ses œufs, sachant que dans le cas des ovovivipares, ils éclosent directement à la sortie. Pour le trachysaure australien la naissance est unique et le bébé fait déjà la moitié de la taille de ses parents.

On compte près de 2500 espèces de lézards et la place manquerait ici pour les citer tous avec leurs particularités, du fouette-queue à l‘uromastix. On peut néanmoins mentionner que le monde des sauriens, ophibiens et plus globalement des reptiles est très vaste, entre ceux imitant leur contexte par souci de camouflage comme le caméléon, et d’autres (tous les enfants le savent) qui ont la capacité à régénérer une queue perdue (mais sans les vertèbres). Un guide paru en 1949 (image d’ouverture) nous précise des choses tout à fait remarquables pour les différencier. Surtout pour les personnes très myopes qui ne feraient pas la différence entre un crocodile et un lézard de poche. Ils devront alors s’approcher à leurs risques et périls. Si la fente anale est longitudinale, attention c’est sans doute un crocodile, si elle est transversale, confiance c’est un lézard.

Le plus souvent, une insomnie conduit le dormeur aux yeux cernés à allumer son téléviseur pour jouir des vertus lénifiantes d’un bon documentaire animalier. À l’orée des années cinquante ce n’était pas possible faute d’appareils et c’est pourquoi le guide qui nous intéresse (éditions N.Boubée et Cie) recensant les principales espèces de lézards et serpents, pouvait (et peut encore à l’évidence) faire l’affaire. Moyennant quoi, une fois le sommeil revenu on se réveille au matin non seulement avec un reliquat de rêves bizarres mais aussi avec de quoi épater (ou tuer d’ennui) les collègues de la cantine. Par exemple en leur expliquant que le boedon à quatre raies ou la coronelle du cap font d’excellents chasseurs de rats et qu’il serait bien à ce propos, d’en libérer quelques-uns dans les rues de Paris.

Si on veut vraiment épater le monde, le mieux est de citer les serpents venimeux comme le cobra indien toujours prêt à bondir ou l’agressif mamba, un tueur patenté qui poursuit ceux qui ont osé le déranger. Au contraire de l’émotif  bongara bleu lequel  cache sa tête dans les replis du corps s’il est attaqué.

Mais les plus chouettes c’est les gros et pas forcément des mangeurs de petits enfants. Tel le python royal de deux mètres (comme de Gaulle, voir chronique précédente) et que l’on trouve au Soudan. Les pythons s’apprivoisent (quelle idée), apprend-on au fil des pages, au même titre que les boas.

Dans la plupart des cas  l’homme peut les accommoder pour les manger: la fricassée de lézard se prépare en Guyane, il y a de la soupe de boa en Ouzbékistan et, au Vietnam, on cuisine sans problème le filet de python mayonnaise. Le serpent à sonnette du Mexique quant à lui se digère très bien, il faut juste prendre en compte qu’avec ce type de crotale, les bruits digestifs courants ne seront pas forcément les mêmes que d’habitude.

C’est sans doute une chose étrange que de manger du serpent, du moins en Europe. Quand l’âme du serpent circule dans nos intestins elle peut en effet éprouver, de virage en virage, l’impression de retrouver un nouveau corps. Et si elle rencontre l’esprit-ténia dans l’intestin grêle, ce sera pour eux deux une occasion de trinquer en échangeant les bons tuyaux de rigueur, entre gens sachant sinuer.

 

PHB

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Une réponse à La conjonction des cloaques

  1. Tristan Felix dit :

    Voici, cher Philippe, un excellent digestif à mon déjeuner. Toujours ravie de vous lire.

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