Mû par la convivialité, la provocation ou la démagogie (il pratiquait couramment ces trois exercices), Jacques Chirac révéla un beau jour son engouement pour la tête de veau. La tête de veau, voilà un mets France profonde. On pourrait aller jusqu’à dire fraternel et républicain. Il regretta cet aveu. Car, pour lui complaire, à chacun de ses déplacements dans nos belles régions, les officiels mirent ce plat au menu du repas d’accueil. Tant et si bien qu’après la saturation vint la lassitude, puis l’exécration. À la fin, il ne pouvait plus la voir en peinture…. Mais le mal était fait, les courtisans étaient lancés.
Afin de se prémunir contre ce qu’on nomme, dans les milieux spécialisés, le «syndrome de Chirac», les grands de ce monde se gardent désormais de révéler leurs préférences culinaires, et donnent à leur personnel de bouche des consignes de confidentialité.
Mais il est toujours utile de faire connaître ses déplaisirs. Avec la défunte Reine Elisabeth II, le système était rodé par des années d’expériences. Buckingham laissait entendre, pour chaque éviction, une explication : jamais d’huîtres, car il est impossible de les gober avec élégance, pas d’ail, afin de ne pas compromettre la royale haleine. Pour les visites d’État en Italie, il était vivement suggéré aux hôtes romains de s’abstenir de servir des pâtes longues, notamment nappées de tomates, lors des banquets officiels. On peinait à imaginer Sa Gracieuse Majesté rattrapant d’un slurp un spaghetti récalcitrant, ou laissant échapper des tagliatelles, parsemant d’un mouchetis de sauce écarlate le bustier de sa robe fuchsia, clouté des plaques de divers ordres chevaliers et barré du grand cordon de Saint-George… Good Lord !
Encore faut il, lorsqu’on occupe une position officielle, ne confier ses aversions qu’à son entourage. Ayant déclaré de façon péremptoire «je n’aime pas les brocolis», le président George Bush senior, en 1990, retrouva, le lendemain matin, 10 tonnes de ce petit truc vert sur le trottoir de la Maison Blanche. Avec les compliments de l’United fresh fruit and vegetable association.
Mais il arrive que la faveur d’un puissant bouleverse la trajectoire d’un légume. Le pois (pisum sativum) entre dans l’alimentation humaine depuis l’Antiquité. Séchant facilement sans perdre ses propriétés nutritives, il se conserve ainsi longtemps et se réhydrate à la cuisson. Jusqu’au XVIIème siècle, il constituait, sous cette forme du «pois cassé», un plat rural, accompagnant volontiers un morceau de cochon de rencontre. Tout change le 18 janvier 1660. Un intendant de la comtesse de Soissons, nommé Audiger, présente au jeune Louis XIV un cageot de pois verts et frais, juste récoltés à Gènes, dans leur gousse. Grande nouveauté. Ils sont dans l’instant préparés pour le Roi, la Reine mère et monsieur le Cardinal. Le roi fut charmé par la légumineuse et cette appétence ne le quitta pas. Son agronome, Jean Baptiste de la Quintinie, fut par la suite prié d’en produire dans le potager de Versailles, même hors saison. Puisque le roi en raffolait, la cour fit de même Et là, pas de syndrome Chirac. Jusqu’à la fin de son règne, le Roi-soleil s’en empiffra dès que possible, au-delà de la satiété. Son carnet de santé fait état, en 1706, d’un grave malaise causé par une trop grande absorption.
La mode fut durable, puisque le 18 mai 1696, madame de Maintenon relate : «Le chapitre des pois dure toujours. L’impatience d’en manger, le plaisir d’en avoir mangé et la joie d’en manger encore sont les trois points que nos princes traitent depuis 4 jours… Il y a des dames qui, après avoir soupé avec le roi, et bien soupé, trouvent des pois chez elles pour manger avant de se coucher, au risque d’une indigestion. C’est une mode, une fureur…» Un potage à base d’une purée de petits pois frais éclaircie en consommé, additionné d’oseille et de cerfeuil hachés fut même dénommé à la Fontanges. En cette année 1679, le roi, quadragénaire, s’était enflammé pour les 17 ans de Marie Angélique de Fontanges, fille d’honneur de la Princesse Palatine.
Les petits pois cuisinés «à la française» représentent un modèle de simplicité. L’opération commence par un exercice salutaire, l’écossage. L’automaticité des gestes s’avère propice à la méditation. À la pratique des tâches ménagères, on a moins la tête aux bêtises. Un kilo en vrac donne 350 grammes de petites billes. On ouvre la gousse d’un ongle machinal, on extrait les pois d’un pouce ferme, confiés à un saladier, les cosses vides échouant dans un récipient ad hoc. Soient dans une cocotte 800 grammes de petits pois, 12 oignons grelot, 1 cœur de laitue, cinq brins de persil plat, une pincée de sel, un demi verre d’eau, puis 30 minutes à petits frémissements… Voilà un plaisir véritablement royal pour 4 convives.
On prête à Pierre Dac cette question : « de quelle couleur sont les petits pois ? Rouges ! » (les petits poissons rouges). Il lui sera beaucoup pardonné.
Jean-Paul Demarez
Pareille mésaventure est arrivée à René Goscinny, le créateur d’Astérix et d’Obelix,
à qui l’on offrait régulièrement du sanglier lors des repas d’invitation….
Un plat qu’il ne goûtait guère d ailleurs.
Quand « Audiger, présente au jeune Louis XIV un cageot de pois verts et frais, juste récoltés à Gènes, » combien de jours avait duré le voyage ?
Par le service de la poste à cheval, il fallait compter 6 jours, sans trop traîner.
C’est curieux! Pourquoi, quand j’ai vu le Titre « Petits pois » de cet excellent article, ai-je d’abord pensé « Tiens ce cher Jean-Paul va nous parler de Sarkozy et de ses rapports complexes avec la Justice ». Ah! le conditionnement médiatique !