De l’art japonais de l’étrier à celui de la bonbonnière au Musée Liang Yi

Nous invitant à un voyage au Pays du soleil levant hors des sentiers battus, le Musée Liang Yi de Hong Kong nous étonne et c’est pour notre plus grand plaisir. Comme le sous-entend le titre de l’exposition en cours, «L’autre Japon, au-delà des kimonos et des sabres», point de vêtements traditionnels brodés aux manches longues ni de lames étincelantes. À la place, le visiteur contemple l’art de l’Abumi (autrement dit de l’étrier de samouraïs), de l’accessoire pour thé, du nécessaire de voyage ou de pique-nique en laque, du Kanzashi (c’est-à-dire de l’ornement de coiffure féminin), de la cosmétique, du Kiseru (soit de la pipe longue et fine) mais aussi de la bonbonnière (ci-dessus). En tout, 260 objets d’art décoratif, tous issus de la collection privée japonaise du musée, elle-même composée d’environ 4.000 œuvres d’art, intriguent autant qu’ils émerveillent. Nous restons un peu sur notre faim toutefois. La visite, en compagnie de guides, narrant avec ferveur l’histoire des objets les plus représentatifs de chacune des sections de l’exposition, ne dure qu’un peu plus d’une heure. C’est trop court pour laisser le temps de rendre complètement hommage à tous ces chefs d’œuvre en s’imprégnant pleinement leur majesté.
Retourner une seconde fois à ce musée captivant de trois étages du 181 Hollywood Road, au cœur du quartier des antiquaires, n’est point de trop. Pour l’occasion, demander au taxi rouge de la ville d’être déposé au début de la rue, afin de la remonter à pied, en guise de pèlerinage, confère une dimension romanesque à la découverte des collections grandioses formées par Peter Fung Yu-Fai. Car c’est justement ici, dans cette deuxième plus ancienne rue du Port au Parfum, que le magnat, un temps surnommé «le mauvais garçon de la Bourse», a commencé ses emplettes. Dans les années 80, le jeune amateur, alors banquier d’investissement, passait d’innombrables samedis à parcourir la fameuse Hollywood Road. Maintenant, son musée à l’entrée discrète abrite l’une des collections de meubles chinois des dynasties Ming et Qing les plus vastes et les mieux conservées au monde. Une autre série de trésors dénichés par l’homme d’affaires époustoufle, celles des vanités de grandes maisons telles Cartier, Boucheron, Van Cleef & Arpels, Graff, Buccelatti, etc.

Manquant de place pour entreposer convenablement toutes ses œuvres d’art, Peter Fung Yu-Fai a décidé d’ouvrir son propre musée en février 2014. Il l’a nommé «Liang Yi», signifiant «les deux Yi», reprenant les prénoms de ses deux filles, qui se prononcent en mandarin, Feng Yi-Qi pour l’aînée, et Feng Yi-Ling pour la cadette. À Hong Kong, elles sont connues sous les noms de Kay Fung et de Lynn Fung. Prolongeant la passion de son père, celle-ci est devenue la directrice du musée.

Ancienne journaliste férue d’histoire, Lynn Fung souhaite que le visiteur puisse facilement restituer l’existence de chaque objet dans le contexte particulier de son époque. Par exemple, en début de parcours de l’exposition sur l’art décoratif japonais, il nous est d’emblée expliqué que les étriers de guerriers de l’époque Edo (1603-1868), à la forme particulièrement étonnante, ouverts sur les côtés, extrêmement lourds -on a le droit d’essayer de les soulever !- étaient spécialement conçus pour améliorer la stabilité et la mobilité du cavalier, lors du tir à l’arc monté. Tandis que l’élite militaire faisait la loi, la sophistication de la décoration de ces étriers (ci-contre), de laque, incrustés de nacre, dépendait du rang, moyen ou élevé, du samouraï qui avait le privilège de posséder des chevaux.

Au «rayon» ornements de coiffure et cosmétique, allant du 17e au 20e siècle, on apprend que la mode du maquillage des femmes japonaises modernes trouve ses racines dans l’époque Edo. Il était de bon ton d’avoir le teint blanc grâce à la poudre blanche, Oshiroi. Les femmes mariées appartenant à l’aristocratie, quant à elles, se noircissaient les dents, selon la pratique de l’ohaguro. Par la suite, la demande pour des nécessaires de maquillage portables, des boîtes ou des trousses plus légères, s’est développée, accompagnée de l’apparition de gammes de rouges à lèvres, mettant en valeur la femme de l’époque Meiji (de 1868 à 1912).

L’abondance des bonbonnières exposées, la plupart en argent incrustées d’or, toutes ciselées avec sublime délicatesse, interpelle également. La tradition de les offrir serait venue de la France. Elle aurait été embrassée par le Pays du soleil levant, en train de sortir de sa politique d’isolement volontaire, en 1889, en même temps que la promulgation de sa constitution moderne.

En ouvrant une fenêtre sur l’infinie richesse de l’artisanat japonais, autre que celle des sabres et des kimonos, l’exposition, mise en musique par la curatrice Stephanie Fong, atteint parfaitement son objectif. Elle nous enchante du début jusqu’à la fin.

Edwige Murguet

Photo 1: Bonbonniere offerte au mariage de la princesse Nobuko Asaka (8e fille de empereur Meiji) et prince Yasuhiko Asaka, le 6 mai 1910
Photo 2: Art de l’étrier Epoque Edo, fer, laque et nacre Musee Liang Yi 23112023
Crédits: ©Edwige Murguet

 

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