Des racines et des oranges

Le pourtour de ce ficus est tellement large, ses racines sont tellement impressionnantes que l’on est tenté de s’incliner. Les saluer comme dans un film de Miyazaki où les arbres géants font souvent partie du casting. Vues de près, ces racines ressemblent au choix à des canyons ou à des corps emmêlés. En tout cas elles forcent le respect y compris en faisant le tour du tronc, y compris en reculant suffisamment loin, afin de distinguer le sommet de l’arbre chatouillant les nuages de sa pointe en pinceau. C’est l’un des deux ficus géants visibles dans le jardin Murillo à Séville, dont l’un est une liane (ficus macrophyla) se caractérisant par ses racines aériennes qui plongent vers le sol. Indéniablement ces deux arbres trouvent là leurs aises sur le sol andalou, malgré des amplitudes thermiques impressionnantes surtout l’été avec un thermomètre qui dépasse allègrement les quarante degrés. Ils sont entourés de voisins plus modestes comme des célestins, des magnolias, des acacias, des lauriers et bien sûr des orangers. Ces derniers seraient 45.000 plantés partout en ville et dont les fruits sont transférés en large partie en Angleterre, avant d’être transformés en marmelade.

À l’est du vieux quartier de Santa Cruz, les jardins Murillo (Jardines de Murillo) ont, selon le site officiel de la ville, reçu leur nom à la demande du rédacteur en chef du journal El Liberal en 1918, au motif que le peintre baroque était enterré dans l’église qui se trouvait place Santa Cruz. Le début du mois de décembre semble être une bonne saison pour goûter au charme bienfaisant de ces jardins, prolongés par ceux de Cataline de Ribera. Ici l’hiver est clément ce qui fait que cette promenade plantée établissant grosso modo la jonction  entre Santa Cruz et l’ancienne fabrique de tabac (devenue une université), fait preuve d’un charme irrésistible que l’on emporte ensuite dans ses bagages jusqu’à Paris. Les souvenirs ne font jamais l’objet d’une déclaration en douane, c’est leur beauté additionnelle.

Ce n’est sans doute pas l’endroit le plus spectaculaire de Séville mais sa séduction tient précisément au fait que l’histoire y pèse bien moins lourd. On y trouve bien un monument consacré à Christophe Colomb mais il est très supportable et n’est pas en l’occurrence, comme presque partout ailleurs, issu de cette culture si bien mélangée entre les styles musulmans et chrétiens. Par rapport à nos squares et parcs parisiens, les jardins Murillo et ceux de Cataline de Ribera sont dépaysants, avec outre les arbres cités plus haut, une profusion de hauts palmiers des Canaries, des washingtonias, des robiniers, des aligustres, des lataniers et d’autres espèces encore qui confèrent à l’ensemble, un enchantement entêtant. Ces jardins déclenchent un manque une fois quittés et un soulagement dès que l’on y retourne. Ici les humeurs peccantes s’apaisent, et on comprend les promeneurs qui ralentissent le pas en ces lieux afin de faire durer l’instant.

Cet abri végétal, tout en longueur étirée, offre au choix une allée dallée ou un sol recouvert de terre ocre bien plus souple pour y accueillir les chevilles en douceur. C’est un peu la fête des sens non seulement pour les yeux mais aussi par les narines où s’engouffrent la nuit le parfum vanillé des dames de la nuit et, de jour, les fragrances de chèvrefeuille et les effluves de jasmin y compris en décembre.

Les aîtres sont en outre ornementés de fontaines participant paraît-il, mais avec goût c’est sûr, au style sévillan. Elles forment autant de petits ronds-points en céramique décorée, en marge des allées rectilignes. Sans compter les innombrables azulejos, ces carreaux de faïence à motifs si typiques qui ont été plaqués un peu partout sans aller jusqu’à la saturation.

Les soins portés à ces jardins et plus globalement à la ville, ne peuvent que susciter un effet de contraste défavorable avec la capitale française. La belle andalouse déploie ses multiples charmes constitués de ses multiples  jardins, de la Place d’Espagne à l’Alcazar en passsant par son quartier Triana. Tout s’y tient avec une grande cohérence, la cité étant quadrillée, comme tenue par la toile géométrique de ses si nombreux orangers. Arbres pour lesquels le poète Federico García Lorca (1898-1936) avait composé en 1927 un poème intitulé « La chanson du jour qui s’en va ». Dans lequel celui qui périt assassiné par les milices franquistes, avait doublé le quatrain suivant: « Bûcheron/Viens trancher mon ombre/Délivre-moi du supplice/De me voir sans oranges/.

Ce qui revient à dire qu’il ne suffit pas d’aller à Séville, il faut y revenir. Singulièrement en décembre, quand les branches des arbres sont lourdement garnies de bigaradiers (naranjo amargo), le nom caractérisant les oranges de la ville.

PHB

Photos: ©PHB
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Une réponse à Des racines et des oranges

  1. jmc dit :

    Bajo el naranjo, lava
    pañales de algodón.
    Tiene verdes los ojos
    y violeta la voz.

    ¡Ay, amor,
    bajo el naranjo en flor!

    (en traduction libre :

    Sous l’oranger elle lave
    des mouchoirs de coton.
    Elle a les yeux verts
    Sa voix est violette.

    Ah, amour!
    Sous l’oranger en fleur!)

    C’est tiré des Poèmes du Cante Jondo, recueil qui regorge de petits tableaux sur Séville, Grenade et autres merveilles andalouses.

    Merci cher Philippe Bonnet pour ce reportage poétique.

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