Parapluie antique

Pour bien voir une sculpture double-face, ce n’est pas simple. Soit on prend une face comme parti pris en ignorant l’autre, soit on se positionne de côté ou de trois-quarts. La vue restera toujours imparfaite. Ce beau visage ci-contre en cache donc un autre mais on l’admire quand même. Il date de trois siècles avant notre ère et représente en format biface Hermès, divinité tellement polyvalente (messager des dieux, inventeur des poids et mesures…) qu’aujourd’hui encore il continuerait de produire à ce que l’on dit, des sacs à main, parfums et autres produits de luxe. Cet Hermès ci-dessus, divinité de l’Olympe, a été retrouvé du côté de Marseille, dans une région si ancienne qu’elle regorge et dégorge des antiquités presque à chaque fois que l’on y creuse un trou. Ce bel Hermès donc et pour finir, ne manquera pas, par son esthétisme raffiné, de surprendre le visiteur du Musée d’Histoire de Marseille qui se trouve à proximité du Vieux Port et quasiment sur un espace du port antique. D’une façon générale, tous les motifs sont bons pour entrer au musée. Ce jour-là il pleuvait beaucoup, la ville ruisselait par toutes ses rues et toutes ses rigoles, au point que les magasins commençaient à manquer de parapluies. Et il est toujours agréable de jumeler trois activités pas forcément compatibles, s’abriter, se sécher et se cultiver.

C’est bien une descente en profondeur dans l’histoire lointaine qui est ici offerte au visiteur. Depuis les temps où le niveau de la mer actuel était cent mètres plus bas, permettant à des hommes du paléolithique supérieur d’investir de leur art des grottes aujourd’hui englouties. La narration scénographique de ce qui allait devenir Marseille, commence par la fin de la civilisation des chasseurs-cueilleurs vers 8000 ans avant notre ère puis leur rencontre progressive avec les premiers Provençaux, choc aussi fondamental que celui des Néandertaliens avec les premiers Homo Sapiens. Se doutaient-ils ces derniers chasseurs-cueilleurs et ces premiers provençaux, que l’on fêterait grâce à eux, en 2024, le centenaire de la première victoire de l’Olympique de Marseille en Coupe de France? Il y a ainsi des tirs aux buts dont l’énergie originelle ne date pas d’hier en tout cas.

L’autre rencontre que ce musée nous enseigne relève du mythe, mais tant mieux car nous manquons de vrais mythes, ceux que l’on ne saurait confondre avec nos canulars ordinaires. Comme tout le monde ne connaît pas cette belle histoire, rappelons en effet la légende voulant qu’aux alentours de la calanque qui fait actuellement les contours du Vieux Port, une princesse gauloise, Gyptis, rencontra voici plus de 2.000 ans un marin grec nommé Prôtis. Plus prosaïquement, les civilisations méditerranéennes cherchaient à développer le commerce et ce qui n’était pas encore Marseille, représentait une belle opportunité avec un fleuve, le Rhône, qui permettait de remonter vers le nord. Mais l’histoire du couple, vraie ou fausse, ne gâche rien.

C’est vers le 6e siècle avant Jésus-Christ que les Grecs d’Asie Mineure quittèrent l’actuelle Turquie pour jeter l’ancre dans la calanque du Lacydon où mouillent toujours les bateaux. Ils apportaient une écriture qui devait servir de base à la nôtre, mais aussi la religion, leurs dieux, la culture de la vigne, de l’olivier… Ces Phocéens naviguaient sur de grandes embarcations. Le Musée d’Histoire de Marseille, compte de remarquables épaves comme celle retrouvée en 1974 et faite de onze essences de bois (pin, mélèze, peuplier, épicéa…). Dégagée de la vase lors des fouilles opérées à côté de la Bourse, elle faisait vingt-trois mètres de long et pouvait embarquer, lit-on, jusqu’à cent tonnes de marchandises dont des amphores chargées de liquides variés, y compris du bon vin étrusque.

Les sous-sols de Massalia (le nom de la colonie grecque il y a 2.600 ans)  ont de quoi affoler les compteurs Geiger des archéologues. Comme en 1991 lorsque l’on mit au jour dans la nécropole de Sainte-Barbe le squelette d’un bébé (ci-contre) dont on situe l’origine vers entre le premier et le second siècle après Jésus-Christ. Émouvante vision qui nous interpelle forcément puisqu’elle nous confronte à nos ancêtres et qui sait ce que nous partageons encore avec lui dans le secret de notre ADN.

Aux étages supérieurs du musée, se trouve une histoire davantage contemporaine, quasi actuelle. Quelques marches c’est court pour passer d’un coup de la grotte Cosquer, à la cité que nous connaissons aujourd’hui, par ailleurs deux fois plus étendue que Paris. En deux heures, on plie deux millénaires et la moitié d’un autre.

Nonobstant, il faut bien retourner à l’extérieur une fois effectuée cette embardée temporelle. Parmi les gens qui se pressent pour échapper à cette pluie qui tombe toujours aussi dru, il y a sans doute quelques échantillons humains qui préfigurent l’après-demain, parmi ceux qui glissent déjà dans le passé. En attendant, les TGV et les avions perpétuent le même et vieux parcours que les embarcations grecques, avec à bord des chasseurs-cueilleurs modernes, un peu écervelés sur les bords, qui ne s’inquiètent ni de l’avenir ni vraiment de l’Histoire.

PHB

Musée d’Histoire de Marseille, 2 rue Henri Barbusse 13001 Marseille. Entrée gratuite
Photos: PHB

 

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