Tom is back

Tom Ripley est de retour. Rappelez-vous: en 1960, dans « Plein Soleil », un jeune meurtrier éblouit le monde par sa beauté fragile mais solaire. Il devait jouer le riche héritier américain assassiné, et il eut du mal à convaincre les producteurs et le metteur en scène René Clément de lui laisser le rôle du voyou. C’est ainsi que face à Maurice Ronet en riche yankee indolent et méprisant, Alain Delon devint une star à vingt-cinq ans. Et devint du même coup le premier d’une série d’acteurs se glissant dans la peau du séduisant meurtrier. Dont l’ex-hippy Dennis Hopper dans « L’ami américain » de Wim Wenders (1977), ou un Matt Damon manquant de séduction mais non d’efficacité dans « Le talentueux Monsieur Ripley » (1999) d’Anthony Minghella, calqué sur « Plein Soleil ». Le personnage du jeune et beau voyou meurtrier était sorti du cerveau ténébreux de la romancière américaine Patricia Highsmith, née à Fort Worth (Texas) en 1921.

On a un peu oublié aujourd’hui l’aura de la ténébreuse Patricia, disons qu’elle traverse son purgatoire, mais durant les années 1950 et suivantes, son étoile a brillé très fort. Elle avait inventé avec son talentueux (en quelque sorte) Tom Ripley un de ces personnages neufs marquant l’imaginaire des lecteurs à tout jamais: inquiet de voir son jeune fils séduit par les sortilèges de la vieille l’Europe, un riche industriel américain dépêche en Italie, tous frais payés, le jeune Tom Ripley qu’il croit être un proche ami de son Dickie, à la recherche de la brebis égarée. Mission: la ramener au bercail, pour reprendre l’entreprise familiale. Jusque-là, nous sommes en pleine tradition littéraire yankee.

Les sortilèges de la dangereuse Europe et l’envoi de missi dominici chargés de ramener la brebis égarée dans le Nouveau Monde datent du début du vingtième siècle, tel « Les Ambassadeurs » de Henry James, paru en 1903. Mais si les ambassadeurs américains de James risquent de trahir leur mission en succombant aux multiples charmes locaux, pour Tom Ripley, petit voyou new-yorkais vivant d’expédients assez minables, la question est de savoir jusqu’où, une fois arrivé en Italie, il sera prêt à aller pour se glisser littéralement dans la peau de l’insouciant et riche Dickie. Voilà donc un nouveau type de very bad boy, et s’il a connu une telle gloire, c’est qu’il représente un type humain fascinant (jusqu’où serions-nous prêts à aller nous aussi ?). La native de Fort Worth devait avoir l’âme assez noire puisque son premier roman, « L’inconnu du Nord-Express » (1951), porté aux nues, fut adapté à l’écran par Hitchcock, et nous offrait déjà le portrait d’un bad boy proposant à un inconnu rencontré dans le train d’échanger leurs meurtres: l’un tuerait la femme de l’autre, qui tuerait le père de l’étranger. Proposition si extravagante qu’elle ressemble à une plaisanterie.

Avec Tom Ripley, Patricia franchissait une nouvelle étape dans la noirceur (et encore…), mais dans « Plein soleil », nous étions surtout éblouis par le regard bleu d’Alain Delon obscurci par les sarcasmes de Maurice Ronet, par le soleil aveuglant et la mer infinie de la côte amalfitaine, par les embruns fouettant les voiles…

Tout autre est le climat de la nouvelle adaptation proposée par Netflix, une minisérie en huit épisodes signée par Steven Zaillian, réalisateur et surtout scénariste vétéran américain de soixante-et-onze ans, ayant fait ses preuves avec notamment Martin Scorsese. Le changement radical de climat dans la série « Ripley » est d’abord assuré par le choix du noir et blanc, à l’opposé des éblouissements de « Plein soleil ». L’épreuve est rude, et Zaillian s’en est expliqué en disant que lors de la préparation, il n’est tombé à aucun moment sur la couleur. Pour lui, le livre datant de 1955 se situe dans la grande période noir et blanc du film noir américain, avec sa pléiade de chefs d’œuvres (« Quand la ville dort » en 1950 de John Huston, « Règlement de comptes » de Fritz Lang en 1953, « Graine de violence » en 1955 de Richard Brooks, et bien d’autres).

Et pour le cinéaste, l’Italie de l’époque est aussi « dark and dangerous » que les rues de New York parcourues par son héros au début de l’histoire. Mêmes rues quasi désertes, de jour comme de nuit, où Tom s’attable seul, préparant la suite de ses mauvais coups, veillé seulement par les monumentales statues et les perspectives et trésors infinis des chiese et des palazzi. Le suspense passe au second plan, la série se déroule lentement comme un grand livre d’images photographiques, et un retour aux sources de l’univers de l’écrivaine. Grand attachement aux détails récurrents, et aucune psychologie, sinon l’étrange obsession du very bad boy pour l’œuvre et la vie du Caravage, dont nous sommes abreuvés.

Le choix du comédien irlandais Andrew Scott (48 ans) justifierait à lui seul ce nouvel avatar du mystérieux Tom, tant Scott est insondable, multiple, et mutique. Un des plus fascinants acteurs de son temps. Déjà, en 2010, dans la formidable série anglaise « Sherlock », sa prestation en moderne Moriarty était tout simplement inoubliable.

Lise Bloch-Morhange

-« Ripley », Netflix, Steven Zaillian, 8 épisodes de 55 minutes
-Ne pas rater la rediffusion sur Arte.tv de la merveilleuse série anglaise « The Hour », 2 saisons
Source image: Netflix
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