L’esprit basque ouvre l’appétit

Aux Soirées de Paris nous aimons bien traiter les centenaires et il n’y avait donc pas de raison pour que l’on évite celui du musée Basque de Bayonne. Le bâtiment n’en est pas à une étape près depuis ses débuts il y a près de quatre siècles. D’abord maison de négociant, il porte encore le nom de son premier propriétaire: Dagourette. Bâti, rebâti, modifié à maintes reprises, l’ensemble porte en mémoire dans ses fondations et matériaux d’origine, ses différentes fonctions, ne cessant pour autant de se mirer dans la rivière Nive, pile à l’endroit où celle-ci va se mêler à l’Adour avant de rejoindre l’océan. Sur l’un de ses flancs, la maison, du temps où elle était hôpital, disposait d’une tour d’abandon, dispositif qui permettait de déposer discrètement un bébé trouvé ou non désiré. Système que l’on trouve encore dans le monde. En attendant elle est devenue musée avec, du sol au sommet, plusieurs étages concentrant cet esprit basque dont l’origine et la langue remontent à des temps fort lointains.

Le musée n’échappe pas à la règle du genre costumes-et -traditions populaires, celui qui émaille  nombre de communes dans l’hexagone. Ce qui fait que l’on part de la préhistoire et son art pariétal, avant d’arriver dans les étages, à des artefacts nettement plus contemporains. Avec des spécificités locales comme le montre un chariot ancien dont les essieux comme les roues, avaient paraît-il, un grincement caractéristique . « Au lieu du bœuf c’est la charrette qui se plaint » disait même un proverbe relevé en 1657. Et Théophile Gautier (1811-1872) avait écrit plus tard à ce sujet: « Je croyais tout au moins que c’était une princesse égorgée par un nécroman farouche; ce n’était rien qu’un char à bœufs qui montait la rue d’Irun et dont les roues miaulaient… ». Inscrite dans la scénographie, la suite humoristique de cette phrase manque. Issue du « Voyage en Espagne » elle se terminait par: « …faute d’être suiffées, le conducteur aimant mieux sans doute mettre la graisse dans sa soupe ».

Ce musée raconte bien l’histoire de la ville de Bayonne, cité opportunément située au carrefour de trois grosses énergies aquatiques dont les courants saumurés bataillent au quotidien afin d’imposer leur force. Il ne raconte pas en détail c’est dommage, l’épopée basque hors de ses frontières naturelles, dont la descendance forme toujours une grande diaspora, de New York à la Terre de Feu. Phénomène qui découlait d’un procédé de droit, octroyant seulement l’héritage à l’aîné d’une fratrie. En conséquence, les plus jeunes s’égaillaient à travers le monde sans oublier ni leur langue ni leur culture. Ce qui fait par exemple qu’à Brooklyn, au 307 Eckford Street, se trouve le « New York Basque Club ».

À cheval entre l’Espagne et la France, le Pays Basque (Euskal Herria) frappe toujours par sa vivacité et surtout son étanchéité remarquable à tout ce qui a pu relever de la mondialisation. Dans le Grand Bayonne, site moins ancien que le Petit Bayonne, prospèrent attachées aux unes et aux autres, un nombre invraisemblable d’échoppes où il est possible d’acheter de quoi manger des spécialités. En déambulant dans les petites rues qui dégoulinent depuis la cathédrale, on croit être le témoin d’une compétition visant à offrir les meilleurs produits, les présentations les plus alléchantes. Au point qu’à force de mettre l’eau à la bouche on a tôt fait de mettre une main fébrile à la poche. Le mythe du pays de Cocagne dont les origines remonteraient au 12e siècle, trouve ici quelque matérialité. Charcuteries, gâteaux, chocolats, vins, cafés, tout est bon. Le contraste est très net avec certaines régions françaises où la mondialisation a fait des ravages, avec des franchises entêtantes et des lieux de restauration, en genre et en nombre, aussi passables que passe-partout.

Si beaucoup de basques déshérités avaient ainsi pris leur baluchon pour conquérir le monde, d’autres se sont au contraire implantés ici, comme la communauté juive, ainsi que le rappelle le musée. Chassés par Isabelle la Catholique (1451-1504), les juifs d’Espagne et du Portugal, ont pour certains préféré Bayonne. Ils y pratiquaient leurs rituels en toute discrétion feignant une allégeance au catholicisme. On les appelait d’ailleurs les nouveaux chrétiens. Aujourd’hui la massive synagogue de la rue Maubec ne se cache pas, elle est même classée.

La Communauté juive de la Nouvelle Aquitaine, rappelle sur son site que les pratiquants de Bayonne furent négociants, armateurs et surtout importateurs de chocolat, ce qui est une bonne façon de s’intégrer, on en conviendra, dans une région et une ville aussi sourcilleuses et généreuses sur la question gustative. Un signe qui ne trompera jamais le voyageur en quête d’un bon  endroit où se poser. Le peintre Albert Marquet entre deux collations, en fit même un sujet (ci-dessus), visible en couleur au musée.

PHB

Musée Basque et de l’histoire de Bayonne, 37 quai des Corsaires
Photos: ©PHB
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2 réponses à L’esprit basque ouvre l’appétit

  1. puyserver dit :

    Cher Philippe,

    Les Basques se sont égaillés en direction du Nouveau Monde ( la consultation de l’annuaire téléphonique de Modesto, dans la zone agricole centrale de la Californie, est instructive à cet égard) . Je ne suis pa sûre qu’ils se soient égayés pour autant!
    MP

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