La croûte et le pâté

Un érudit aurait retrouvé la trace du pâté en croûte dans un traité de chasse du XIVe siècle, intitulé le « Roman des Déduis » (1). L’auteur, Gace de la Buigne, chapelain de Philippe VI à partir de 1384, en énoncerait une recette. Mais c’est Guillaume Tirel, dit Taillevent, cuisinier de Charles V, par son ouvrage, le Viandier, qui le fait accéder aux tables seigneuriales. Il s’agissait d’une préparation de viandes maigres, généralement porc ou veau, mêlée de morceaux de gibiers à plumes, perdrix, pluvier, mauviette, hachés et épicés, malaxés avec un liant, œuf, mie de pain, farine, fécule. Elle était, éventuellement, agrémentée d’une gelée. L’ensemble se cuisait dans un moule, chemisé d’une détrempe de farine et d’eau. Du genre de celle utilisée pour luter une cocotte, pour réaliser un joint d’étanchéité entre le réceptacle et son couvercle, avant la mise au four. Cette pâte a la particularité de durcir à la chaleur, et n’est, par conséquent, pas vraiment comestible. Elle conservait à la farce son moelleux, en permettait la conservation et le transport. Une ordonnance de Jean le Bon (1351) menaçait les chair-cuitiers de graves sanctions si ils gardaient la préparation plus d’un jour, ou la réalisait avec des viandes corrompues. Les chair-cuitiers, marchands de viandes cuites, par opposition aux bouchers, ayant le monopole de la viande crue.

Le plaideur embarqué dans un procès avait coutume de faire porter un pâté à ses juges, soit après la sentence, en remerciements, soit avant, pour les mettre en dispositions favorables…. Le pâté, au XIXe siècle, devient une pâtisserie charcutière, produit composé d’une pâte brisée ou feuilletée, et d’un apprêt de viandes, de poissons, voire de légumes. Il fait l’objet de nombreuses variantes. Différentes régions de France en revendiquent la spécificité, le Lyonnais, la Lorraine, la Champagne, l’Alsace…… Des villes lui ont donné leur nom, tel le légendaire pâté de Chartres, soi-disant confectionné pour le sacre d’Henri IV (célébré, dans la cathédrale du lieu), vanté par Alexandre Dumas en son dictionnaire de cuisine. Il appartient, depuis 2011, au patrimoine culinaire de l’UNESCO… C’est vous dire, ma bonne dame !

Selon les normes en vigueur, le pâté en croûte, doit comporter au moins la moitié de la viande d’où il tire son appellation. La composition du pâté d’alouette ne saurait être un porc/une alouette. On le déguste accompagné de cornichons, d’oignons grelot, ou d’une salade verte. À l’époque moderne, la complexité technique du bidule, le caractère chronophage du travail qu’il implique, le prix de revient qui en découle, ont conduit la plupart des traiteurs à renoncer à le proposer à leur clientèle. L’industrie agro-alimentaire et la grande distribution y ont trouvé un filon. Des produits farineux, insipides, à la croûte molle, présentés en tranche sous plastique l’ont précipité dans la ringardise. Il est devenu le délaissé des buffets-cocktails.

Mais il a, récemment, fait l’objet d’une renaissance en fanfare. Divers concours se sont organisés, dont, depuis 2009, un championnat du monde. L’excellence est revenue. Lorsque le 13 juillet 2017, le couple Macron a reçu le couple Trump au restaurant le Jules Verne, le menu comportait en entrée…..un pâté en croûte.

Quelques artistes méritants se lancent aujourd’hui dans une réalisation tirée de l’oubli: « l’Oreiller de la belle Aurore ». Sa dénomination est indissolublement attachée à Claudine Aurore Récamier. Son principal titre de gloire ? Elle a donné naissance à Jean Anthelme Brillat-Savarin, juriste et gastronome, auteur de la « Physiologie du Goût ». Et de quelques aphorismes bien sentis. Par exemple: « dis moi ce que tu manges, je te dirais ce que tu es ! » si évident à la caisse du supermarché. « L’oreiller de la belle Aurore » est au pâté en croûte ce que Notre-Dame de Paris est à l’Église Saint-Étienne-du-Mont, un chef-d’œuvre insurpassable. Il se compose d’une quinzaine de viandes diverses, à poil ou à plumes, caille, pigeon, perdreau, faisan, chevreuil, marcassin, ris de veau, et cætera, avec morilles, ou truffes noires, et quelques pistaches en passant. En forme de coussin de 60 cm de côté, il pèse dans les 30 kilos… Sa cuisson nécessite 7 heures. Les viandes doivent être placées selon un plan de montage, afin que chaque convive ait un peu de tout.

Faut il dire « pâté en croûte », ou, selon un raccourci linguistique fréquent, « pâté-croûte »? La querelle fait rage sur les ondes et dans les magazines. Il n’y a vraiment pas de quoi… L’un comme l’autre sont des pléonasmes. Car le pâté tire son nom de la pâte dans laquelle on le cuit, de même que la terrine tire le sien du récipient en terre servant à sa confection…Le contenant a rattrapé le contenu.

Jean-Paul Demarez

(1) Déduis ou déduit : divertissement, occupation agréable. Dans les textes du Moyen Age figuraient trois sortes de déduis, le déduis de lance, pour les tournois, le déduis de chasse, pour la vénerie, et le déduis de femmes, pour les plaisirs amoureux.
Photo: ©JP.Demarez
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2 réponses à La croûte et le pâté

  1. Fort appétissant ce papier en croûte !

  2. Dupuis Bernard dit :

    On apprécie la manière dont l’auteur « ne fait pas étalage »d’une érudition impressionnante et nous instruit et nous ouvre l’appétit de façon bien agréable. P.S. persistez dans cette voie…ne vous encroûtez pas….(Pardon )b

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