Monumental Gotlib

Sous le titre « Immortel Gotlib », le Figaro magazine (21.11.2025) annonçait la parution prochaine de « l’œuvre complète de l’immense Marcel Gotlib ». Loué soit Yehova Adonaï!
Il nous avait quittés le 4 décembre 2016, d’avoir trop tiré sur la clope. Marcel Mordechaï Gottlieb était né le 14 juillet 1934. Sous son nom d’artiste, Gotlib, il débute sa carrière dans le journal Vaillant, l’an 1962, en dessinant des petits miquets. Se distingue particulièrement le personnage de Gai Luron, cousin du Droopy de Tex Avery. La tonalité est bon enfant, l’esprit primesautier, ainsi qu’il sied aux publications enfantines. Les exégètes ne manqueront pas d’identifier, dans les aventures de ce chiot chiant, une pratique feutrée de l’adynaton. D’abord personnage accessoire, Gai Luron accède au vedettariat. Lors de son passage au magazine Fluide Glacial, en 1984, il devient le premier personnage de BD à achever sa puberté, doté d’une protubérance le conduisant à porter un slip. Il prend une copine, Belle Lurette, et bascule dans divers fantasmes. Supériorité sur Pif le chien, éternellement bloqué au stade infantile. Gotlib va devenir le pionnier de la BD comique pour adultes.
Il intègre, en 1965, l’équipe de Pilote, important un style « nonsensique » inspiré de la revue satirique américaine, Mad. Sur des scénarios de Goscinny, il anime les Dingodossiers, passe à Cinémastock avec Alexis, puis, solo, à la Rubrique à brac, où se distingue, en mascotte, sa légendaire coccinelle. Les exégètes ne manqueront pas de souligner l’influence néfaste de ces productions d’apparence anodines sur certains adolescents. Ceux-ci vont apprendre, face à l’Autorité, l’incontestable supériorité de l’ironie « secondegresque » sur la révolte frontale.

Gotlib tient cela de son enfance, marquée par l’Histoire. À l’âge de 8 ans, il surprend, un soir, sa mère cousant sur sa veste un curieux morceau de tissu. Le lendemain, de retour à l’école, il découvre qu’une cour de récréation peut se peupler de petits salopards. Cette étoile jaune lui inspirera une saynète, dans l’Écho des Savanes. (n°3, 05.01.1972). Elle renouvelle le gag de la fleur artificielle munie d’une poire à eau. Le petit garçon qui la porte asperge son camarade, et s’écrit: « Je viens de saisir le sens de l’expression -humour grinçant-… De beaux jours se préparent ». Vision prémonitoire. Planqué, pour échapper aux rafles, chez un couple de paysans sordides, les Coudray, il en fera une planche, intitulée « Chanson aigre-douce » pour les lecteurs de Pilote (n° 525, 27.11.1969,). Il s’interdira toute autre allusion à ce vécu douloureux.

Le second degré s’incarne dans l’apparition de Super Dupont, en 1972, dans Pilote. Héros portant le béret basque, la moustache de sous-off, une ceinture de flanelle tricolore et des charentaises, il combat l’Anti-France qui corrompt, souille et pourrit ce que nous avons de plus sacré. Admirable synthèse de Travail-Famille-Patrie et de Métro-Boulot-Dodo, il puise ses super pouvoirs dans le camembert fait à cœur. Les exégètes relèveront dans cette vaste saga, quelques touches de lubricité. Notamment page 257 du volume V de ses exploits. Elles marquent le début des obsessions sexuelles de l’auteur.

Commence alors la glissade dans le scabreux. Gotlib, quittant Pilote, s’acoquine à Bretécher et Mandrika pour fonder l’Écho des Savanes (1972). La revue a l’avantage d’être interdite aux mineurs, mais « réservée aux adultes accompagnés de leurs parents ».
On le retrouve, ensuite, en 1975, pilier de Fluide glacial, « magazine d’Umour et de bandessinées », auquel collaboreront divers dessinateurs talentueux, notamment Franquin.

Par les périodes « Rhââ lovely » et « Rhââ gnagna », Gotlib se lâche: « running gags » libidineux où apparaît l’angoisse de la castration, retour au stade anal, marqué par une profusion de pipi-caca-prout. Son sens de la dérision s’exacerbe. Il moque Isaac Newton, la publicité, la psychanalyse, Jean Valjean, Bernadette Soubirous, la Marseillaise (avec la complicité de Cabu), les scouts d’Hamster jovial, les dieux de toutes les obédiences, les vieux, sous l’immonde Pervers Pépère. Il n’hésite pas à salir les contes de fées de notre enfance, y parsemant autant de quéquettes qu’il y avait de bougies sur le dernier gâteau d’anniversaire de Mathusalem.

Il mettra fin à sa création en 1988, parvenu à un point de non-retour vis-à-vis des idéaux portés par la loi de 1949 relative aux publications réservées à la jeunesse( 1). Il sera célébré au festival d’Angoulême, en 1992, sous la forme d’une sculpture de cinq mètres de haut, intitulée « Deconum Rex ». Toutefois, comme aurait pu dire l’autre, « Monsieur Gotlib n’est qu’un point de détail de l’histoire de la bande dessinée » (2).

Jean-Paul Demarez

1) Exercice: en comparant la version initiale de l’article 2 de la loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 à celle du 17 mai 2011, identifiez les couleurs de l’air du temps
(2) Caricature de Martin, in Fluide Glacial, numéro spécial « Adieu Patron », 1er janvier 2017
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5 réponses à Monumental Gotlib

  1. Alain S dit :

    Merci pour cet article
    Juste un détail : Gai Luron ressemble au Droopy de Tex Avery. Snoopy est bien plus sage…

  2. Jean Paul DEMAREZ dit :

    Merci d’avoir relevé l’étourderie. C’est, bien sur Droopy, la bestiole de Tex Avery… Snoopy, est de Charles Schulz… Faites excuse

  3. Dupuis dit :

    Un régal de joyeuse distance et de précision .Vous nous donnez l’envie de revivre nos bonheurs de jeunesse avec son petit goût de transgression que l’on aimait partager avec ses amis… on va se jeter sur la somme annoncée espérant avoir encore un reste de « fraîcheur « pour jubiler à nouveau.

  4. Gilles Bridier dit :

    Flash back, « en route pour de nouvelles aventures! »…

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