Anthropométrie de l’effroi

Czeslawa Kwoka photo: Wilhem BrasseAvec la commémoration des 75 ans de la libération du camp d’Auschwitz-Birkenau le 27 janvier 1945, cette photo revient encore à la surface, croiser dans nos consciences, comme pour nous intimer de ne rien oublier. Elle s’appelait Czesława Kwoka, elle avait 14 ans. Quelqu’un l’a tuée, peu après la prise de vue, d’une injection dans le cœur. La marque que l’on discerne sur sa lèvre indique qu’elle a été battue juste avant, par une surveillante. Un reporter de la BBC est allé un jour à la rencontre du photographe Wilhelm Brasse. Son article (1) a été publié en 2007. Wilhem Brasse, jeune Polonais né en 1917, était lui aussi un déporté. Car il avait par deux fois, refusé de prêter allégeance au régime nazi. Ses qualités de photographe lui avaient valu ce poste de même qu’un régime de déportation moins rude. En 2012, il se souvenait avoir pris entre 40 et 50.000 photos de déportés, l’une de face et deux latérales. Une fois libéré, il n’a plus jamais pris de photos. Continuer la lecture

Publié dans Histoire, Photo | 2 commentaires

L’Amérique gay de Tony Kushner

Quarante-quatre changements de décors, vingt-trois rôles interprétés par huit comédiens, il fallait bien cela pour rendre toute la magnificence de la pièce de Tony Kushner ! Un pari fou et réussi. Sur la scène de la Salle Richelieu, un ange descend des cintres dans des volutes de fumée, des individus traversent un frigidaire, un lit d’hôpital apparaît et disparaît à volonté, tout comme le fantôme d’Ethel Rosenberg… Le merveilleux est au rendez-vous dans la Maison de Molière avec “Angels in America”, la “pièce-monde” de Tony Kushner – selon la si jolie expression de son metteur en scène Arnaud Desplechin – qui fait là son entrée au Répertoire de la Comédie-Française. En ces terribles années Reagan où les amours homo et bisexuelles se virent soudain menacées par le sida, même les anges semblent impuissants à aider les hommes… Continuer la lecture

Publié dans Théâtre | Commentaires fermés sur L’Amérique gay de Tony Kushner

Nouveau message d’un piéton de Paris

Comme il habite près de la Seine, Benoît Duteurtre a tenté l’expérience. Il est allé se promener sur les quais hauts où la pollution sonore et atmosphérique a augmenté depuis la fermeture des voies sur berges. Craignant d’être l’objet des idées reçues, il est descendu sur les quais bas, libérés des voitures. Piéton dans l’âme, Parisien sans voiture, il a n’a pu que constater la nouvelle autoroute urbaine constituée d’engins en tout genre qui filent le long du fleuve, pilotés par des néo-urbains jouant à éviter au dernier moment le promeneur adepte des flâneries mains dans les poches. Jamais cette cité n’a fait autant de bruit, jamais elle n’a déployé autant de chantiers gênants en même temps. Et il « faudra sans doute, prédit l’auteur, après son éventuelle réélection (de la maire ndlr), et dans l’attente des jeux olympiques, subir autant de nouveaux chantiers bienveillants pour aller toujours plus loin (…) dans la perspective d’un avenir radieux ». La ville qui, sous l’équipe actuelle, se piquait de « bien-être urbain » est devenue un espace hostile que Benoît Duteurtre s’applique, dans « Les dents de la maire », à décrire avec un humour qui allège  l’ensemble. Continuer la lecture

Publié dans Livres | 2 commentaires

Et colégram

clavier ordinateur. Illustration: PHB/LSDPLes gandins ont eu une très courte carrière. On appelait ainsi les élégants qui déambulaient de 1815 à 1828 sur le boulevard de Gand qui allait devenir, à Paris, le boulevard des Italiens. « Ah il veut faire le gandin à son âge » écrivit un jour Feydeau. Tout ça pour dire qu’une recherche de mot classique dans une encyclopédie conduit l’utilisateur à tomber sur des termes inattendus. En l’occurrence en cherchant « gramme » qui a servi de suffixe à nombre de mots comme organigramme, calligramme ou encore dactylogramme. Ce faisant on s’approche du sujet de fin de semaine. En créant son premier calligramme, Apollinaire aurait pu dans la foulée créer dactylogramme mais il était déjà pris pour signifier « empreinte digitale ». Ce n’était pas forcément pertinent. D’ailleurs le temps a fait son tri. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | 3 commentaires

La télé c’est avant tout visuel…

… et c’est avec cet argument, si évident qu’il en est presque idiot, que le patron de Fox News lorsqu’il recrutait des femmes à des postes de journalistes, leur demandait de montrer leurs jambes. Actionnant les leviers de l’ambition et de la sécurité de l’emploi, il poussait par la suite son avantage. S’il rencontrait de la résistance, celle-là se voyait rétrogradée à une heure d’audience moins favorable. C’est ce qui est notamment arrivé à Gretchen Carlson dans la vraie vie. Dans « Scandale », elle est interprétée par Nicole Kidman. Le titre aurait pu être meilleur mais la traduction de « Bombshell », littérale ou non, n’était pas évidente. Au moins dénomme-t-il le silence choquant qui prévalait dans les sociétés où l’organigramme était, tout en haut de la hiérarchie, masculin. Le fait d’utiliser l’imparfait pour le dire est malheureusement un vœu pieux. Continuer la lecture

Publié dans Cinéma | Commentaires fermés sur La télé c’est avant tout visuel…

Chine Sex and Fun. Episode 2/2

À 80 km de Shanghai, la petite ville touristique de Tongli abrite le premier musée de la sexualité jamais ouvert en Chine. Ce petit bijou, fondé par un professeur de sociologie en 2000, n’attire pas les prudes Chinois venus nombreux visiter Tongli. Il est pourtant une excellente introduction à l’histoire de la sexualité de l’Empire du milieu et présente une collection insolite de sextoys historiques.
Le mois dernier, l’épisode 1 de Chine Sexe and sun, laissait les lecteurs à l’entrée du musée fondé par le professeur Liu Dalin. Après 20 années dans l’armée chinoise, cet ancien officier, né en 1932, étudiait la sociologie à l’université de Shanghai. S’intéressant à la sexualité, cet érudit publiait un ouvrage de référence, « l’Empire du désir », dans lequel il explorait 4000 ans d’histoire de la sexualité chinoise. Continuer la lecture

Publié dans Musée | 4 commentaires

Boulevard du rhume

flasque de rhum. Photo: PHB/LSDPAvoir la nette impression que le cerveau ne ressemble à plus rien d’autre qu’un volume de colle à papier peint mijotant dans un caquelon à fondue. Les pensées ne circulent plus et se concrétisent en croutons jaunâtres au milieu de bulles molles. L’odorat s’est absenté. Tout ce qui se hume avec délices a pris le parfum de plastique brûlé. Le chocolat le plus dense en cacao ne transmet plus qu’une saveur de carton à chapeau. Toute légèreté est perdue. Le corps est lourd, la gaieté a quitté la maison. Toute idée d’action est anéantie. Il faut regarder la vérité en face. Le rhume est là qui transforme tout être humain en chose, au mieux en épave geignante. La pharmacopée a déclaré forfait. Et c’est alors que l’ami pharmacien a suggéré à point nommé la préparation d’un grog. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | 5 commentaires

Les corps sans formatage de Kiki Smith

rapture (détail) kiki smith. Photo: PHB/LSDPCe visage exprimant tout à la fois méfiance, peine et douleur a été installé sur un corps fort éloigné des représentations sensuelles d’un Rodin. Et pourtant cette sculpture dégage quelque chose de beau. Elle est la figure de proue d’une exposition réservée à l’artiste américaine Kiki Smith au sein de la Monnaie de Paris. Et s’intitule « Rapture and born ». Le premier mot signifie ravissement ou enchantement. C’est effectivement ce que l’œuvre produit comme effet, mais pas avec les ficelles habituelles de ces corps de toute évidence destinés à l’amour. Le buste est lourd, le ventre est rond, les hanches sont bien arrondies. La démarche de cette femme qui enjambe le loup dont elle sort, n’est pas gracieuse.  C’est son regard qui captive le plus. Il interpelle comme une mise en garde signifiant que le formatage global du corps féminin voué aux catalogues, est une erreur. Ici ce sont les normes qu’elle déshabille. Continuer la lecture

Publié dans Exposition | 4 commentaires

Devinez qui

BD Benalla et moi. Couverture. Photo: PHB/LSDPEn juillet 2018, se tient à l’Elysée une réunion de crise destinée à désamorcer l’affaire Benalla. Du nom de ce collaborateur du palais qui s’est fait prendre à jouer les policiers en malmenant un manifestant le premier mai. Alexandre Benalla est un jeune homme qui s’est adroitement faufilé en politique,  d’abord au Parti socialiste, puis au sein de la toute jeune République en marche. Sa spécialité est la sécurité rapprochée. Son caractère serviable, une certaine efficacité, ont fait qu’une fois élu, Emmanuel Macron l’a pris avec lui, au sein de son cabinet. Tout allait pour le mieux jusqu’à ce qu’une vidéo devenue célèbre, signée Taha Bouhafs, surprenne le personnage en train de faire ce qu’il n’aurait pas dû. Dès lors tout s’est enrayé. Et en ce mois de juillet 2018 les collaborateurs du chef de l’État mettent au point les éléments de langage. On comprend que « dérive personnelle » ou « affaire d’été pas affaire d’État » font partie des locutions retenues. Continuer la lecture

Publié dans BD | 2 commentaires

Redécouvrir Pierre Loti

Qui se souvient aujourd’hui de Pierre Loti, de son vrai nom Julien Viaud (1850-1923) ? Pour certains, la seule évocation de son nom suffit à faire surgir des rêves d’ailleurs, des récits de voyage au long cours, une vision d’un Orient fantasmé… Pour d’autres, il reste un nom imprimé sur de vieux livres jaunis dans la bibliothèque des grands-parents et jamais ouverts… L’écrivain marin voyageur fut pourtant, de son vivant, un auteur à succès, reconnu et apprécié, allant jusqu’à être élu, à 41 ans seulement, à l’Académie française contre Zola ! Une immortalité précoce… Il eut même droit à des funérailles nationales !  Le Lucernaire a eu la très belle idée de le remettre au goût du jour à travers “Le Fantôme d’Aziyadé”, une adaptation-compilation de deux textes de l’auteur de “Pêcheur d’Islande” : “Aziyadé” (1879) et sa suite, “Le Fantôme d’Orient” (1892). En compagnie du talentueux Xavier Gallais, nous voilà donc débarqués sur les rives du Bosphore, à la recherche d’un amour perdu, dans le cadre exotique de la Turquie de la seconde moitié du XIXème siècle… Continuer la lecture

Publié dans Théâtre | Un commentaire