Cromwell ressuscité

Les Anglais viennent de prouver, one more time, qu’ils sont les rois de la série historique. Après la savoureuse série « Downton Abbey » (2011-2015), après l’opulente série « The Crown » (2016-2023), voilà « Wolf Hall », adaptée des best sellers de la romancière Hilary Mantel. Une trilogie publiée entre 2009 et 2020 ayant reçu le Booker Price et autres récompenses. Trois épais volumes traduits chez Sonatine en France entre 2013 et 2022. Une somme évoquant the rise and fall of Cromwell, l’ascension et la chute de Thomas Cromwell, très puissant conseiller du très capricieux roi Henri VIII. L’histoire commence en 1527, lorsque le second souverain Tudor, exaspéré de ne pas avoir d’héritier mâle, veut obtenir du pape l’annulation de ses dix-huit années de mariage avec Catherine d’Aragon. Continuer la lecture

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Dulce bellum inexpertis

Ce titre en latin issu des « Adagia » d’Érasme signifie que « la guerre est douce à ceux qui l’ignorent ». Elle est d’autant plus d’actualité que ceux qui en nourrissent la perspective sont rarement prêts à enfiler l’uniforme. Toujours est-il qu’à la fin du 15e siècle et dans les années du suivant, les beaux esprits s’en allaient piocher dans le dictionnaire des citations latines sélectionnées par Érasme, afin de briller dans les dîners en ville. Le latiniste distingué qu’était le prêtre de Rotterdam, puis l’un des plus grands esprits d’Europe, savait cela. Tout ce qui venait de son moi spirituel était bon à prendre. Stefan Zweig, dans sa puissante biographie d’Érasme, notait déjà en 1935 que le besoin de truffer une intervention orale ou écrite de quelques mots de latin, était toujours fort partagé. Comme une drogue irrésistible qui faisait dire à quelque convive voisin d’un quelconque orateur: « diable, quel personnage instruit. » Cette biographie se rappelle doublement à nous. D’abord parce qu’Érasme (1467-1536) ne prônait pas que la tolérance entre les hommes, il conseillait également et sans se lasser, l’instrument diplomatique, le chemin de la conciliation ou la voie du compromis afin d’éviter qu’une situation dégénère en conflit incontrôlable. Et d’autre part parce que la parution de cette biographie par Zweig (1881-1942) fut publiée en pleine montée du nazisme. Elle tombait à pic, mais sur le plan pratique, elle fit malheureusement plouf. Continuer la lecture

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Georges de la Tour, l’éclairagiste

C’est bien vrai que ce « Nouveau-Né » méritait d’être mis en avant. Même s’il est bien difficile de choisir un Georges de la Tour parmi une trentaine de chefs-d’œuvre sélectionnés. Mais c’est bien ici le choix du musée Jacquemart-André, pour une exposition exceptionnelle qui démarrera le 11 de cette semaine. Peinte entre 1647 et 1648, cette toile est une concentration de savoir-faire. La scène est domestique. Deux femmes sont au chevet d’un bébé emmailloté. L’une le tient, l’autre porte la bougie diffusant une aura magique sur le rouge de la robe. La lumière confère même un aspect luisant au visage du poupon, le réalisme est ici poussé jusqu’au bout. Aujourd’hui on aurait tendance à ternir artificiellement un éclat ou un reflet inopportuns. De La Tour quant à lui, n’avait pas occulté ce détail, sur une surface où tout est pensé, où chaque pièce du puzzle s’agrège, afin d’aboutir à un résultat sans-faute. Continuer la lecture

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La Série Noire comme patrimoine

La Série Noire célèbre avec fierté, cette année, ses 80 ans. Il y a de quoi être fier d’avoir placé la grande littérature policière sur un piédestal, sans la considérer comme un genre inférieur. Même s’il existe encore des gens qui n’ont pas ouvert un roman policier de leur vie. Il y a polar et polar, et c’est à la gloire de Marcel Duhamel, grand ami de Prévert, traducteur de Steinbeck, Poe, Hemingway ou Henry Miller, d’avoir convaincu Gallimard de placer d’emblée la Série Noire sous les auspices de l’illustre NRF en juillet 45. Juste à la sortie de la guerre, alors qu’éclatent à la Libération sur les écrans français tous ces cinéastes yankees chéris des critiques des Cahiers du cinéma souvent adaptés de romans noirs (voir mon article du 11 juillet 2025 « Un grand épistolier »). Truffaut, justement, grand amateur de cinéma noir autant que de romans noirs, adaptera aussi bien David Goodis dans « Tirez sur le pianiste » que William Irish dans « La mariée était en noir », ou Charles Williams dans « Vivement dimanche ». Autrement dit trois grands du genre. Continuer la lecture

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Ballons, dirigeables et vélos, Colette en selle

Colette préférait ne pas s’embarquer sans biscuits. Ce qui fait qu’en ce mois de septembre 1912, juste avant la fin de l’été, elle nota que les flancs de la nacelle qui l’emmenait vers le ciel contenaient suffisamment de vins, de sandwiches et de chocolat, afin d’agrémenter le pique-nique final. Celle dont l’œuvre est tombée dans le domaine public cette année, était réputée pour avoir les pieds sur terre. Mais ce voyage en ballon, du moins tel qu’elle le raconta dans les colonnes du Matin, avait tout l’air d’un enchantement, avec ce que cela pouvait comporter de chatouilles à l’estomac. Tandis que le ballon atteignait les 1500 mètres au-dessus de Paris, elle apprécia de respirer « un air pur et sec, à goût de neige », éveillant « l’envie de manger et de boire ». En l’occurrence, un mousseux dont on ne nous dit pas s’il s’agissait d’un crémant de Loire ou d’un champagne. Entouré de passagers gaiement irresponsables, le pilote souriait « avec mansuétude, comme un terre-neuve patient que harcèlent des petits chiens joueurs ». Du pur Colette dont on se délecte de la prose inspirée, dans cet ensemble de textes réunis chez Flammarion en 1970, sous le titre « Conte des mille et un matins ». Continuer la lecture

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S’en battre les empans

Il est toujours amusant de remonter le fil invisible des événements entre eux, fussent-ils anecdotiques. Par exemple à partir de ce 13 avril 1962, lorsque les onze heures sonnèrent à l’église de Saint-Germains-des-Prés. Un peu plus haut sur le boulevard du même nom, était inaugurée une plaque rappelant qu’au faîte du 202, « vécut et mourut » le poète Guillaume Apollinaire. La cérémonie fut « simple et pleine de chaleur », comme la décrivit un an plus tard la revue Apollinaire. La plaque avait été offerte par Gaston Gallimard (qui lui devait bien ça) et, parmi les personnes présentes chargées d’une allocution, on comptait l’ami du poète André Billy (1882-1971), ou encore Pierre Reverdy directeur de la revue Nord-Sud, lequel avait déjà eu l’occasion de grimper les escaliers du 202. Et il y avait aussi le sieur Gaëtan Picon (1915-1976) présenté comme le directeur général des arts et des lettres et dont on remarqua le discours puisqu’il résuma « dans une fulgurante synthèse l’originalité du poète et l’importance de son œuvre ». C’est avec lui qu’apparaît un fil presque invisible. Et dont l’importance est si ténue, qu’on voudra bien nous en excuser. Continuer la lecture

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Gustave Flaubert, humoriste

« Bouvard et Pécuchet », le roman de Gustave Flaubert, représente une sorte d’apothéose dans son œuvre. Tout commence par la rencontre fortuite de deux badauds, sur un banc public. Ils se découvrent un même métier, copiste, des points communs, des intérêts partagés. Leur relation s’approfondit, tant et si bien qu’à la faveur d’un héritage, ils s’installent dans le Calvados. Ils entreprennent, ce sera leur idée fixe, d’explorer les connaissances du moment, de l’agriculture à la métaphysique, en passant par les arts, la médecine, la physique, la pédagogie… Armés d’un bon vouloir et d’ouvrages de vulgarisation, ils vont aller de déboires en échecs, s’attirant, par surcroît, les quolibets de la population locale. Juste Pécuchet et François Bouvard sont-ils de parfaits imbéciles ou de malchanceux autodidactes? La question ne sera jamais résolue. Flaubert décède le 8 mai 1880, n’ayant rédigé que neuf chapitres composant le premier tome de leurs aventures. La suite reste à l’état de notes et de plans sommaires, collectés par sa nièce Caroline. Continuer la lecture

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Un zeste d’IA dans les cartes postales

À première vue on dirait une momie. Son visage est couleur craie. De derrière son comptoir de bistrotière, elle nous toise. Sauf qu’elle n’est ni une momie, ni une statue. D’ailleurs elle cligne des yeux et son cou oscille légèrement. C’est une automate dopée à l’intelligence artificielle. Si l’on appuie du doigt sur une carte postale fixée au mur, la voilà qui se met à parler afin d’expliciter au visiteur ce que le petit carton ne dit pas. La scène se passe au sein d’un café de l’ancien temps, dont les parois et la décoration intérieure ont été reconstituées. Le tout est inclus au Carton Voyageur, soit le nom d’un musée de la carte postale qui se situe à Baud, dans le département du Morbihan. Datant du début de l’été, cette adjonction d’intelligence artificielle est bienvenue. Elle vient poivrer autant que faire se peut une thématique trop sage sur un secteur pourtant loin d’être mort. À ce qu’il paraît en effet, les Français en envoient sept par an, snobant les applications téléphoniques et faisant encore pédaler le facteur sur son vélo. Le site planetoscope.com précise néanmoins que la postcard se vend encore bien mieux chez nos cousins britanniques ou américains. Continuer la lecture

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Shakespeare avait tout faux

Cette histoire vraie ne peut se passer qu’en Angleterre, et ne pouvait être contée que par un Anglais, le très accompli cinéaste Stephen Frears (« My beautiful laundrette » 1985, « The Queen » 2006, « Philomena » 2014). L’aventure de « The Lost King »  (« Le roi égaré », 2022) commence lorsque l’historienne amateur Philippa Langley, née au Kenya en 1962 puis installée à Édimbourg, se prend de passion pour le roi maudit Richard III. Celui-là même que Shakespeare a immortalisé universellement par ce cri à la bataille de Bosworth: « A horse ! My kingdom for a horse ! » Alors que l’historienne avait entrepris un scénario narrant son incroyable aventure, le scénariste Jeff Pope et l’acteur bien connu Steve Coogan (ayant tous deux déjà collaboré sur « Philomena »), convainquent la dame de leur faire confiance. C’est ainsi que les choses se passent en Angleterre, Philippa Langley se retrouvant productrice exécutive du film. Il est donc inutile de se demander sans cesse si les choses se sont bien passées comme ça, aussi incroyables soient-elles. Continuer la lecture

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Retour dans le monde placentaire

Lorsque l’on accédait au sein gauche par l’intérieur, apparaissait un toboggan. Tandis qu’au sein du sein droit, se trouvait comme de juste, un milk-bar. Cet aménagement déconcertant, à hauteur d’homme et plus encore d’enfant, n’était qu’un des aspects de « Elle la cathédrale », la femme exposée en 1966 au Moderna Museet de Stockholm. Cette « nana » géante, avec tout son conditionnement, toutes ses couleurs, constituait l’œuvre commune d’un trio composé de l’Américaine Niki de Saint Phalle (1930-2002), le Suisse Jean Tinguely (1925-1991) et un conservateur (et artiste) de musée hors norme, le Suédois Pontus Hulten (1924-2006). Il y avait une longue file d’attente pour la visite dont la singularité susceptible d’être choquante, était d’entrer et de sortir par le vagin. Alors qu’une exposition sur le sujet se tient jusqu’au 4 janvier au Centre Pompidou, lieu  hébergé au Grand Palais pour cause de rénovation du premier, la chaîne Arte a eu la bonne idée de programmer un documentaire autour de la fine équipe, mais la diffusion n’ira pas plus loin que le 19 septembre. Il vaut donc mieux le voir avant l’expo, surtout si l’on n’est pas un familier de Niki et de ses compagnons. Un aperçu (1) vidéo permet aussi de se faire une bonne idée de l’exposition. Continuer la lecture

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