Ballons, dirigeables et vélos, Colette en selle

Colette préférait ne pas s’embarquer sans biscuits. Ce qui fait qu’en ce mois de septembre 1912, juste avant la fin de l’été, elle nota que les flancs de la nacelle qui l’emmenait vers le ciel contenaient suffisamment de vins, de sandwiches et de chocolat, afin d’agrémenter le pique-nique final. Celle dont l’œuvre est tombée dans le domaine public cette année, était réputée pour avoir les pieds sur terre. Mais ce voyage en ballon, du moins tel qu’elle le raconta dans les colonnes du Matin, avait tout l’air d’un enchantement, avec ce que cela pouvait comporter de chatouilles à l’estomac. Tandis que le ballon atteignait les 1500 mètres au-dessus de Paris, elle apprécia de respirer « un air pur et sec, à goût de neige », éveillant « l’envie de manger et de boire ». En l’occurrence, un mousseux dont on ne nous dit pas s’il s’agissait d’un crémant de Loire ou d’un champagne. Entouré de passagers gaiement irresponsables, le pilote souriait « avec mansuétude, comme un terre-neuve patient que harcèlent des petits chiens joueurs ». Du pur Colette dont on se délecte de la prose inspirée, dans cet ensemble de textes réunis chez Flammarion en 1970, sous le titre « Conte des mille et un matins ». Continuer la lecture

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S’en battre les empans

Il est toujours amusant de remonter le fil invisible des événements entre eux, fussent-ils anecdotiques. Par exemple à partir de ce 13 avril 1962, lorsque les onze heures sonnèrent à l’église de Saint-Germains-des-Prés. Un peu plus haut sur le boulevard du même nom, était inaugurée une plaque rappelant qu’au faîte du 202, « vécut et mourut » le poète Guillaume Apollinaire. La cérémonie fut « simple et pleine de chaleur », comme la décrivit un an plus tard la revue Apollinaire. La plaque avait été offerte par Gaston Gallimard (qui lui devait bien ça) et, parmi les personnes présentes chargées d’une allocution, on comptait l’ami du poète André Billy (1882-1971), ou encore Pierre Reverdy directeur de la revue Nord-Sud, lequel avait déjà eu l’occasion de grimper les escaliers du 202. Et il y avait aussi le sieur Gaëtan Picon (1915-1976) présenté comme le directeur général des arts et des lettres et dont on remarqua le discours puisqu’il résuma « dans une fulgurante synthèse l’originalité du poète et l’importance de son œuvre ». C’est avec lui qu’apparaît un fil presque invisible. Et dont l’importance est si ténue, qu’on voudra bien nous en excuser. Continuer la lecture

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Gustave Flaubert, humoriste

« Bouvard et Pécuchet », le roman de Gustave Flaubert, représente une sorte d’apothéose dans son œuvre. Tout commence par la rencontre fortuite de deux badauds, sur un banc public. Ils se découvrent un même métier, copiste, des points communs, des intérêts partagés. Leur relation s’approfondit, tant et si bien qu’à la faveur d’un héritage, ils s’installent dans le Calvados. Ils entreprennent, ce sera leur idée fixe, d’explorer les connaissances du moment, de l’agriculture à la métaphysique, en passant par les arts, la médecine, la physique, la pédagogie… Armés d’un bon vouloir et d’ouvrages de vulgarisation, ils vont aller de déboires en échecs, s’attirant, par surcroît, les quolibets de la population locale. Juste Pécuchet et François Bouvard sont-ils de parfaits imbéciles ou de malchanceux autodidactes? La question ne sera jamais résolue. Flaubert décède le 8 mai 1880, n’ayant rédigé que neuf chapitres composant le premier tome de leurs aventures. La suite reste à l’état de notes et de plans sommaires, collectés par sa nièce Caroline. Continuer la lecture

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Un zeste d’IA dans les cartes postales

À première vue on dirait une momie. Son visage est couleur craie. De derrière son comptoir de bistrotière, elle nous toise. Sauf qu’elle n’est ni une momie, ni une statue. D’ailleurs elle cligne des yeux et son cou oscille légèrement. C’est une automate dopée à l’intelligence artificielle. Si l’on appuie du doigt sur une carte postale fixée au mur, la voilà qui se met à parler afin d’expliciter au visiteur ce que le petit carton ne dit pas. La scène se passe au sein d’un café de l’ancien temps, dont les parois et la décoration intérieure ont été reconstituées. Le tout est inclus au Carton Voyageur, soit le nom d’un musée de la carte postale qui se situe à Baud, dans le département du Morbihan. Datant du début de l’été, cette adjonction d’intelligence artificielle est bienvenue. Elle vient poivrer autant que faire se peut une thématique trop sage sur un secteur pourtant loin d’être mort. À ce qu’il paraît en effet, les Français en envoient sept par an, snobant les applications téléphoniques et faisant encore pédaler le facteur sur son vélo. Le site planetoscope.com précise néanmoins que la postcard se vend encore bien mieux chez nos cousins britanniques ou américains. Continuer la lecture

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Shakespeare avait tout faux

Cette histoire vraie ne peut se passer qu’en Angleterre, et ne pouvait être contée que par un Anglais, le très accompli cinéaste Stephen Frears (« My beautiful laundrette » 1985, « The Queen » 2006, « Philomena » 2014). L’aventure de « The Lost King »  (« Le roi égaré », 2022) commence lorsque l’historienne amateur Philippa Langley, née au Kenya en 1962 puis installée à Édimbourg, se prend de passion pour le roi maudit Richard III. Celui-là même que Shakespeare a immortalisé universellement par ce cri à la bataille de Bosworth: « A horse ! My kingdom for a horse ! » Alors que l’historienne avait entrepris un scénario narrant son incroyable aventure, le scénariste Jeff Pope et l’acteur bien connu Steve Coogan (ayant tous deux déjà collaboré sur « Philomena »), convainquent la dame de leur faire confiance. C’est ainsi que les choses se passent en Angleterre, Philippa Langley se retrouvant productrice exécutive du film. Il est donc inutile de se demander sans cesse si les choses se sont bien passées comme ça, aussi incroyables soient-elles. Continuer la lecture

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Retour dans le monde placentaire

Lorsque l’on accédait au sein gauche par l’intérieur, apparaissait un toboggan. Tandis qu’au sein du sein droit, se trouvait comme de juste, un milk-bar. Cet aménagement déconcertant, à hauteur d’homme et plus encore d’enfant, n’était qu’un des aspects de « Elle la cathédrale », la femme exposée en 1966 au Moderna Museet de Stockholm. Cette « nana » géante, avec tout son conditionnement, toutes ses couleurs, constituait l’œuvre commune d’un trio composé de l’Américaine Niki de Saint Phalle (1930-2002), le Suisse Jean Tinguely (1925-1991) et un conservateur (et artiste) de musée hors norme, le Suédois Pontus Hulten (1924-2006). Il y avait une longue file d’attente pour la visite dont la singularité susceptible d’être choquante, était d’entrer et de sortir par le vagin. Alors qu’une exposition sur le sujet se tient jusqu’au 4 janvier au Centre Pompidou, lieu  hébergé au Grand Palais pour cause de rénovation du premier, la chaîne Arte a eu la bonne idée de programmer un documentaire autour de la fine équipe, mais la diffusion n’ira pas plus loin que le 19 septembre. Il vaut donc mieux le voir avant l’expo, surtout si l’on n’est pas un familier de Niki et de ses compagnons. Un aperçu (1) vidéo permet aussi de se faire une bonne idée de l’exposition. Continuer la lecture

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RDV fin août

En cette fin de saison 1911, dans Paris-Journal, il était prévu pour la journée du 13 septembre, une température de 29 degrés contre 21 pour la nuit. Loin des excès de vocabulaire d’aujourd’hui, le quotidien mentionnait qu’il allait faire beau avec un orage probable. La vague de chaleur avait duré tout l’été, occasionnant on le saura plus tard, des milliers de décès. Dans les colonnes de Paris-Journal, on parlait tout de même de « canicule », afin d’expliquer les nombreux incendies qui sévissaient encore en France à la veille de l’automne. Y compris en banlieue parisienne dans le parc de Bosserons à Brunoy, où deux hectares furent « la proie des flammes ». On y faisait aussi état de la guerre et des caprices de la Bourse. À plus d’un siècle d’écart, un lecteur de 2025 parcourant ces informations, noterait quelques coïncidences instructives. Mais sur deux colonnes à la une, le sujet central était la libération de Guillaume Apollinaire, injustement incarcéré à la prison de la Santé, vu « l’inanité des charges invoquées » contre lui, soit le vol de deux statuettes au Louvre et par extension baroque, celui de la « Joconde ». En page deux et sur trois colonnes cette fois, il était raconté en détail son interrogatoire par un juge. Continuer la lecture

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Un grand épistolier

Le mantra de François Truffaut (1932-1984) était « Nous sommes des écrivains qui faisons des films », mais peut-être est-ce seulement maintenant que nous prenons la pleine mesure de cet aphorisme. Nous savons bien sûr que la bande de la Nouvelle Vague commença par se défouler comme critiques dans Les Cahiers du Cinéma. Truffaut, Godard, Chabrol, Rivette, Rohmer, tous se déchaînèrent, Truffaut en tête, contre Gilles Grangier, Claude Autant-Lara, Marcel Carné, Henri Decoin et autres représentants de l’académisme à l’écran. Un mois seulement avant la présentation, au festival de Cannes, du premier long métrage signé Truffaut « Les Quatre Cent Coups », qui allait changer la face du cinéma français, Godard écrivait dans Arts, autre publication phare: « Nous avons gagné en faisant admettre le principe qu’un film de Hitchcock, par exemple, est aussi important qu’un livre d’Aragon. » (22 avril 1959). Continuer la lecture

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Parole donnée aux internés

Et il y eut même des gens pour se plaindre des nuisances. Au camp de la Muette, on avait interné des dizaines de milliers de juifs, crevant de faim dans des conditions d’hygiène désespérées et il y eut malgré tout des râleurs pour se plaindre de la lumière des miradors. Lesquels dérangeaient les nuits du voisinage. Alors que c’est leur conscience qui aurait dû sursauter chaque nuit. Entre 1941 et 1944, le site de la Muette à Drancy, servit de transit aux camps de la mort. En autobus ou en train, il vint d’abord des hommes, puis des femmes avec enfants, puis des enfants seuls, stockés dans cette enceinte à ciel ouvert. Une bande dessinée anormalement épaisse, près de 300 pages, vient de leur donner la parole. Avec une scénariste (Valérie Villieu), un dessinateur (Simon Géliot), une conseillère historique (Annette Wieviorka) et un coloriste (Philippe Marlu). Ce dernier, comme on peut le voir ci-contre, n’a employé que des déclinaisons de bleu et de gris afin d’illustrer le propos général. Pour un résultat tout à la fois triste et beau si tant est qu’il est possible de parler d’esthétisme dans un environnement aussi tragique. Mais c’était, parions-le, une façon de rendre une dignité, un voile d’honneur, à tous ceux dont la vie fut ici brisée. Continuer la lecture

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Jeu de loi

Le 2 juillet dernier, cela faisait exactement 124 ans que le Journal Officiel publiait un texte fondateur: la loi de 1901 relative au contrat d’association. Dans notre cher et vieux pays, la puissance publique a, depuis des temps immémoriaux, manifesté une méfiance vis-à-vis de cette tendance qu’a l’être humain de s’organiser en groupes. Si l’Assemblée constituante consacre, en 1790, un droit pour les citoyens de s’associer selon leur bon vouloir, dès l’année suivante, la loi Le Chatelier y met des limites, augmentées par l’article 291 du Code Pénal de 1810, répression encore alourdie par la loi du 10 avril 1834. Un délit s’instaure, l’association illicite. Car il paraît évident que si des individus décident de se rassembler, c’est généralement dans de mauvaises intentions Des ouvriers se rencontrent dans l’arrière salle d’un troquet? C’est pour fomenter contre le patron. Des calotins font de même au sein d’une obscure sacristie? C’est pour ourdir contre le régime. Des intellectuels s’assemblent en une quelconque officine? Il s’agit surement d’un complot. Il devient, par conséquent obligatoire, sous peine de sanctions, lorsqu’on entreprend de se constituer en groupe, d’en obtenir l’autorisation, après avoir informé le préfet et le procureur de l’identité des dirigeants, l’appellation, l’objet et les buts de l’association, la désignation des ressources, le lieu des réunions, les statuts et la liste des membres. Continuer la lecture

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