Lorsqu’il est coincé comme un vieux jerrican dans un garage, piégé dans un conseil d’administration qui s’éternise ou jeté comme un vaurien au fond d’une cellule déjà surpeuplée, l’esprit humain fomente des évasions intérieures. Notamment si l’esprit en question, fort en maths, doué aux échecs, est de surcroît épris d’art et de littérature. Déporté en 1944 au camp de Dora, François Le Lionnais trouva grâce à son amour de l’art, un exutoire imparable. Lorsqu’il se remémorait chaque détail de « La Vierge au chancelier Rolin » de Jean Van Eyck (1390-1441), cela lui permettait de s’abstraire de longs instants, de la litanie de l’appel, lors duquel chaque prisonnier devait patienter des heures, torturé par les crampes, le froid ou la chaleur. Avec son ami Jean Gaillard qui n’a pas survécu, il passait toute la peinture en revue la mise en scène de Van Eyck, jusqu’aux « petites touffes d’herbe » poussant entre « les pavés de la courette » et même « l’agitation citadine » que l’on distingue au fond de l’œuvre. Cette toile presque carrée (66 x 62 cm, ci-dessus) est visible au musée du Louvre. On la regardera différemment en songeant à celui qui faisait l’effort, depuis sa captivité, d’en projeter chaque centimètre carré dans l’esprit de son camarade. Continuer la lecture
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C’est sûrement l’une des automobiles Peugeot parmi les plus photographiées au monde. Surtout dans cet état de carcasse rouillée avec son squelette mécanique que l’on distingue très bien vu qu’il n’y a plus de plancher. Elle est restée là depuis le 10 juin 1944, le jour où la 2e division SS Das Reich est venue se venger des actions de résistance en massacrant tout un village. On appelle ça des représailles, c’est un genre d’activité dont l’espèce humaine n’a jamais réussi à s’affranchir. La tendance se porte toujours bien ce qui fait que la visite en ce moment-même du village martyr d’Oradour-sur-Glane nous interpelle comme une actualité, comme le maillon d’une chaîne d’horreurs n’ayant ni début ni fin. En outre, le Centre de mémoire qui ouvre l’entrée de ce lieu situé à une vingtaine de kilomètres de Limoges (Haute-Vienne), vient de fermer. Il ne rouvrira pas avant juin 2027. Mais Oradour, dont le temps s’est arrêté il y a de cela quatre-vingts ans, restera ouvert au public. On y entre librement et dès les premiers pas, il y a une angoisse qui vous étreint, malgré les beaux jours de septembre, malgré cette belle vigne qui s’enroule sur une des ruines et dont on n’ose cueillir un des fruits.
L’endroit n’est pas des plus faciles à trouver, mais le touriste un peu curieux sera récompensé de sa persévérance en découvrant un paysage champêtre auquel il ne s’attendait probablement pas. C’est qu’il se trouve dans le Borinage, entre Valenciennes et la ville belge de Mons. Cette région est voisine du « pays noir » expression peu flatteuse due aux nombreux puits d’extraction du charbon de l’endroit. Les dernières mines ont beau avoir été fermées depuis plus de 60 ans, la région pâtit encore de cette réputation alors que, non loin des terrils devenus aujourd’hui des lieux d’excursion fréquentés, on découvrira de verdoyantes campagnes. C’était essentiellement pour la paix et la sérénité de l’endroit qu’à la toute fin du XIXe siècle, le poète flamand d’expression française Émile Verhaeren décida de s’installer chaque année pour plusieurs mois, dans ce lieu retiré du Hainaut belge, à quelques kilomètres de la frontière française. L’endroit porte le nom savoureux de « Caillou-qui-bique ». Entendez, selon le parler local, « rocher qui se dresse ». Curiosité géologique, il s’agit d’une roche assez énorme de plusieurs centaines de millions d’années que les spécialistes nomme « poudingue ».
« Je ne veux pas faire un spectacle en noir et blanc, je veux faire un spectacle en gris et gris. » Pari tenu pour l’auteur et metteur en scène Jean-Philippe Daguerre. Le spectacle, c’est « Du charbon dans les veines ». Créé au Festival Off d’Avignon à l’été 2024, venu à Paris au Théâtre Saint-Georges, il revient à la rentrée au (si charmant) Théâtre du Palais Royal. Toujours auréolé de ses cinq Molières. Dont celui du spectacle du théâtre privé, du metteur en scène et de l’auteur. Rien de bling bling ici. Non, rien ne brille, tout est gris. En apparence en tout cas: on voit tout gris, Mais on perçoit beaucoup de lumière, celle de l’amour, de l’amitié, de la solidarité.
À 40 kilomètres de Matsue (Nord-Ouest de l’ile de Honshu), Mihonoseki est une invitation au voyage. Là, tout n’est qu’enchantement, calme et spiritualité. Loin de la profanation touristique, ce petit port japonais au caractère authentique a su garder son âme et ses traditions. Depuis Matsue, il faut environ une heure en car puis en « Community taxi » (taxi collectif) pour rejoindre Mihonoseki. De l’eau, de l’eau, de l’eau. La route passe tout d’abord à côté du lac Daikin, puis d’un chenal avant de déboucher sur la mer du Japon. Longeant la mer de près, le Community taxi frôle les habitations traditionnelles lorsqu’il traverse de minuscules villages de pêcheurs tant la route est étroite. Accentuée par le scintillement de la mer, l’atmosphère est onirique et le voyage à lui seul est déjà un ravissement. Arrivé à destination, on est tout de suite saisi par la beauté naturelle de Mihonoseki. Le petit port de 6500 âmes est blotti au cœur d’une baie paisible qui le protège des eaux tumultueuses de la mer du Japon. Traversé par une rue aux maisons traditionnelles qui n’a rien de surfait, il est entouré de collines à la végétation foisonnante. Ici, on est ancré dans une réalité locale, la pêche, activité à laquelle on s’adonne en famille depuis des générations. Ici, on ne joue pas à se conformer à l’imaginaire d’un « folklore » standard pour attirer des touristes.
C’est certainement ce qui étonnait le plus les automobilistes qui se rendaient pour la première fois sur le territoire espagnol. C’est aussi ce qui intriguait et amusait les enfants entassés à l’arrière de la voiture. À l’époque des premières grandes migrations saisonnières menant des milliers de vacanciers vers les plages surchauffées de la Costa del Sol, on ne pouvait les rater. Il y en avait plusieurs centaines, réparties à des endroits stratégiques et on les apercevait de loin. Il s’agit des toros Osborne, gigantesques panneaux publicitaires vantant des spiritueux produits par l’une des firmes les plus anciennes d’Europe, la maison Osborne, installée en Andalousie depuis 1772. Sur les flancs de l’animal on pouvait lire la marque de la boisson alcoolisée dont le toro se faisait le représentant: « Veterano ».
Du latin reliquae, restes, les reliques sont les reliefs matériels qu’a laissés derrière elle, en mourant, une personne vénérée. Les chrétiens ont largement contribué à l’essor du fétichisme nécrophore. La moindre chapelle recèle, sous la pierre d’autel, une relique correspondant à son dédicataire. Une cathédrale un tant soit peu sérieuse se doit de conserver, dans une chasse lardée de pierreries, le pariétal ou la cinquième lombaire de son martyr éponyme. Dix paroisses françaises se flattaient de posséder un fragment du Saint Prépuce, conférant ainsi au divin tuyau une dimension respectable. Aux dernières nouvelles, l’original serait à la basilique Saint-Jean-de-Latran. Si le suaire (1) ayant servi à ensevelir le Christ se trouve à Turin (ci-dessus), sa dernière tunique s’expose à Argenteuil, et la couronne d’épines à Notre Dame de Paris Depuis, l’appétit pour les vestiges sacrés s’est laïcisé. Certes, des lois intraitables empêchent la dispersion des viscères des célébrités aux mieux offrants, à l’image de nos monarques dont les morceaux choisis étaient répartis dans le royaume, « façon puzzle ». La « dilaceratio corporis », c’est à dire la séparation du cœur, des entrailles et du corps du souverain défunt, répartis ensuite dans plusieurs sépultures, sera de mise, depuis Philippe le Hardi jusqu’à Louis XIV.
Les Anglais viennent de prouver, one more time, qu’ils sont les rois de la série historique. Après la savoureuse série « Downton Abbey » (2011-2015), après l’opulente série « The Crown » (2016-2023), voilà « Wolf Hall », adaptée des best sellers de la romancière Hilary Mantel. Une trilogie publiée entre 2009 et 2020 ayant reçu le Booker Price et autres récompenses. Trois épais volumes traduits chez Sonatine en France entre 2013 et 2022. Une somme évoquant the rise and fall of Cromwell, l’ascension et la chute de Thomas Cromwell, très puissant conseiller du très capricieux roi Henri VIII. L’histoire commence en 1527, lorsque le second souverain Tudor, exaspéré de ne pas avoir d’héritier mâle, veut obtenir du pape l’annulation de ses dix-huit années de mariage avec Catherine d’Aragon.
Ce titre en latin issu des « Adagia » d’Érasme signifie que « la guerre est douce à ceux qui l’ignorent ». Elle est d’autant plus d’actualité que ceux qui en nourrissent la perspective sont rarement prêts à enfiler l’uniforme. Toujours est-il qu’à la fin du 15e siècle et dans les années du suivant, les beaux esprits s’en allaient piocher dans le dictionnaire des citations latines sélectionnées par Érasme, afin de briller dans les dîners en ville. Le latiniste distingué qu’était le prêtre de Rotterdam, puis l’un des plus grands esprits d’Europe, savait cela. Tout ce qui venait de son moi spirituel était bon à prendre. Stefan Zweig, dans sa puissante biographie d’Érasme, notait déjà en 1935 que le besoin de truffer une intervention orale ou écrite de quelques mots de latin, était toujours fort partagé. Comme une drogue irrésistible qui faisait dire à quelque convive voisin d’un quelconque orateur: « diable, quel personnage instruit. » Cette biographie se rappelle doublement à nous. D’abord parce qu’Érasme (1467-1536) ne prônait pas que la tolérance entre les hommes, il conseillait également et sans se lasser, l’instrument diplomatique, le chemin de la conciliation ou la voie du compromis afin d’éviter qu’une situation dégénère en conflit incontrôlable. Et d’autre part parce que la parution de cette biographie par Zweig (1881-1942) fut publiée en pleine montée du nazisme. Elle tombait à pic, mais sur le plan pratique, elle fit malheureusement plouf.
C’est bien vrai que ce « Nouveau-Né » méritait d’être mis en avant. Même s’il est bien difficile de choisir un Georges de la Tour parmi une trentaine de chefs-d’œuvre sélectionnés. Mais c’est bien ici le choix du musée Jacquemart-André, pour une exposition exceptionnelle qui démarrera le 11 de cette semaine. Peinte entre 1647 et 1648, cette toile est une concentration de savoir-faire. La scène est domestique. Deux femmes sont au chevet d’un bébé emmailloté. L’une le tient, l’autre porte la bougie diffusant une aura magique sur le rouge de la robe. La lumière confère même un aspect luisant au visage du poupon, le réalisme est ici poussé jusqu’au bout. Aujourd’hui on aurait tendance à ternir artificiellement un éclat ou un reflet inopportuns. De La Tour quant à lui, n’avait pas occulté ce détail, sur une surface où tout est pensé, où chaque pièce du puzzle s’agrège, afin d’aboutir à un résultat sans-faute.