De la douane à l’octroi

Dans nos provinces, il en va des bureaux de douane comme des succursales de la Banque de France. Ces bâtiments sont la marque d’une activité presque révolue. On peut désormais revenir de Belgique avec le coffre empli de tablettes de chocolat et l’air serein de celui qui médite une bonne crise de foie une fois de retour à Paris. C’est une liberté bonne à prendre et nous la devons à ce qu’il est convenu d’appeler le Vieux Continent. Autrefois il fallait patienter à la douane et amadouer le gabelou avec un sourire de faux jeton. La remarque « ouvrez le coffre » signait l’échec de la manœuvre. Aujourd’hui encore les habitants des Hauts de France vont acheter leurs cigarettes en Belgique sans que cela gêne personne et les Belges franchissent la frontière en sens inverse pour acheter d’autres trucs et tout le monde est content. Charles Louis de Secondat, baron de La Brède et de Montesquieu (1689-1755), l’homme qui orna en 1981 les billets de 200 francs, réputé pour ses multiples talents et son fin esprit, avait aussi rédigé un livre de théorie politique où il était notamment mentionné: « Là où il y a du commerce, il y a des douanes ». Et précisait ensuite qu’il était normal que l’État prenne sa part. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | Un commentaire

Ciel mes bijoux

Ce n’est jamais sans une certaine émotion qu’il nous est donné de tenir dans notre main un objet ayant appartenu à quelqu’un voici quelques milliers d’années. Celui-là n’échappe pas à la règle. Au croisement de plusieurs sources, il s’agirait d’un bijou en pierre, pendeloque ou pendentif remontant au néolithique. Il aurait été glané quelque part dans le Limousin. Les traces d’une ligature sont encore bien là. Elle devait être de nature biologique, car elle a disparu. Il faut faire un bel effort mental afin de se figurer un humain, au seuil de son abri, de sa grotte, taillant patiemment l’objet et limant la partie haute du triangle obtenu pour faire de la place au lien. Était-ce destiné à un usage personnel, s’agissait-il de plaire ou de combler l’attente de quelqu’un? La pierre a conservé tout son mystère. À l’heure où s’ouvre au Petit Palais, une remarquable exposition sur les esquisses ayant préludé à la réalisation d’un bijou, il pouvait être tentant de remonter à la source. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | Un commentaire

Crème solaire

Régulièrement, la lune se donne un peu d’importance en passant devant le soleil. La dernière fois, c’était fin mars. En France nous n’avons pas vu grand-chose mais au Canada, l’occultation était complète. Quand le phénomène intervient, le temps que les deux astres se croisent, une ambiance bizarre s’installe. La faune et même la flore sont sur le qui-vive. Chaque oiseau se tient sur une patte, les feuilles des arbres se ramollissent, l’atmosphère dans son ensemble se contracte, le son semble amorti. Le cosmos nous fait sentir une palpitation dont l’amplitude nous étreint. C’est la magie de l’éclipse. Deux heures durant, jusqu’au rétablissement de la situation, le départ du soleil nous interpelle, de la même façon sans doute qu’il le faisait sur les premiers humains dont la conscience s’éveillait. Les artistes et les poètes oublient rarement de l’intégrer.  Louis Aragon (1897-1982) par exemple, lorsqu’il écrivait: « Une ombre au milieu du soleil dort/c’est l’œil. » Ce vers avait, paraît-il, enchanté André Breton (1896-1966). Apollinaire (1880-1918) aussi bien sûr, lequel dans un calligramme du temps de la guerre, concluait: « Ombre encre du soleil/Écriture de ma lumière/Caisson de regrets.Un dieu qui s’humilie. » Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique | 4 commentaires

Des histoires de canon, de boudin et de beurre

Les écrivains et les poètes sont sans doute des espèces un peu dérangées. Lorsque Colette se rend sur le front, au mois de décembre 1914, elle écrit à son amie Annie de Pène: « Quelle belle canonnade Annie! C’est magnifique. La maison tremble, les vitres tintent, on a un gong dans l’estomac et un tam-tam dans les oreilles ». Apollinaire aussi, dans les moments creux de sa présence là-bas, avait tiré du conflit monstrueux toute une littérature, toute une poésie. Que n’a-t-il pas été brocardé par la suite pour avoir trouvé la guerre « jolie, avec ses longs loisirs » alors que, comme on dit de nos jours, la parole avait été sortie de son contexte, détourée par des doigts malveillants. On n’était quand même pas obligé de pleurer là-bas en permanence, de pomper l’air bruyamment avec des exhalaisons d’angoisse à blanchir la nuit. Il fallait survivre et garder le moral, dans cet affreux mélange de chairs et de sang, tel un amalgame de fin tripier. Colette ne se battait pas bien sûr, elle était partie in situ pour se rapprocher de son mari mobilisé, Henri de Jouvenel. Bientôt, avec la suivante, elle aurait vécu deux guerres, ce qui fait quand même un compte substantiel dans une vie. Continuer la lecture

Publié dans Livres | Commentaires fermés sur Des histoires de canon, de boudin et de beurre

Subtilités british

Nul n’ignore plus que les Anglais sont passés maîtres dans les séries télévisées les plus accomplies. Deux nouvelles miniséries concourent à ce palmarès, « Douglas Is Cancelled » sur Arte.tv et « Adolescence » (même mot en anglais et français) sur Netflix.
Les créateurs British des quatre épisodes de « Douglas Is Cancelled » (littéralement « Douglas est annulé ») ont conservé le titre original à l’étranger, pour bien marquer leur intention première: pointer le concept de « culture de l’annulation » ou « cancel culture » apparu vers la fin des années 2010, désignant la dénonciation publique d’une personne pour ses actions ou ses paroles jugées socialement ou moralement offensantes ou inacceptables, en particulier sur les réseaux sociaux. On pensait le concept un peu passé de mode, quand la BBC nous le ressort dans le milieu de la télévision, propice aux intrigues de cour. À la conception et au scénario Steven Moffat, le cocréateur de « Sherlock », la fantastique série plongeant le plus célèbre détective du monde dans notre univers contemporain. Continuer la lecture

Publié dans Cinéma | 3 commentaires

Et Marie-Clémentine devint Suzanne Valadon

Dans la deuxième moitié du 19e siècle, les images photographiques n’étaient pas encore bien fréquentes et encore moins les séquences animées. Afin de réaliser un documentaire alerte sur l’artiste Suzanne Valadon (1865-1938), la réalisatrice Flore Mongin, a eu recours à un artifice des plus plaisants. Elle a introduit une dose de dessin animé (signé Coline Naujalis) dans son film. Ce qui fait qu’au lieu d’un pensum noir et blanc avec des images d’archives, mais grâce aussi à la présence d’une agréable bande-son, on adhère tout de suite à cette proposition. Celle qui raconte la vie peu ordinaire d’une Marie-Clémentine, se transformant en Suzanne, un jour de rupture avec son passé de modèle. Celle qui fait actuellement l’objet d’une monographie au Centre Pompidou (lequel refuse avec opiniâtreté de fermer pour cause de travaux), avait à peu près tous les atouts pour connaître une destinée médiocre. Pauvre, elle fut ouvrière-blanchisseuse avant d’accepter de poser nue pour des artistes de Montmartre, activité qui lui servit de marchepied vers une émancipation déterminée. Encore une pépite dénichée sur la chaîne Arte qui en est décidément prodigue. Continuer la lecture

Publié dans Documentaire | Commentaires fermés sur Et Marie-Clémentine devint Suzanne Valadon

Apollinaire dans les cieux dinardais

Picasso annotait ses carnets de dessin: en l’occurrence ceux de Dinard et encore plus précisément, deux pages du 3 août 1928. C’était la seconde fois qu’il venait à Dinard, la petite cité balnéaire de Bretagne en bord de Manche. Il y était déjà venu en 1922, mais il s’était décidé à y retourner six ans plus tard, afin d’atténuer les effets de la canicule qui frappait le pays. L’artiste était accompagné par sa femme Olga Khokhlova, ex-danseuse des Ballets Russes et de leur fils Paulo, né en 1921. Il avait loué la villa Les Roches brunes et il rejoignait de temps à autre Marie-Thérèse, sa nouvelle maîtresse, logée en douce dans un camp de vacances. Une période prolifique pour le peintre lequel s’inspira de ce qu’il voyait sur les plages, pour peindre notamment, ses célèbres « baigneuses » topless. Il ne cessait de penser à Guillaume Apollinaire, disparu en 1918. D’abord parce que c’était un ami dont il parlera encore à voix haute le huit avril 1973, avant son dernier souffle. Et ensuite en raison d’une souscription lancée quelques années plus tôt, pour la réalisation d’un monument destiné à remplacer la simple croix fixée sur la tombe de l’écrivain, au cimetière parisien du Père Lachaise. Un projet qui fit toujours couler de l’encre, singulièrement en 1999, dans un catalogue d’exposition publié à l’occasion d’une exposition entre Picasso et le sculpteur Julio Gonzalez (1876-1942). Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique, Apollinaire | 2 commentaires

Sitges, un coup de cœur catalan

À 40 km de Barcelone, Sitges, 32.000 habitants, est une heureuse surprise. On s’attendait à une banale station de bord de mer, envahie de touristes nourris au tempo de la fête. Rien de tel en février. Une ville calme mais vivante avec ses nombreux petits commerces. Et une ville de toute beauté composée d’un entrelacs de ruelles étroites qui s’étendent jusqu’à la mer. Rappelons qu’aux XVIIIe et XIXe siècles, des centaines d’habitants de Sitges émigrèrent vers les colonies espagnoles du Nouveau monde pour y chercher fortune. Ils exportaient chaussures, vins, et alcools produits localement et importaient café, cacao, sucre, coton, tabac… À leur retour à Sitges, la prospérité des « Américains » -comme on les appelait- leur permettait de se faire construire de splendides demeures. On peut admirer ces belles villas néoclassique, Art nouveau ou moderniste en suivant l’itinéraire des « Américains » de Sitges. Au-delà de leur résidence, les « Américains » ont participé au développement économique de la Catalogne en investissant dans ses infrastructures et ont joué un rôle de premier plan dans la transformation de Sitges. C’est ainsi que le modeste village de pêcheurs est devenu une station balnéaire bourgeoise. Continuer la lecture

Publié dans Découverte | 6 commentaires

Porte des Lilas

« Porte des Lilas » est un film de René Clair, tourné entre décembre 1956 et février 1957, aux studios de Boulogne. Il adapte un roman de René Fallet, « La grande ceinture ». Un film en noir et blanc à l’atmosphère gris sombre. L’intrigue se déroule dans la Zone, quartiers populeux situés à la périphérie de Paris, au-delà des anciennes fortifications. Initialement dévolue aux manœuvres militaires, cette bande de terre fut progressivement occupée par des ateliers, des habitations ouvrières, des refuges de marginaux. Le tracé du périphérique a pris sa place.
Barbier, un malfrat poursuivi par la police force deux bons à rien, Juju et l’Artiste, à le cacher. L’Artiste, un gratte-guitare un peu anar, le planque dans sa cave. Juju, fainéant porté sur la bouteille, devient le protecteur de Barbier, dont il envie le culot et l’assurance vis-à-vis des femmes. Justement, il y a Maria, fille du mastroquet local, à qui Juju porte un amour sans espoir. Mais elle ne résiste pas au charme de Barbier, dont elle devine rapidement la présence clandestine. Barbier se comportant vis-à-vis d’elle comme un gougnafier, finalement, Juju le révolvérise. Clap de fin. Continuer la lecture

Publié dans Anecdotique, Cinéma | Un commentaire

Le partisan

Ce serait le moment de découvrir ou redécouvrir Leonard Cohen à travers une archive INA qui nous tend les bras sur le Net. On y voit son visage en gros plan, uniquement son beau visage face au micro, en noir et blanc, lors d’une captation live de la chanson « The Partisan ». Morceau figurant dans son deuxième album studio « Songs from a Room », enregistré en 1969 à Nashville, Tennessee, capitale de la musique country.
Né le 21 septembre 1934 à Westmount, Québec, dans une famille juive d’origine russo-polonaise, le chanteur a trente-cinq ans lorsqu’il enregistre ce second album Columbia. À peine deux ans plus tôt, « Songs of Leonard Cohen », contenant une première version de « Suzanne », a reçu un bel accueil, une sorte de triomphe même, pour cet artiste canadien, à la fois poète, romancier, auteur compositeur interprète, et peintre. Ce second album est plus sombre, et on pourrait s’étonner, vu sa tonalité, que l’auteur ait voulu l’enregistrer dans la capitale de la country music. Certes « Bird on a wire » sera repris par quantité de country boys dont Johnny Cash, Willie Nelson ou Joe Cocker. Mais d’autres chansons comme « Story of Isaac » ou « The Partisan » relèvent d’une autre inspiration, la première se référant naturellement à ses origines juives. Continuer la lecture

Publié dans Musique | 5 commentaires