Vraiment snob?

D’emblée, on est attiré par le personnage qui figure sur la couverture.  Il a un côté Petit Prince, mais en plus turbulent. Au fil des pages, on suit les évolutions de cette jeune femme capable des positions les plus acrobatiques. Elle doit pratiquer le skate, ou être une excellente break dancer. Imaginé par  la dessinatrice Marion Ferraud, dont le pinceau est aussi souple que les figures qu’elle représente, ce personnage   pourrait servir de guide au lecteur pénétrant dans le monde à la fois familier et singulier de Philippe Bonnet. Après « Textes de variété moderne » (2019, Éditions Bleu&Jaune), le journaliste qui a redonné vie aux Soirées de Paris propose cette fois  un ouvrage poétique au titre sibyllin: « Soyons snobs en attendant le retour des papillons ».  Pour déconcertante qu’elle soit, la formule peut donner le ton du recueil. Pas de prétentions métaphysiques, pas de messages, pas de préciosités … si ce n’est parfois pour la beauté du mot, pour son exotisme, pour sa couleur. Plus flâneur que voyageur,  plus citadin que campagnard, Philippe Bonnet trouve son inspiration dans l’environnement immédiat, et explore le banal pour en extraire des richesses insoupçonnées. Continuer la lecture

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Routine spatiale

Il y a quelques jours à peine, on pouvait suivre en direct l’amarrage d’un vaisseau russe à la Station spatiale internationale, à quelque 400 kilomètres au-dessus de nos têtes. Sur le fil de X (ex-réseau Twitter), à quelques secondes du docking, tandis que Progress s’avançait dans les tout derniers mètres, on pouvait constater que moins de 52.000 personnes suivaient l’événement. Le monde était trop occupé à autre chose pour ce qui est perçu désormais comme de la routine spatiale. Quand bien même l’opération se réalisait sous contrôle à la fois russe et américain, gravement fâchés au sol. Cela fait immanquablement penser à ce poème bien connu d’Alfred de Musset intitulé « Une soirée perdue » et qui disait: « J’étais seul, l’autre soir, au Théâtre Français/Ou presque seul; l’auteur n’avait pas grand succès/Ce n’était que Molière, et nous savons de reste/Que ce grand maladroit, qui fit un jour Alceste/Ignora le bel art de chatouiller l’esprit/Et de servir à point un dénouement bien cuit. » Les gens sont bien trop occupés aux mille tâches de ce nouveau siècle avec des choses nouvelles comme distribuer des « likes » et produire des histoires personnelles sur Instagram, afin de gaver leurs followers toujours en carence de signes d’amour. Continuer la lecture

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Modigliani Zadkine en duo

Musicien lui-même à ses heures, Ossip Zadkine aimait bien adjoindre à ses personnages sculptés, un instrument évoquant quelque chose comme une lyre ou une mandoline. Dans l’essai quasi-achevé en trois dimensions de son Apollinaire dans les années 40, il avait ainsi bardé le poète, pourtant loin d’être un féru de solfège. Sa statue d’Éluard réalisée au début des années cinquante et visible au jardin du Luxembourg, comporte également un instrument à corde. Et a fortiori, si sa sculpture figurait celle d’une musicienne (ci-contre), l’adjonction d’un appareil, dans sa représentation, devenait obligatoire. Ayant vécu jusqu’à l’âge de 79 ans (en 1967), il aurait aussi bien pu faire une représentation du buste de Charles de Gaulle avec une guitare électrique en bandoulière, mais sans doute par étourderie, il a omis. C’est dans son ancien atelier du 100 rue d’Assas, petit coin charmant de ruralité parisienne, planqué derrière un immeuble, que se tient en ce moment une exposition mettant en scène l’amitié ayant rapproché Zadkine et Modigliani jusqu’en 1919, quelque chose ayant cassé plus tard. Continuer la lecture

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La pièce maudite de Nicolaï Erdman

Après sa création en France par Jean-Pierre Vincent, en 1984, à l’Odéon, avec la troupe de la Comédie-Française, “Le Suicidé” de Nicolaï Erdman (1900-1970) fait aujourd’hui son entrée au Répertoire de la Comédie-Française, dans une mise en scène de Stéphane Varupenne. Le 528e sociétaire, après plusieurs co-mises en scène avec son complice Sébastien Pouderoux (“Les Serge (Gainsbourg point barre)” en 2019 au Studio-Théâtre, puis “Les Précieuses ridicules” de Molière en 2022 au Vieux-Colombier), signe là sa première mise en scène Salle Richelieu, et nous offre un beau spectacle de troupe avec quatorze comédiens et trois musiciens! Comme son titre ne le laisserait pas présager, “Le Suicidé” est une comédie, une comédie satirique s’entend, qui tanguerait du côté de l’existentialisme. Car la pièce cible tout autant la violence du régime soviétique qu’elle questionne la place de l’humain dans le collectif. En sommant le personnage principal de se positionner, la pièce n’est d’ailleurs pas sans faire écho à notre époque… Continuer la lecture

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Edgar et Dimitri

Quel bonheur de retrouver le petit génie là où on l’avait entendu il y a trois ans! C’était en décembre 2021 à l’Auditorium de la Maison de la Radio et de la Musique, comme il faut dire maintenant (voir mon article du 6 décembre 2021). Soyons honnête: son visage d’ange du bizarre, sa crinière touffue, sa maturité exceptionnelle en faisaient presque un objet de curiosité depuis pas mal de temps. Le terme de génie, si galvaudé, s’applique si bien à cet Edgar Moreau, violoncelliste de trente ans, ayant accumulé depuis son premier concert à onze ans, dans le Concerto de Dvorak, une palanquée de récompenses: à quinze ans, prix du Jeune Soliste au concours Rostropovitch, à dix-sept ans deuxième prix du concours Tchaïkovski à Moscou, « Prix de la révélation instrumentale » en 2013 puis « Prix du soliste instrumental » en 2015 dans le cadre des Victoires de la musique classique. Sans oublier son titre de lauréat des « Young Concert Artists » new-yorkais en 2014, véritable tremplin international, remporté à vingt ans. Continuer la lecture

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Victor Hugo, le réalisme et pas au-delà

Aux environs de 1816, le très jeune Victor Hugo passe devant le ministère de la Justice à Paris. Il n’a que quatorze ans et assiste à une scène dont il se souviendra toute sa vie. Et qu’il racontera en 1862, dans une lettre postée depuis Guernesey. Il y situe alors l’action deux ans plus tard mais peu importe. Une jeune fille était liée à un poteau planté sur la place, tandis qu’à ses pieds rougeoyait un seau de braises avec un fer planté dedans. Un homme monta alors sur l’échafaud, prit le fer, écarta la camisole de la malheureuse et appuya profondément sur son épaule avec le fer chauffé à blanc. Au point, se souvenait Hugo qui n’oublia pas le cri de l’infortunée, que l’avant-bras et le poing du bourreau disparurent sous une fumée blanche. C’était une voleuse, une domestique, mais le grand écrivain qu’il était alors devenu, depuis son exil, évoqua surtout une « martyre ». De là, écrivit-il à son correspondant suisse, il sortit « déterminé à combattre à jamais les mauvaises actions de la loi ». On devrait célébrer les 150 ans de l’anniversaire de sa mort au printemps l’année prochaine, l’occasion de se plonger dans un petit livre sur le bonhomme que publia , en 1952, un certain Louis Aragon. Continuer la lecture

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La croûte et le pâté

Un érudit aurait retrouvé la trace du pâté en croûte dans un traité de chasse du XIVe siècle, intitulé le « Roman des Déduis » (1). L’auteur, Gace de la Buigne, chapelain de Philippe VI à partir de 1384, en énoncerait une recette. Mais c’est Guillaume Tirel, dit Taillevent, cuisinier de Charles V, par son ouvrage, le Viandier, qui le fait accéder aux tables seigneuriales. Il s’agissait d’une préparation de viandes maigres, généralement porc ou veau, mêlée de morceaux de gibiers à plumes, perdrix, pluvier, mauviette, hachés et épicés, malaxés avec un liant, œuf, mie de pain, farine, fécule. Elle était, éventuellement, agrémentée d’une gelée. L’ensemble se cuisait dans un moule, chemisé d’une détrempe de farine et d’eau. Du genre de celle utilisée pour luter une cocotte, pour réaliser un joint d’étanchéité entre le réceptacle et son couvercle, avant la mise au four. Cette pâte a la particularité de durcir à la chaleur, et n’est, par conséquent, pas vraiment comestible. Elle conservait à la farce son moelleux, en permettait la conservation et le transport. Une ordonnance de Jean le Bon (1351) menaçait les chair-cuitiers de graves sanctions si ils gardaient la préparation plus d’un jour, ou la réalisait avec des viandes corrompues. Les chair-cuitiers, marchands de viandes cuites, par opposition aux bouchers, ayant le monopole de la viande crue. Continuer la lecture

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Le grondement de l’ours au fond de la grotte

Les Homo sapiens, du moins les plus raffinés, aimaient à jouer avec les sons. Avec un os de vautour, ils avaient conçu une flûte primaire en perçant des trous. Ce qui avait permis à son concepteur de jeter, en toute ingénuité, les bases de l’harmonie. Cela n’a l’air de rien mais quand on écoute une sonate de Corelli, on peut se rappeler que les délicates notes émises par le violon, le clavecin ou l’archiluth, viennent de là. Et plus exactement de la grotte Chauvet, dont on a exploré le contenu il y aura trente ans en décembre. Cette cavité de 8500 mètres carrés où vécurent deux groupes d’individus, en deux époques successives, la première il y a plus de trente mille ans. Des chercheurs se sont donc appliqués à reconstituer des empreintes sonores, jusqu’à obtenir l’effet émis par un ours hurlant sa joie ou sa peine, en tout cas se signalant ainsi aux importuns par un affreux grondement. Depuis la découverte par trois archéologues amateurs, Christian Hillaire, Éliette Brunel et Jean-Marie Chauvet, du côté de Pont d’Arc en Ardèche, les mises au jour de trésors pariétaux se sont accumulées, nous donnant à mieux connaître nos très lointains aïeux, dont le cerveau, comparativement aux néandertaliens, était conçu pour une évolution prometteuse. Un documentaire de la chaîne Arte, torche en main, nous fait passer par le trou souffleur conduisant aux mirifiques parois. Continuer la lecture

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L’ombre portée d’un pharaon

Quand elles sont bien faites, les reproductions semblent reprendre à leur compte, les vibrations les plus intimes du modèle original. En tout cas, celles que le sculpteur s’est appliqué à façonner. Cela donne, pour cette effigie d’Amenhotep II, l’image d’un homme serein et beau. Investi par les dieux, jouissant de ce fait d’un pouvoir absolu, celui que les grecs appelaient Aménophis, pouvait arborer la satisfaction de celui qui peut s’accorder tous les caprices, y compris le plus « jouissif » d’entre eux: la guerre, le massacre éperdu. Il conserve encore un certain mystère vu qu’il vivait bien longtemps avant notre ère, dans les 1500 ans sans doute. L’original de cette reproduction se trouve au Museum of Fine Arts de Boston. Sa fiche indique que ce petit trésor a été exhumé en Égypte en 1899 par un certain William Matthew Flinders. Les pharaons reviennent de temps à autre dans l’actualité et donc parmi nous, au gré des découvertes. Il se trouve que cette année le ministère Égyptien du tourisme et de l’Antiquité a annoncé qu’un palais ayant appartenu au père d’Amenhotep II, avait été mis au jour. Ce père dénommé Thoutmôsis III, se serait servi de cette enceinte afin de se reposer entre deux batailles. Peu importe les conjectures au fond, tellement ces grands morceaux d’histoire, qui sortent de terre nous impressionnent. Continuer la lecture

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La quête identitaire de Julia Perazzini

La scène contemporaine suisse ne cesse décidément de nous étonner ! Après le décapant “Cécile” de Marion Duval (1), voici que la comédienne-metteuse en scène Julia Perazzini nous offre, dans un autre genre, une performance tout aussi bluffante. “Dans ton intérieur”, spectacle auto-mis en scène, interroge le rôle joué par le regard des autres dans la quête identitaire de l’artiste suisse. Après “Le Souper” (2019), où elle imaginait une rencontre avec son frère aîné décédé avant sa naissance, l’artiste part en quête d’un autre membre fantôme de sa famille: le grand-père paternel italien dont elle porte le nom et qu’elle n’a jamais connu. La comédienne y expérimente le dispositif de l’investigation et incarne tous les personnages de cette épopée, faisant de son outil de recherche artistique un moyen de connexion avec les autres et elle-même. Brillant ! Continuer la lecture

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