Révélations haendéliennes

À l’heure où l’on aime se désoler que si peu de femmes cheffes d’orchestre dirigent de grandes formations, on ne dira jamais assez que nous possédons depuis longtemps une pionnière parmi les pionnières, Laurence Equilbey, qui a tout fait avant les autres : diriger en France et dans le monde entier quand c’était encore impensable pour une femme, fonder il y a 28 ans son ensemble choral baptisé accentus (en minuscules), puis en 2012 son orchestre de chambre sur instruments anciens nommé Insula Orchestra. Le palmarès de ces deux formations est éblouissant, elles se produisent dans les meilleures salles du monde entier et sous la baguette des plus grands chefs et pas seulement de leur fondatrice. Elles viennent d’ajouter à leur palmarès la résurrection de «La Nonne sanglante» de Gounod à l’Opéra Comique en 2018, puis la tournée européenne du «Freischütz» de Weber tant admiré par Offenbach, ou cette année, pour accentus, l’ouverture du festival de musique ancienne au Konzerthaus de Vienne. Sans oublier, pour Insula Orchestra, la sortie début avril chez Erato du CD «Lucio Silla» de Mozart (ci-dessus), cette œuvre adolescente ressuscitée autrefois par Patrice Chéreau aux Amandiers en 1984. Continuer la lecture

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Dernière couronne pour Michel Bouquet

Y croyait-il lui aussi aux « forces de l’esprit » ? Avec « Le promeneur du Champ-de-Mars », Michel Bouquet interprétait François Mitterrand lors de ses derniers vœux aux Français, séance durant laquelle le président prononça la fameuse phrase, suivie d’un « je ne vous quitterai pas ». Dans le film de Robert Guédiguian sorti en 2005, le personnage principal prend un ton amusé pour commenter sa prestation, avouant qu’il avait hésité à évoquer les « forces de l’esprit » mais qu’au fond il n’en était pas mécontent. De bout en bout, Michel Bouquet nous laisse médusés par ce rôle qui lui a valu un César du meilleur acteur. En raison de son physique peut-être, il est bien plus Mitterrand qu’un Podalydès ou un Dujardin se glissant dans la peau de Nicolas Sarkozy. Disparu le 13 avril à l’âge de 96 ans, Michel Bouquet avait littéralement avalé le personnage, au point de le faire revivre, ce qui était une façon de lui faire tenir la promesse présidentielle. Continuer la lecture

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De marbre

L’image ci-contre est doublement intéressante. D’une part parce qu’elle présente un fossile de rhacolepis, poisson qui barbotait dans les eaux brésiliennes il  y a de ça cent millions d’années. D’autre part parce qu’il est entouré d’un agencement de couleurs réalisé à la craie sur une surface en carton. Et ce qui rend l’assemblage pertinent, c’est l’époque. Car la craie est une roche sédimentaire datant du crétacé tout comme cet animal qui se caractérisait aussi par ses nageoires rayonnées. Ce qui pourrait nous amener à parler du marbre, matière plus ancienne encore et dérivant du calcaire. Mais non. L’idée du jour étant de rapporter une histoire presque authentique, inspirée d’événements réels, comme on dit au cinéma. Car le marbre est également partie prenante d’un jargon journalistique désignant un article dont la date de péremption est suffisamment souple pour en reporter la parution. Un papier « marbré » est un papier qui attend une opportunité, une roue de secours pour les jours creux. Continuer la lecture

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Dieu du ciel

Outre un accent circonflexe, le jour de Pâques a ceci de commun avec celui de la Pentecôte, de n’être qu’un jour férié, apprécié des amateurs de week-ends à pont. C’est faire bien peu de cas de l’histoire sainte qu’un manuel, paru en 1932,  se chargeait d’expliquer aux enfants. Dans un langage simple, accessible aux adultes du siècle suivant, ce petit guide dépassé à maints égards, expliquait que Pâques correspondait avant tout à la résurrection de Jésus. Sachant qu’au matin du 3e jour de sa crucifixion qui allait donc devenir un jour férié, « un ange descendit du ciel, souleva la pierre du sépulcre » et Jésus reprit goût à l’existence après s’être cru abandonné. Car n’avait-il pas imploré auparavant, « Eli, Eli, lama sabachthani » ce qui en araméen châtié signifiait, « mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as tu abandonné ». Ce manuel d’histoire pourrait c’est sûr, constituer une bonne série télé, tellement son scénario est riche en rebondissements. Continuer la lecture

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Champollion, génie du rébus

Entre 1828 et 1829 Jean-François Champollion est enfin en Égypte, déjà bien avancé en science des hiéroglyphes pour se confronter à la réalité. Il n’est pas tout seul. À la tête d’une équipe franco-toscane il est accompagné de dessinateurs dont Nestor L’Hôte, afin de faire des relevés. Ce que l’on peut voir sur le détail ci-contre,  a été retranscrit par les deux hommes à partir du tombeau de Ramsès VI, mort en 1137 avant Jésus-Christ. Exactement, il s’agit sur toute une longueur d’un panneau, du « registre médian de la paroi Sud ». Cette merveille est actuellement exposée à la BnF à l’occasion du bicentenaire du déchiffrement des hiéroglyphes. Comme l’expliquait hier aux Soirées de Paris, l’égyptologue Guillemette Andreu-Lanoë, la méthode de Champollion a été d’apprendre auparavant de nombreux langages allant du gaulois au chinois en passant par l’étrusque et le mexicain. Et surtout le copte, avec lequel le savant identifie de nombreuses passerelles. La scénographie très généreuse a bénéficié des trésors de la BnF parmi lesquels 88 volumes de notes et de dessins issus de la main de Champollion (1790-1832). Continuer la lecture

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L’annuaire en vers et prose

Elle s’appelait mademoiselle Lia-Andrée Salmon Zinzerling et elle tenait probablement une librairie à Saint-Pétersbourg, puisque c’est ainsi qu’elle était présentée dans la revue Vers et Prose. Elle faisait partie des quelques abonnés résidant en Russie, au moins depuis 1906, et c’est bien tout ce qu’il est possible de dire de cette personne, quoiqu’un chercheur canadien s’est un jour penché sur l’histoire des librairies françaises dans cette ville russe (1). Non, ce qui fait le sujet totalement anachronique du jour, c’est qu’en 1909, dans son numéro de juillet-août-septembre, la Revue Vers et Prose avait publié l’annuaire de ses abonnés. Chose invraisemblable dont on peut se demander l’intérêt éditorial. C’était peut-être un acte d’ordre promotionnel, toujours est-il que la liste comportait un intéressant vivier de noms d’abonnés. Apollinaire n’y figurait pas mais cela peut se comprendre dans la mesure où, étant contributeur depuis l’origine de la revue en 1905, il n’avait probablement pas besoin de délier sa bourse pour disposer d’au moins un numéro. Continuer la lecture

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Effusions

Le baiser consiste à toucher une personne avec les lèvres grâce aux muscles orbiculaires de la bouche. L’endroit cible du corps d’autrui reste à l’initiative du déposant. Soucieux de ne pas mélanger les torchons et les serviettes, les anciens Romains disposaient de trois termes distincts, fonctions des circonstances. Le premier, basium, s’adressait au cercle familial, le deuxième, osculum, visait l’environnement social, le troisième, suavium, avait une connotation sensuelle. Nous pourrions traduire basium par poutou, osculum par bise, suavium par patin. Le Kamasutra identifie le patin comme un classique de l’érotisme hindou. Certaines estampes de la période Edo attestent de son usage au Japon dans les ébats amoureux. Les stages au Royaume Uni ou les programmes Erasmus permettent aux étudiants ou aux étudiantes d’Europe de constater sa pratique dans l’ensemble du continent, et quiconque élargit son expérience de par le monde en vérifie l’universalité. On parle alors de séjours linguistiques, le patin classique se réalisant en préliminaire par entrecroisement des appendices linguaux des partenaires. Continuer la lecture

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Le jardin d’agronomie tropicale se désespère

Quoique bien défraîchie, cette porte chinoise fait encore bonne figure à l’entrée du Jardin d’agronomie tropicale, partie prenante du Bois de Vincennes. Elle n’est pas sans rappeler « Le Voyage de Chihiro » le film de Miyazaki, lequel racontait dès 2001 l’aventure fantastique d’une famille, au sein d’un parc d’attractions abandonné. C’est bien le sujet d’ailleurs. Hormis quelques pavillons bien traités, l’ancien jardin d’essai colonial, créé à la fin du 19e siècle, pleure misère. Bien que l’ensemble soit classé et inscrit aux monuments historiques, on ne peut que constater de nombreux désastres, depuis la dernière chronique parue dans ces colonnes (1). Des serres abandonnées, des pavillons en partie effondrés, des intérieurs tagués: la moitié de ce lieu, propriété de la Mairie de Paris (depuis 2003), souffre de délabrement. Négligence coupable tant cet espace pourrait n’être qu’émerveillement. Reliquat du colonialisme il n’est peut-être pas, pour cette raison, en odeur de sainteté. Continuer la lecture

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La voix de deux grandes plumes étrangères

Deux écrivains de grande envergure ont chacun publié récemment une tribune pleine page dans Le Monde au sujet de la guerre en Ukraine. Le premier, le 27 mars, Jonathan Littell (ci-contre), était attendu, car parfaitement légitime sur le sujet. Fils du maître du roman d’espionnage américain Robert Littell, né à New York mais élevé en France, Jonathan a reçu le prix Goncourt en 2006 pour «Les Bienveillantes», immense déflagration, pavé de plus de mille pages écrit en français donnant la parole à un officier SS œuvrant dans les camps. Avant d’en arriver là, il avait travaillé une dizaine d’années pour les ONG humanitaires MSF  et Action contre la faim  en Bosnie, Tchétchénie et Afghanistan. En 2008, à la demande du Monde 2, il a écrit un reportage en Géorgie (peu après le bref conflit ayant opposé ce pays à la Russie), puis tourné un documentaire sorti en salle en 2017 sur les enfants-soldats d’Ouganda (Wrong Elements). Continuer la lecture

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Le sens du trône, de l’art et du secret

Même dans nos sociétés modernes, la marque du chef perdure autour de son séant. Que l’on soit ministre, préfet, sous-préfet, un PDG ou simple chef de service, la position hiérarchique se caractérise par un siège distinct des subordonnés, des administrés, des sujets. Cette réflexion peut ainsi monter à l’esprit du visiteur devant la toute nouvelle exposition sur les chefferies du Cameroun au musée du Quai Branly. À l’instar de cet extraordinaire trône entièrement perlé du 19e siècle, représentant un roi assis avec une chevelure de plumes comme dressée par la foudre. Ce chef-d’œuvre (ci-contre) est considéré comme un « emblème de la force et de la vitalité de Notuégom, fondateur de Bandjoum ». Il a été exposé à Paris en 1962, à Dakar en 1966 et à Marseille en 1993. Sa rareté vaut à elle seule le déplacement. L’Afrique et incidemment le Cameroun, nous renvoient ainsi à nos propres symboles. Continuer la lecture

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